Cour de justice de l’Union européenne, le 6 septembre 2012, n°C-380/11

Par un arrêt en date du 6 septembre 2012, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur la compatibilité d’une législation fiscale nationale avec la liberté d’établissement garantie par le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

En l’espèce, une société établie au Luxembourg avait bénéficié d’une réduction de son impôt sur la fortune. Cet avantage était conditionné à la constitution d’une réserve spéciale et à son maintien au bilan pendant une période de cinq années. Avant l’expiration de ce délai, cette société a transféré son siège social en Italie, où elle a ensuite été absorbée par une autre société. L’administration fiscale luxembourgeoise a alors retiré le bénéfice de la réduction d’impôt, estimant que la condition de maintien de l’assujettissement à l’impôt luxembourgeois pendant cinq ans n’était plus remplie du fait du transfert de siège. Saisie d’un recours par la société absorbante, agissant en tant que successeur juridique, le tribunal administratif luxembourgeois a interrogé la Cour de justice sur la conformité de cette législation avec le droit de l’Union. La question posée était de savoir si l’article 49 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne s’oppose à une réglementation nationale qui subordonne l’octroi d’une réduction d’impôt à la condition que le contribuable reste assujetti à cet impôt dans l’État membre concerné pendant les cinq années suivantes. La Cour répond par l’affirmative, considérant qu’une telle condition constitue une restriction injustifiée à la liberté d’établissement. Cette solution, qui identifie clairement une restriction à la liberté d’établissement (I), s’inscrit dans une jurisprudence constante qui contrôle rigoureusement les justifications avancées par les États membres (II).

I. La caractérisation d’une restriction à la liberté d’établissement

La Cour de justice adopte un raisonnement en deux temps pour établir l’existence d’une restriction. Elle constate d’abord l’existence d’une différence de traitement qui constitue une entrave (A), puis elle écarte l’argument d’une différence de situation objective entre les sociétés (B).

A. Une différence de traitement constitutive d’une entrave

La Cour constate qu’un traitement fiscal désavantageux est réservé à la société qui exerce sa liberté d’établissement par rapport à une société qui maintient son siège sur le territoire national. Le transfert du siège social en dehors du Luxembourg avant l’expiration du délai de cinq ans entraîne la perte immédiate de l’avantage fiscal. En revanche, une société demeurant au Luxembourg ne perdrait cet avantage que si elle utilisait la réserve à des fins non autorisées par la loi. Cette différence de traitement est susceptible de dissuader une société de transférer son siège dans un autre État membre. La Cour souligne que cette mesure « est de nature à décourager les sociétés de droit luxembourgeois de procéder au transfert de leur siège dans un autre État membre pendant la période de cinq années suivant l’année d’imposition au cours de laquelle la réduction de l’impôt sur la fortune leur a été octroyée ». La restriction est donc constituée par l’effet dissuasif de la législation sur l’exercice d’une liberté fondamentale garantie par le Traité. Toute mesure qui rend moins attrayant l’exercice de la liberté d’établissement est ainsi qualifiée de restriction, conformément à une jurisprudence bien établie.

B. La similarité des situations au regard de l’avantage fiscal

Face à l’argument du gouvernement luxembourgeois, la Cour examine si la différence de traitement pourrait s’expliquer par une différence de situation objective. Elle rejette cette analyse en se plaçant du point de vue de l’objectif de la réglementation nationale. L’avantage fiscal en cause vise à réduire un impôt sur la fortune générée sur le territoire luxembourgeois. À cet égard, la situation d’une société qui transfère son siège et celle d’une société qui le maintient sont jugées similaires. La Cour précise que « la situation d’une société constituée selon la législation dudit État membre qui transfère son siège social dans un autre État membre est similaire à celle d’une société constituée également selon la législation du premier État membre et maintenant son siège social dans cet État membre, pour ce qui concerne la réduction de l’impôt sur la fortune qui a été générée dans le premier État membre antérieurement au transfert de siège social ». Le fait générateur de l’avantage fiscal est entièrement localisé au Luxembourg et est antérieur au transfert. La perte ultérieure de la qualité de contribuable résident est donc sans pertinence pour apprécier la comparabilité des situations au regard de cet avantage spécifique.

II. Le rejet des justifications tirées de la souveraineté fiscale

Une fois la restriction établie, la Cour examine si elle peut être justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général. Elle analyse et rejette successivement les arguments avancés par le gouvernement luxembourgeois, considérant les motifs invoqués comme inopérants (A), ce qui confirme la portée de sa jurisprudence en matière de libertés fondamentales (B).

A. L’inopérance des motifs d’intérêt général invoqués

La Cour écarte d’abord la justification tirée de la nécessité de préserver la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres. Elle juge que le retrait d’un avantage fiscal déjà accordé au moment du transfert de siège ne garantit en rien le pouvoir d’imposition futur de l’État d’origine. Ensuite, la Cour rejette l’argument de la cohérence du régime fiscal. Pour qu’une telle justification soit admise, il doit exister un lien direct entre l’avantage fiscal accordé et sa compensation par un prélèvement fiscal déterminé. Or, en l’espèce, un tel lien fait défaut. L’avantage, qui est une réduction de l’impôt sur la fortune, n’est pas directement compensé par une imposition ultérieure déterminée qui serait perdue du fait du départ de la société. Enfin, la Cour rappelle que la recherche de recettes fiscales ne constitue pas une raison impérieuse d’intérêt général pouvant justifier une entrave à une liberté fondamentale. Cet argument, tiré des travaux préparatoires de la loi, est donc écarté conformément à une jurisprudence constante qui proscrit les justifications purement économiques.

B. La portée confirmative de la décision

En définitive, cet arrêt ne constitue pas un revirement de jurisprudence mais bien une confirmation de la ligne directrice suivie par la Cour en matière de fiscalité directe. La décision réaffirme avec force que les États membres ne peuvent conditionner l’octroi d’un avantage fiscal, acquis sur leur territoire, à une obligation pour le contribuable de conserver sa résidence fiscale sur ce même territoire. Une telle condition revient à ériger une barrière à la sortie, ce qui est contraire à l’essence même de la liberté d’établissement. En censurant une législation qui lie l’octroi d’un avantage fiscal à la pérennité de la qualité de contribuable, la Cour protège l’effet utile de l’article 49 du Traité. Elle rappelle que si les États membres restent compétents pour définir leurs systèmes d’imposition, ils doivent exercer cette compétence dans le respect des libertés fondamentales garanties par le droit de l’Union. La solution retenue s’inscrit donc dans une démarche cohérente de démantèlement des obstacles fiscaux à la mobilité des entreprises au sein du marché intérieur.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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