Par un arrêt rendu sur question préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé le champ d’application de l’exonération de taxe sur la valeur ajoutée applicable aux opérations de crédit. En l’espèce, un fonds de titrisation polonais envisageait de conclure des contrats dits de sous-participation. Selon ce montage, le fonds, en qualité de sous-participant, s’engageait à verser un apport financier à une autre entité, l’initiateur, en contrepartie du transfert de tous les produits issus de créances spécifiées. Ces créances demeuraient cependant dans les actifs de l’initiateur. Souhaitant s’assurer du régime fiscal de cette opération, le fonds a sollicité un rescrit auprès de l’administration fiscale polonaise pour confirmer que ses prestations pouvaient bénéficier d’une exonération de TVA.
Par un rescrit du 30 décembre 2015, l’autorité fiscale a estimé que l’opération n’était pas exonérée. Elle soutenait que le contrat de sous-participation ne constituait pas un octroi de crédit, notamment car la créance restait dans les actifs de l’initiateur et qu’en cas de faillite du débiteur, le sous-participant ne disposait d’aucun droit de créance contre l’initiateur. Le fonds a alors formé un recours contre ce rescrit devant le tribunal administratif de voïvodie de Varsovie qui, par un jugement du 25 mai 2017, a annulé la décision administrative. Les juges du fond ont considéré que le contrat de sous-participation, ayant pour objet principal de financer l’initiateur, constituait un instrument financier analogue aux contrats de crédit et devait être exonéré. L’autorité fiscale a formé un pourvoi contre ce jugement devant la Cour suprême administrative de Pologne. Cette dernière, relevant les particularités du contrat qui le distinguent d’un crédit classique, a décidé de surseoir à statuer.
La juridiction de renvoi a donc interrogé la Cour afin de savoir si un contrat de sous-participation, malgré ses spécificités le distinguant d’un prêt traditionnel, devait être qualifié d’opération d’octroi de crédit au sens de l’article 135, paragraphe 1, sous b), de la directive TVA.
La Cour de justice répond par l’affirmative à cette question. Elle juge que « relèvent de la notion d’octroi de crédit, au sens de cette disposition, les services fournis par un sous-participant au titre d’un contrat de sous-participation, consistant en la mise à disposition de l’initiateur d’un apport financier en échange du versement des produits issus des créances spécifiées dans ce contrat, lesquelles restent dans les actifs de l’initiateur ».
Pour parvenir à cette solution, la Cour a privilégié une analyse fonctionnelle de l’opération, la qualifiant d’octroi de crédit sur la base de ses éléments essentiels (I). Cette décision confirme une interprétation extensive de l’exonération, renforçant ainsi le principe de neutralité fiscale pour les instruments de financement complexes (II).
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I. L’affirmation d’une approche fonctionnelle de l’opération de crédit
La Cour de justice consacre la qualification d’octroi de crédit en se fondant sur la substance économique de l’opération plutôt que sur sa forme juridique. Elle identifie d’abord les éléments essentiels de la notion (A), avant de juger inopérantes les caractéristiques spécifiques du contrat de sous-participation qui étaient avancées pour l’en exclure (B).
A. L’identification des éléments essentiels de l’octroi de crédit
La Cour rappelle avec constance que les exonérations prévues par la directive TVA constituent des notions autonomes du droit de l’Union et sont d’interprétation stricte. Toutefois, elle veille à ce que cette interprétation ne prive pas les exonérations de leurs effets. Dans ce cadre, elle réaffirme sa définition de l’octroi de crédit, qui « consiste, notamment, en la mise à disposition d’un capital contre rémunération ». L’opération est ainsi définie par deux critères cumulatifs : le versement d’un capital et l’existence d’une contrepartie pour le prêteur.
En l’espèce, le contrat de sous-participation remplit bien cette double condition. Le sous-participant met à la disposition de l’initiateur un apport financier, ce qui correspond à la mise à disposition d’un capital. En retour, il perçoit une rémunération qui « consiste en la différence entre le capital versé à l’initiateur et les montants perçus par le sous-participant pendant la durée du contrat ». La Cour précise que la forme de cette rémunération importe peu, confirmant sa jurisprudence antérieure selon laquelle d’autres formes que le versement d’intérêts n’empêchent pas la qualification d’octroi de crédit. L’analyse se concentre sur la finalité de financement de l’opération et sur le bénéfice économique qui en découle pour le prestataire de services.
B. La neutralisation des spécificités du contrat de sous-participation
L’autorité fiscale polonaise et la juridiction de renvoi mettaient en avant plusieurs particularités du contrat de sous-participation pour le distinguer d’un crédit traditionnel. La Cour les examine successivement pour en écarter la pertinence. Premièrement, le fait que les titres de créance restent dans les actifs de l’initiateur et que le sous-participant ne dispose d’aucun recours contre ce dernier en cas de défaillance des débiteurs n’est pas jugé déterminant. Pour la Cour, « la circonstance que le sous-participant soit exposé à des pertes potentielles et supporte ainsi le risque de crédit est inhérente à toute opération d’octroi de crédit ». Le risque est consubstantiel au prêt, qu’il porte sur l’insolvabilité du cocontractant direct ou des débiteurs finaux.
Deuxièmement, l’absence de garanties constituées en faveur du sous-participant est également jugée sans incidence. La Cour estime que de telles mesures, visant à atténuer le risque, « ne revêtent pas un caractère essentiel pour une telle qualification », celle-ci reposant uniquement sur la mise à disposition d’un capital et le versement d’une rémunération. En subordonnant la qualification aux seuls éléments fonctionnels de l’opération, la Cour écarte les aspects formels ou accessoires du contrat, consolidant ainsi une approche purement économique de la notion de crédit en matière de TVA.
II. La consolidation du principe de neutralité en matière de TVA financière
En qualifiant le contrat de sous-participation d’opération de crédit exonérée, la Cour de justice étend le bénéfice de l’exonération à des montages financiers innovants. Cette solution réaffirme une lecture large et pragmatique des exonérations financières (A), ce qui aura des conséquences prévisibles sur la structuration des opérations de financement (B).
A. La confirmation d’une interprétation finaliste des exonérations financières
L’arrêt s’inscrit dans une ligne jurisprudentielle qui, tout en rappelant le principe d’interprétation stricte des exonérations, veille à ne pas en dénaturer l’objectif. La Cour rappelle que l’exonération des opérations de crédit vise notamment à « éviter une augmentation du coût du crédit à la consommation » et plus largement du crédit en général. Soumettre des opérations de financement complexes à la TVA alors que des opérations économiquement équivalentes comme les prêts traditionnels en sont exonérées créerait une distorsion de concurrence et contreviendrait au principe de neutralité fiscale.
La Cour veille donc à ce que des opérateurs économiques proposant des services de financement objectivement similaires soient traités de manière identique au regard de la TVA. En se détachant des qualifications nationales et des formes contractuelles pour se concentrer sur la substance économique, elle garantit l’application uniforme du droit de l’Union. Cette approche pragmatique permet d’adapter l’application de la directive TVA à l’évolution des pratiques du secteur financier, où des instruments hybrides et complexes comme la sous-participation sont devenus courants.
B. L’impact prévisible sur la structuration des opérations de financement
La décision apporte une sécurité juridique bienvenue aux acteurs du marché financier. En validant l’exonération de TVA pour les contrats de sous-participation, la Cour reconnaît la nature financière de ces instruments et les intègre pleinement dans le périmètre des opérations de crédit. Cette solution est de nature à encourager le recours à de tels montages, qui permettent aux initiateurs d’obtenir des liquidités tout en conservant les créances à leur bilan, ce qui peut présenter des avantages réglementaires ou comptables.
À plus long terme, la portée de cet arrêt dépasse le seul cas du contrat de sous-participation. Il envoie un signal clair : toute opération, quelle que soit sa dénomination ou sa structure juridique, dont la fonction essentielle est de mettre un capital à disposition d’un agent économique en échange d’une rémunération, a vocation à être qualifiée d’octroi de crédit et à bénéficier de l’exonération de TVA. Cette jurisprudence renforce la prévisibilité du régime fiscal pour l’ingénierie financière et confirme que la neutralité de la TVA doit prévaloir sur des distinctions formelles qui ne reflètent pas la réalité économique des transactions.