Cour de justice de l’Union européenne, le 6 octobre 2020, n°C-245/19

Par un arrêt rendu en grande chambre le 6 octobre 2020, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les contours du droit à un recours effectif et de la notion de pertinence vraisemblable dans le cadre de la coopération administrative en matière fiscale. En l’espèce, une autorité fiscale d’un État membre a sollicité de son homologue d’un autre État membre la communication d’informations relatives à un contribuable faisant l’objet d’une enquête. L’autorité requise a alors adressé une injonction de communication de documents à une personne détentrice de ces informations. Cette dernière, ainsi que le contribuable visé, ont contesté la légalité de cette injonction devant les juridictions nationales de l’État membre requis. Saisie d’une question préjudicielle, la juridiction de renvoi a interrogé la Cour sur la compatibilité des dispositions nationales restreignant les voies de recours avec le droit de l’Union, et sur les critères permettant d’apprécier la pertinence vraisemblable des informations demandées. Le problème de droit soumis à la Cour portait donc, d’une part, sur la question de savoir si le droit à un recours effectif garanti par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne s’oppose à une législation nationale qui exclut certaines personnes du droit de contester une décision de demande d’informations. D’autre part, il s’agissait de déterminer les conditions dans lesquelles une demande d’informations peut être considérée comme n’étant pas manifestement dépourvue de toute pertinence vraisemblable au sens de la directive 2011/16/UE. La Cour de justice y répond en affirmant que si le détenteur des informations doit pouvoir exercer un recours contre l’injonction qui le vise, ce droit peut en revanche être refusé au contribuable concerné et aux tiers. Elle juge en outre que la condition de pertinence vraisemblable est satisfaite dès lors que la demande, sans identifier précisément chaque document, contient des critères de délimitation suffisants. La solution de la Cour établit ainsi une nette distinction quant à l’étendue de la protection juridictionnelle accordée aux différents acteurs (I), tout en adoptant une conception large du critère de pertinence des informations exigées (II).

I. La consécration d’une protection juridictionnelle différenciée des acteurs de l’échange d’informations

La Cour de justice opère une distinction claire entre les droits du détenteur des informations, qui bénéficie d’une protection juridictionnelle effective, et ceux du contribuable et des tiers, dont les possibilités de recours à ce stade de la procédure sont écartées. Cette différenciation repose sur une analyse de la nature de l’acte et de la position de chaque partie au regard de l’enquête fiscale.

A. La reconnaissance d’un droit au recours effectif au profit du détenteur des informations

La Cour affirme sans ambiguïté que le droit de l’Union « s’oppose à ce que la législation d’un État membre […] exclue qu’une décision par laquelle l’autorité compétente de cet État membre oblige une personne détentrice d’informations à lui fournir ces informations […] puisse faire l’objet d’un recours formé par une telle personne ». En fondant sa décision sur l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux, elle garantit que celui qui est directement visé par une mesure coercitive puisse en contester la légalité devant un juge. Le détenteur des informations, qu’il s’agisse d’un établissement financier ou de tout autre tiers, est en effet le destinataire d’un acte administratif lui imposant une obligation de faire sous peine de sanction. Il est donc logique et conforme aux principes d’un État de droit qu’il puisse faire vérifier par une instance indépendante si cette injonction respecte les conditions de fond et de forme prévues par la directive, notamment quant à la pertinence vraisemblable des informations réclamées. Cette solution assure un contrôle de légalité essentiel qui prévient les demandes arbitraires et protège le détenteur contre des ingérences excessives dans son activité, tout en respectant ses propres obligations en matière de secret professionnel ou de protection des données.

B. L’exclusion du contribuable visé et des tiers du droit de contester la demande d’informations

À l’inverse, la Cour estime que le droit de l’Union « ne s’oppose pas à ce qu’une telle législation exclue qu’une telle décision puisse faire l’objet de recours formés par le contribuable qui est visé […] ainsi que par des tierces personnes concernées ». Cette exclusion du contribuable et des tiers du champ du recours direct contre la décision de demande d’informations se justifie par la nature préparatoire de la collecte de renseignements. Pour la Cour, le droit au recours du contribuable sera pleinement garanti ultérieurement, lorsqu’il pourra contester l’avis de redressement fiscal qui serait éventuellement établi sur la base des informations collectées. Permettre une contestation à un stade aussi précoce de la procédure risquerait de paralyser la coopération administrative et de nuire à l’efficacité de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. Bien que cette position puisse sembler restreindre les droits de la défense, elle s’inscrit dans une logique de séquençage de la procédure fiscale, où chaque étape dispose de ses propres garanties. La Cour privilégie ainsi l’efficacité de l’action administrative, considérant que les droits du contribuable ne sont pas anéantis mais simplement reportés à une phase ultérieure du processus, où il disposera de tous les éléments pour organiser sa défense.

II. La définition extensive de la condition de pertinence vraisemblable des informations

Au-delà de la question des voies de recours, la Cour précise les contours de l’obligation d’information elle-même, en définissant de manière extensive le critère de la pertinence vraisemblable. Elle admet qu’une demande d’informations puisse être formulée en des termes généraux, pourvu qu’elle soit suffisamment circonscrite.

A. L’admission de critères d’identification généraux pour satisfaire à l’exigence de pertinence

La Cour de justice juge qu’une demande n’est pas « manifestement, dépourvue de toute pertinence vraisemblable » dès lors qu’elle comporte des éléments d’identification suffisants. Elle énumère ainsi « l’identité de la personne détentrice des informations en cause, celle du contribuable qui est visé par l’enquête […] et la période couverte par cette dernière ». De plus, la demande peut porter sur des documents qui, « tout en n’étant pas identifiés de façon précise, sont délimités au moyen de critères » objectifs liés au contribuable et à la période visée. Cette interprétation pragmatique empêche que l’exigence de pertinence ne devienne un obstacle insurmontable pour les autorités fiscales. En effet, ces dernières ne disposent pas toujours, au début d’une enquête, d’éléments leur permettant d’identifier chaque pièce justificative. En acceptant une désignation par catégorie, la Cour évite d’imposer un fardeau probatoire excessif à l’autorité requérante, ce qui viderait de sa substance le mécanisme d’échange d’informations. La solution adoptée constitue donc un équilibre entre la nécessité d’éviter les « pêches aux informations » et le besoin d’assurer l’effectivité de la coopération administrative.

B. La portée de la solution au service de l’efficacité de la coopération administrative

En validant une approche souple de la pertinence vraisemblable, la Cour renforce considérablement les outils à la disposition des États membres pour lutter contre l’optimisation et la fraude fiscales internationales. Cette jurisprudence a pour portée de légitimer les demandes d’informations groupées ou catégorielles, qui sont devenues un instrument essentiel de l’enquête fiscale à l’ère numérique. La décision envoie un signal clair : le principe de coopération loyale entre États membres doit primer sur une conception trop formaliste des conditions d’échange. En pratique, cette solution limite les possibilités pour les détenteurs d’informations de s’opposer à des demandes en arguant de leur caractère prétendument imprécis. Elle confirme que l’objectif d’intérêt général poursuivi par la directive 2011/16/UE, à savoir assurer l’établissement et le recouvrement corrects des impôts, justifie une interprétation large des pouvoirs des administrations fiscales, sous le contrôle du juge quant au caractère non manifestement dénué de pertinence de leurs investigations.

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Hassan KOHEN
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