Cour de justice de l’Union européenne, le 6 septembre 2012, n°C-28/11

La décision commentée, rendue par la Cour de justice de l’Union européenne, apporte un éclaircissement significatif sur les conséquences du non-respect des obligations formelles attachées au régime de l’entrepôt douanier. En l’espèce, un opérateur économique agréé pour la gestion d’un entrepôt douanier privé avait placé des marchandises non communautaires sous ce régime en vue de leur réexportation. Si les marchandises ont bien été réexportées conformément à la réglementation, l’opérateur n’a inscrit leur sortie dans la comptabilité matières informatisée qu’avec des retards importants, allant de onze à cent vingt-six jours. À la suite d’un contrôle, les autorités douanières nationales ont notifié à l’opérateur un avis de recouvrement des droits à l’importation, estimant que l’inscription tardive constituait une inexécution des obligations du régime douanier. L’opérateur a contesté cette décision, arguant que l’obligation de mise à jour de la comptabilité matières, intervenant après l’apurement du régime, ne pouvait donner naissance à une dette douanière. Saisie du litige, la juridiction nationale, un tribunal des finances allemand, a éprouvé des doutes quant à l’interprétation du droit de l’Union. Elle a donc décidé de surseoir à statuer pour poser à la Cour de justice une question préjudicielle. Il s’agissait de déterminer si l’article 204, paragraphe 1, sous a), du code des douanes communautaire devait être interprété en ce sens que la violation de l’obligation d’inscrire la sortie des marchandises de l’entrepôt dans les registres prévus à cet effet, non pas immédiatement mais à une date nettement ultérieure, fait naître une dette douanière, alors même que ces marchandises ont par ailleurs reçu une nouvelle destination douanière conforme. À cette question, la Cour répond par l’affirmative. Elle juge que l’inexécution de l’obligation d’inscrire la sortie de la marchandise de l’entrepôt douanier dans la comptabilité matières, au plus tard au moment de cette sortie, suffit à faire naître une dette douanière, quand bien même la marchandise aurait été réexportée.

Cette solution réaffirme une application rigoureuse des conditions du régime de l’entrepôt douanier, dont le bénéfice est strictement subordonné au respect de l’ensemble des obligations qui en découlent. Elle consacre ainsi une conception stricte des obligations formelles en matière douanière (I), tout en confirmant la portée très limitée des mécanismes permettant à l’opérateur d’échapper à la naissance d’une dette (II).

I. L’affirmation d’une conception stricte des obligations formelles en matière douanière

La Cour de justice fonde sa décision sur une interprétation qui ne hiérarchise pas les obligations incombant à l’entreposeur. Elle rappelle que la tenue de la comptabilité matières constitue une obligation essentielle dont la violation compromet la finalité même du régime (A), entraînant ainsi la naissance quasi automatique d’une dette douanière (B).

A. Le caractère essentiel de l’obligation de tenue de la comptabilité matières

Le régime de l’entrepôt douanier offre un avantage considérable en permettant de stocker des marchandises non communautaires en suspension de droits à l’importation. Cet avantage est cependant conditionnel. La Cour rappelle que le respect des obligations imposées par la réglementation est la contrepartie de la suspension des droits, car ces obligations permettent aux autorités douanières d’assurer une surveillance efficace des marchandises. Parmi celles-ci, « celle de tenir une comptabilité matières des marchandises placées sous le régime de l’entrepôt douanier, prévue à l’article 105 du code des douanes, est considérée comme une obligation essentielle liée à ce régime ». En effet, cette comptabilité doit, selon les textes, faire apparaître à tout moment l’état du stock.

Le manquement constaté en l’espèce, à savoir l’enregistrement tardif des sorties, est donc analysé non comme une simple irrégularité administrative, mais comme une défaillance qui « compromet la surveillance douanière ». La Cour souligne que la présence de marchandises non communautaires sur le territoire de l’Union comporte un « risque que ces marchandises finissent par être intégrées, sans être dédouanées, dans le circuit économique des États membres ». L’obligation de suivi en temps réel des stocks est donc un pilier du système, destiné à prévenir ce risque. Toute défaillance dans ce suivi est perçue comme créant une rupture dans le contrôle douanier, justifiant une réaction ferme.

B. La naissance quasi automatique de la dette douanière en cas de manquement

L’opérateur économique soutenait que l’obligation de mise à jour comptable, intervenant après l’apurement du régime, ne pouvait engendrer une dette. La Cour écarte cet argument avec force en se référant à sa jurisprudence antérieure. Elle juge qu’« aucune disposition du code des douanes et de son règlement d’application ne permet d’établir qu’il y a lieu […] de distinguer entre une obligation devant s’effectuer avant l’apurement du régime douanier concerné et une obligation devant s’effectuer après un tel apurement, ou encore entre une obligation dite ‘principale’ et une autre dite ‘secondaire’ ».

Cette position a pour effet de placer toutes les obligations sur un pied d’égalité quant à leur capacité à faire naître une dette douanière en cas d’inexécution. La naissance de la dette devient la conséquence mécanique de la constatation d’un manquement, quel qu’il soit. Le fait que les marchandises aient été matériellement réexportées ne saurait purger l’irrégularité commise. La dette naît non pas parce que les marchandises sont indûment entrées sur le marché de l’Union, mais parce que l’une des conditions mises à la suspension des droits n’a pas été respectée, rendant l’opérateur rétroactivement inéligible à l’avantage conféré par le régime.

La rigueur de ce principe est d’autant plus marquée que les possibilités pour l’opérateur de démontrer sa bonne foi ou l’absence d’impact réel de son manquement sont, comme le confirme la Cour, très étroitement encadrées.

II. La portée très limitée des mécanismes d’exonération de la dette

Face à la naissance d’une dette douanière, l’opérateur dispose en théorie de moyens pour faire valoir que son manquement ne justifie pas une telle conséquence. La Cour, cependant, en adoptant une lecture restrictive des textes, ferme la porte à toute souplesse (A) et qualifie la dette non comme une sanction, mais comme la simple conséquence de la défaillance de l’opérateur (B).

A. L’interprétation restrictive de l’exception pour manquement « sans conséquence réelle »

L’article 204, paragraphe 1, du code des douanes prévoit qu’une dette douanière ne naît pas si l’inexécution de l’obligation est « restée sans conséquence réelle sur le fonctionnement correct du dépôt temporaire ou du régime douanier considéré ». L’article 859 du règlement d’application dresse une liste des manquements susceptibles de bénéficier de cette clause d’exemption. La Cour rappelle avec fermeté que cette liste est exhaustive. Elle se réfère pour cela à sa jurisprudence constante, selon laquelle l’article 859 « met valablement en place un régime régissant de manière exhaustive les manquements […] qui ‘sont restés sans conséquence réelle’ ».

Or, l’inscription tardive dans la comptabilité matières ne figure pas dans cette liste. Par conséquent, ce manquement ne peut bénéficier de l’exception, et ce, indépendamment du fait que les marchandises ont été effectivement réexportées et que le préjudice pour le budget de l’Union est nul. Cette approche formaliste empêche toute appréciation au cas par cas par les autorités douanières ou le juge national. Même si l’opérateur prouvait l’absence de toute intention de fraude et l’absence de tout impact sur le statut douanier final des marchandises, il ne pourrait échapper à la naissance de la dette.

B. La qualification de la dette douanière comme simple conséquence de l’inéligibilité au régime suspensif

Pour parfaire son raisonnement, la Cour prend soin de préciser la nature juridique de la dette douanière dans de telles circonstances. Reprenant les conclusions de son avocat général, elle énonce que « l’obligation de payer des droits de douane dans un tel cas constitue non pas une sanction administrative, fiscale ou pénale, mais la simple conséquence de la constatation de l’absence de réunion des conditions requises aux fins de l’obtention de l’avantage ». Le régime de l’entrepôt douanier étant un avantage conditionnel, le non-respect d’une seule de ses conditions entraîne la déchéance de cet avantage.

Cette qualification a des implications importantes. Elle rend inopérants les arguments fondés sur le principe de proportionnalité de la sanction, puisque la dette n’est pas une sanction. Elle est la simple application du tarif douanier commun, rendue exigible par la défaillance de l’opérateur dans le respect de ses engagements. La naissance de la dette n’a donc pas pour objet de punir un comportement, mais de rétablir la situation qui aurait dû être celle si l’avantage du régime suspensif n’avait pas été accordé. La solution est ainsi d’une logique implacable : le non-respect des règles du jeu emporte la fin du bénéfice de ces règles.

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Hassan KOHEN
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