Une ressortissante polonaise et une ressortissante tchèque se sont installées au Royaume-Uni avant l’adhésion de leur État respectif à l’Union européenne. Elles y ont exercé une activité indépendante avant de solliciter le bénéfice d’une prestation d’assistance sociale refusée par les autorités nationales compétentes. Les requérantes assuraient la garde d’enfants scolarisés sur le territoire de l’État d’accueil, situation susceptible de fonder un droit de séjour autonome.
L’Upper Tribunal (Administrative Appeals Chamber) du Royaume-Uni, par décisions du 14 mars 2011, a décidé de surseoir à statuer sur les recours formés. Le représentant de l’État contestait la reconnaissance d’un droit de séjour pour des personnes n’ayant jamais eu le statut de travailleur salarié. La juridiction de renvoi a alors saisi la Cour de justice de l’Union européenne pour interpréter les dispositions relatives à la libre circulation des personnes.
Le juge européen devait déterminer si le droit de séjour du parent gardien d’un enfant scolarisé s’étend aux travailleurs non salariés du marché intérieur. Il convenait également de préciser si les périodes de résidence effectuées avant l’adhésion d’un État comptent pour l’acquisition d’un droit de séjour permanent.
La Cour affirme que le règlement de 1968 confère un droit de séjour au parent gardien seulement si l’un des parents est un travailleur salarié. Elle reconnaît néanmoins l’acquisition du droit de séjour permanent pour les citoyens ayant séjourné cinq ans, incluant les périodes antérieures à l’intégration européenne. L’analyse portera d’abord sur l’exclusion des indépendants du droit au séjour lié à la scolarisation puis sur la protection offerte par le statut de citoyen.
I. La distinction rigoureuse entre les statuts professionnels pour le droit au séjour dérivé
A. La consécration du droit de séjour lié à la scolarisation des enfants de salariés
La Cour rappelle que l’enfant d’un travailleur migrant bénéficie d’un droit d’accès à l’enseignement général dans les mêmes conditions que les nationaux de l’État d’accueil. Ce droit implique nécessairement un droit de séjour pour l’enfant ainsi que pour le parent qui en assure effectivement la garde durant le cursus scolaire. Dans l’affaire concernant la ressortissante tchèque, le père de l’enfant avait exercé une activité salariée durant plusieurs années sur le territoire de l’État d’accueil. La Cour estime qu’en « qualité de mère d’un enfant d’un travailleur migrant… elle dispose donc, en vertu de l’article 12 du règlement no 1612/68, d’un droit de séjour ». La solution protège la stabilité du foyer familial afin de garantir l’intégration effective de l’enfant au sein du système éducatif de l’État membre d’accueil. Cette protection demeure toutefois strictement circonscrite au cadre professionnel salarié défini par les textes européens en vigueur au moment des faits litigieux.
B. L’exclusion littérale des travailleurs non salariés du champ du règlement de 1968
La situation de la ressortissante polonaise soulève la question de l’extension de cette jurisprudence aux travailleurs indépendants n’ayant jamais exercé d’activité salariée. La Cour rejette cette interprétation extensive en s’appuyant sur le libellé précis des dispositions du règlement relatif à la libre circulation des travailleurs. Elle juge que « l’article 12 du règlement no 1612/68, ne visant que les travailleurs salariés, ne saurait, par conséquent, être interprété comme s’appliquant également aux travailleurs non salariés ». Une interprétation contraire priverait de tout effet utile le texte qui mentionne expressément les enfants de ressortissants employés sur le territoire d’un État. La juridiction souligne l’économie générale du règlement fondé sur les articles du traité régissant exclusivement la libre circulation des seuls travailleurs salariés de l’Union. Ce refus catégorique d’assimiler les statuts professionnels oblige le juge européen à rechercher un autre fondement juridique pour garantir la présence des ressortissants.
II. La consolidation du droit de séjour par la reconnaissance de la citoyenneté européenne
A. La rétroactivité fonctionnelle des périodes de séjour antérieures à l’adhésion
Le juge européen s’attache à vérifier si le droit de séjour permanent peut être acquis malgré le caractère récent de l’adhésion des États concernés. Il affirme que les périodes de séjour accomplies avant l’entrée dans l’Union doivent être prises en compte pour le calcul de la durée de résidence. Le droit permanent s’acquiert « lorsqu’il a séjourné pendant une période ininterrompue de plus de cinq ans… dont une partie a été accomplie antérieurement à l’adhésion ». Cette solution favorise l’intégration des ressortissants de nouveaux États membres en valorisant la durée effective de leur présence sur le territoire de l’État d’accueil. L’acquisition de ce droit n’est pas subordonnée à l’exercice d’une activité salariée mais à la stabilité de la résidence durant le délai requis. Cette protection par le séjour permanent constitue un palliatif efficace à l’absence de droits dérivés fondés sur une activité professionnelle de nature indépendante.
B. La légalité du séjour comme condition essentielle de l’acquisition du droit permanent
La reconnaissance du séjour permanent demeure soumise au respect des conditions de légalité prévues par le droit de l’Union durant la période de cinq ans. La Cour vérifie que l’intéressée disposait de ressources suffisantes et d’une assurance maladie afin de ne pas constituer une charge excessive pour l’assistance sociale. Elle note que la requérante satisfaisait aux exigences posées par la directive de 2004, permettant ainsi la validation de sa résidence au regard du droit européen. Le droit de séjour permanent acquis au titre de l’article 16 de ladite directive « n’est pas soumis aux conditions prévues au chapitre III » de ce texte. La stabilité résidentielle transforme ainsi une situation précaire en un droit ferme protégeant le citoyen contre toute mesure d’éloignement fondée sur l’insuffisance de ressources. Le juge européen parvient ainsi à concilier la lettre étroite des règlements professionnels avec l’ambition d’une citoyenneté européenne unificatrice et protectrice.