Par un arrêt du 6 octobre 2021, la Cour de justice de l’Union européenne, réunie en première chambre, a précisé les contours du principe de reconnaissance mutuelle en matière d’exécution des sanctions pécuniaires. En l’espèce, une autorité administrative autrichienne avait infligé une sanction pécuniaire à une ressortissante hongroise, titulaire du certificat d’immatriculation d’un véhicule impliqué dans une infraction routière. La sanction ne réprimait pas l’infraction routière elle-même, mais le manquement de la titulaire à son obligation légale de communiquer l’identité du conducteur du véhicule au moment des faits. L’autorité autrichienne a ensuite transmis cette décision à une juridiction hongroise aux fins de son exécution, accompagnée du certificat prévu par la décision-cadre 2005/214/JAI. Dans ce certificat, l’autorité d’émission avait qualifié l’infraction de « conduite contraire aux normes qui règlent la circulation routière », la faisant ainsi relever de la liste des infractions pour lesquelles le contrôle de la double incrimination est supprimé.
Saisie de la demande d’exécution, la juridiction hongroise a exprimé des doutes quant à cette qualification. Elle estimait que le comportement sanctionné, à savoir le refus de renseigner une autorité, ne constituait pas une infraction à la réglementation routière mais une infraction distincte qui, n’étant pas nécessairement punissable en droit hongrois, justifierait un refus d’exécution après un contrôle de la double incrimination. La juridiction de renvoi a donc interrogé la Cour sur le point de savoir si l’autorité de l’État d’exécution peut contrôler la qualification juridique de l’infraction retenue par l’autorité de l’État d’émission dans le certificat et, le cas échéant, refuser l’exécution au motif que cette qualification lui paraît erronée. À cette question, la Cour de justice répond que l’autorité de l’État d’exécution est en principe liée par la qualification opérée par l’autorité de l’État d’émission et ne peut refuser la reconnaissance et l’exécution d’une décision que pour les motifs limitativement énumérés par la décision-cadre. Cette solution réaffirme avec force la primauté du principe de confiance mutuelle dans l’espace de liberté, de sécurité et de justice (I), tout en posant les limites inhérentes à un système d’exécution quasi-automatique (II).
I. La consécration d’une confiance mutuelle quasi-absolue dans la qualification de l’infraction
La Cour de justice réaffirme que le mécanisme de reconnaissance mutuelle repose sur une confiance élevée entre les États membres, ce qui confère une force probante particulière au certificat émis par l’autorité d’émission (A) et limite de manière drastique les possibilités de contrôle par l’autorité d’exécution (B).
A. La force quasi-irréfragable du certificat de l’État d’émission
Le raisonnement de la Cour s’appuie sur une lecture littérale et téléologique de la décision-cadre. Le système de reconnaissance mutuelle des sanctions pécuniaires a été conçu pour faciliter leur exécution transfrontalière, en particulier pour des infractions de masse comme les infractions routières. Pour atteindre cet objectif d’efficacité, l’article 5, paragraphe 1, de la décision-cadre instaure une liste d’infractions pour lesquelles le contrôle de la double incrimination est aboli. De manière déterminante, la Cour rappelle que ces infractions sont reconnues « telles qu’elles sont définies par le droit de l’État d’émission ». Cette précision n’est pas neutre : elle attribue la compétence exclusive de la qualification juridique à l’autorité qui a constaté et sanctionné l’infraction.
En conséquence, le certificat prévu à l’article 4 de la décision-cadre devient la pierre angulaire du dispositif. Il ne s’agit pas d’un simple document de transmission, mais de l’acte qui formalise la qualification de l’infraction et atteste de sa conformité au droit de l’État d’émission. L’autorité d’exécution doit donc, en principe, s’en remettre à l’appréciation portée par son homologue, sans pouvoir y substituer sa propre analyse juridique. La confiance mutuelle n’est plus un simple postulat politique mais se traduit par une obligation juridique précise de ne pas remettre en cause les constatations factuelles et juridiques de l’autorité émettrice.
B. Un contrôle de l’État d’exécution strictement encadré
La conséquence logique de cette primauté accordée à l’État d’émission est la limitation des motifs de refus d’exécution. La Cour rappelle que ces motifs, listés à l’article 7 de la décision-cadre, doivent être interprétés de manière restrictive. Or, aucun de ces motifs n’autorise un désaccord sur la qualification juridique de l’infraction comme cause de non-reconnaissance. L’autorité d’exécution peut certes refuser d’agir si « le certificat prévu à l’article 4 n’est pas produit, s’il est établi de manière incomplète ou s’il ne correspond manifestement pas à la décision ». Ce contrôle reste donc formel et ne porte pas sur le fond du droit.
Le seuil de la « non-correspondance manifeste » est élevé et ne saurait couvrir le cas d’une simple divergence d’interprétation. En l’espèce, l’autorité hongroise ne contestait pas que la sanction pécuniaire avait bien été prononcée pour les faits décrits, mais contestait la catégorie juridique dans laquelle ces faits avaient été classés. La Cour juge qu’une telle démarche reviendrait à réintroduire un contrôle de l’opportunité ou de la légalité de la décision d’émission, ce que le principe de reconnaissance mutuelle vise précisément à exclure. Le rôle de l’autorité d’exécution est donc celui d’un agent d’exécution, et non celui d’une juridiction de révision.
II. La portée et les garanties d’un mécanisme d’exécution rationalisé
En validant l’approche de l’autorité d’émission, la Cour admet une conception extensive des catégories d’infractions listées (A), tout en rappelant que ce mécanisme d’exécution n’est pas dépourvu de tout garde-fou, la protection des droits fondamentaux demeurant la limite ultime (B).
A. L’admission d’une interprétation extensive des catégories d’infractions
La valeur de cet arrêt réside également dans son approche pragmatique de la notion de « conduite contraire aux normes qui règlent la circulation routière ». L’infraction sanctionnée en Autriche n’était pas un excès de vitesse ou un stationnement irrégulier, mais un manquement à une obligation procédurale : celle de désigner le conducteur. En refusant de censurer la qualification retenue par l’autorité autrichienne, la Cour admet implicitement qu’une infraction connexe à la répression des infractions routières peut être rattachée à cette catégorie. Cette interprétation large est essentielle à l’efficacité du système.
En effet, de nombreux États membres ont mis en place des mécanismes de responsabilité pécuniaire du titulaire du certificat d’immatriculation, notamment pour pallier les difficultés d’identification des conducteurs. Si les infractions consistant à ne pas collaborer à cette identification étaient exclues du champ de l’article 5, paragraphe 1, une part importante des sanctions pécuniaires échapperait au système d’exécution simplifié. La solution retenue par la Cour assure donc la cohérence et l’effet utile de la décision-cadre. Elle privilégie une approche matérielle et fonctionnelle des catégories d’infractions, garantissant que les règles destinées à assurer l’effectivité de la sanction des infractions routières bénéficient du même régime de reconnaissance que les infractions routières elles-mêmes.
B. La sauvegarde des droits fondamentaux comme ultime recours
Si l’autorité d’exécution ne peut pas contrôler la qualification juridique de l’infraction, elle n’est pas pour autant contrainte à une exécution totalement aveugle. La Cour prend soin de rappeler l’existence d’une clause de sauvegarde essentielle. Conformément à l’article 20, paragraphe 3, de la décision-cadre, l’exécution peut être refusée « lorsque le certificat […] donne à penser que des droits fondamentaux ou des principes juridiques fondamentaux définis à l’article 6 du traité ont pu être violés ». Ce motif de refus constitue la limite de la confiance mutuelle.
Cette disposition permet à l’autorité d’exécution de s’opposer à une décision qui, par exemple, aurait été rendue en violation manifeste des droits de la défense ou du principe de légalité des délits et des peines. La charge de la preuve est cependant élevée : il ne suffit pas d’avoir un doute, il faut que le certificat lui-même contienne des indices d’une telle violation. Bien que ce ne soit pas le cas en l’espèce, cette mention par la Cour n’est pas anodine. Elle signifie que si le principe est l’exécution quasi automatique fondée sur la confiance, cette confiance cède lorsque les fondements mêmes de l’État de droit, partagés par tous les États membres, sont en jeu.