Par un arrêt du 6 octobre 2015, la Cour de justice de l’Union européenne, siégeant en grande chambre, a clarifié la répartition des compétences entre le Conseil et la Commission en matière de représentation extérieure de l’Union devant les juridictions internationales. Ce litige trouve son origine dans une demande d’avis consultatif adressée au Tribunal international du droit de la mer par une organisation intergouvernementale de coopération en matière de pêche. Cette demande portait sur les obligations des États et la responsabilité des organisations internationales dans la lutte contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée. Le Tribunal international du droit de la mer a invité les parties à la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, dont l’Union européenne, à soumettre des exposés écrits. La Commission a alors décidé de présenter un tel exposé au nom de l’Union. Le Conseil s’y est opposé, estimant que la définition de la position de l’Union relevait de sa compétence et que le contenu de l’exposé devait recevoir son approbation préalable. Malgré cette opposition et après plusieurs échanges au sein des groupes de travail du Conseil, la Commission a transmis son exposé écrit au Tribunal, ce qui a conduit le Conseil à introduire un recours en annulation contre cette décision. La question de droit posée à la Cour consistait donc à déterminer si la Commission disposait de la compétence pour représenter l’Union et définir de manière autonome le contenu de ses observations dans une procédure consultative devant une juridiction internationale, ou si une telle démarche nécessitait une décision préalable du Conseil. La Cour de justice a rejeté le recours du Conseil, jugeant que la Commission était bien compétente pour agir au nom de l’Union dans ce contexte. Elle a estimé que cette action relevait de la représentation de l’Union en justice et non de la définition d’une politique, écartant ainsi les compétences revendiquées par le Conseil. Il convient dès lors d’examiner la consécration par la Cour d’une compétence de représentation judiciaire externe au profit de la Commission (I), avant d’analyser la portée de cette solution sur l’équilibre des pouvoirs et le principe de coopération loyale (II).
I. La consécration de la compétence de représentation judiciaire externe de la Commission
La Cour a fondé sa décision sur une interprétation stricte des textes régissant l’action extérieure et les compétences respectives des institutions. Elle a d’une part écarté l’application des procédures relatives à la définition des positions de l’Union au sein des instances internationales (A) pour, d’autre part, qualifier l’intervention de simple acte de représentation judiciaire relevant de la Commission (B).
A. Le rejet d’une compétence du Conseil fondée sur les règles de l’action extérieure
Le Conseil soutenait que la position à exprimer devant le Tribunal international du droit de la mer aurait dû être arrêtée selon la procédure prévue à l’article 218, paragraphe 9, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Cette disposition régit les positions à prendre « au nom de l’Union dans une instance créée par un accord international, lorsque cette instance est appelée à adopter des actes ayant des effets juridiques ». La Cour a cependant rejeté cette analyse en opérant une distinction fondamentale. Elle a jugé que la procédure de l’article 218, paragraphe 9, vise la participation de l’Union à l’adoption d’actes au sein d’une instance internationale, et non l’expression d’une position « devant » une juridiction. En l’espèce, l’Union n’agissait pas en tant que membre d’un organe décisionnel, mais en tant que partie à une procédure consultative où elle était invitée à présenter des arguments juridiques. La Cour souligne ainsi que « l’Union est invitée à exprimer, en tant que partie, une position ‘devant’ une juridiction internationale, et non pas ‘dans’ celle-ci ». Cette interprétation littérale et téléologique écarte l’application d’une procédure conçue pour l’exercice d’une fonction quasi législative ou exécutive dans le cadre d’une organisation internationale, et non pour une intervention de nature contentieuse ou consultative.
B. La qualification de l’intervention en simple acte de représentation judiciaire
La Cour a ensuite examiné l’argument du Conseil fondé sur l’article 16, paragraphe 1, du Traité sur l’Union européenne, qui lui confère une fonction de définition des politiques. Le Conseil estimait que le contenu de l’exposé écrit impliquait des choix politiques et stratégiques. La Cour a écarté cet argument en considérant que l’objet de l’exposé n’était pas de « définir une politique en matière de pêche inn », mais de présenter des observations juridiques fondées sur le droit international et le droit de l’Union existants. L’exposé consistait à analyser des dispositions pertinentes et à décrire le cadre réglementaire de l’Union. Selon la Cour, même les considérations relatives à la compétence du tribunal et à la recevabilité des questions, qualifiées de choix stratégiques par le Conseil, « sont, au même titre que les observations présentées quant au fond de l’affaire en cause, caractéristiques de la participation à une procédure devant une juridiction ». Par conséquent, l’action relevait non pas de la définition d’une politique mais de la représentation de l’Union en justice, une mission pour laquelle l’article 335 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne offre un fondement. Cet article, bien que visant textuellement la représentation dans les États membres, est interprété par la Cour comme l’expression d’un principe général habilitant la Commission à représenter l’Union dans toute procédure judiciaire, y compris internationale.
Cette clarification des compétences respectives des institutions ne pouvait se faire sans que la Cour ne se prononce également sur les devoirs qui en découlent, notamment celui de coopération loyale, précisant ainsi la portée de sa décision sur l’équilibre institutionnel.
II. La portée de la solution sur l’équilibre institutionnel et la coopération loyale
L’arrêt renforce la position de la Commission en tant qu’interlocuteur juridique de l’Union sur la scène internationale (A) tout en apportant des précisions essentielles sur les contours de l’obligation de coopération loyale dans ce contexte particulier (B).
A. Le renforcement du rôle de la Commission en tant que représentante légale de l’Union
En validant l’action autonome de la Commission, la Cour de justice consolide son rôle de représentante légale de l’Union sur la scène internationale. Cette solution présente une portée de principe significative. Elle garantit que l’Union puisse s’exprimer d’une seule voix et de manière efficace dans les enceintes judiciaires internationales, sans être paralysée par d’éventuels désaccords politiques au sein du Conseil. L’arrêt établit que lorsque l’Union participe à une procédure juridictionnelle, son intervention est de nature juridique et non politique. La définition de la position juridique de l’Union est ainsi confiée à l’institution qui, en vertu des traités, agit en tant que « gardienne des traités » et promeut l’intérêt général de l’Union. Les potentielles conséquences politiques d’un exposé juridique, invoquées par le Conseil, ne suffisent pas à requalifier la nature de l’acte et à transférer la compétence. Cette jurisprudence préserve la cohérence de l’action extérieure de l’Union en distinguant clairement le temps de la décision politique, qui appartient au législateur et au Conseil, et celui de la défense juridique des intérêts et du droit de l’Union, qui relève de la Commission.
B. Une conception précisée de la coopération loyale dans le cadre judiciaire
Le Conseil arguait que la Commission avait manqué à son devoir de coopération loyale, consacré à l’article 13, paragraphe 2, du Traité sur l’Union européenne. La Cour, tout en rappelant l’importance de ce principe, précise qu’il « s’exerce toutefois dans le respect des limites des pouvoirs conférés dans les traités à chacune de ces institutions ». L’obligation de coopération ne peut donc modifier la répartition des compétences. La Cour constate qu’en l’espèce, la Commission a respecté cette obligation. Elle a informé le Conseil, lui a communiqué des documents de travail et a tenu compte des débats en son sein. La Cour relève notamment que la position neutre adoptée par la Commission sur la compétence du Tribunal international du droit de la mer « avait été dictée par son souci de tenir compte, dans un esprit de loyauté, des opinions divergentes exprimées par les États membres ». Cet arrêt clarifie ainsi que la coopération loyale, dans un tel contexte, impose à la Commission une obligation de consultation et d’information, mais non une obligation d’obtenir l’approbation du Conseil pour une action qui relève de sa propre compétence. La coopération est un dialogue, elle ne saurait conférer un droit de veto à une institution agissant en dehors de ses attributions.