La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt du 7 août 2018, précise les contours de la rétroactivité de la loi pénale plus douce. La juridiction répond à une question préjudicielle portant sur l’interprétation de l’article 49, paragraphe 1, troisième phrase, de la Charte des droits fondamentaux. Entre 1987 et 1992, des exportateurs ont perçu des restitutions particulières pour de la viande bovine en déclarant des morceaux provenant de quartiers arrière. Les autorités ont découvert que les marchandises exportées provenaient en réalité de quartiers avant, non éligibles aux aides financières selon la réglementation alors applicable.
Le Tribunal correctionnel de La Rochelle a prononcé la relaxe des prévenus le 3 décembre 2013, décision confirmée par la Cour d’appel de Poitiers le 12 mars 2015. Les juges du fond ont considéré que l’extension ultérieure des restitutions aux quartiers avant devait profiter rétroactivement aux personnes poursuivies pour fausse déclaration. La Cour de cassation, saisie du pourvoi, a sursis à statuer par décision du 23 novembre 2016 pour interroger la Cour de justice sur ce point. Le problème juridique consiste à savoir si le principe de la loi pénale plus douce s’oppose à la condamnation pour l’obtention de restitutions indues. La solution repose sur l’absence d’influence du changement de réglementation économique sur la qualification pénale de la fraude.
I. L’interprétation restrictive du changement de législation pénale
A. La distinction entre la norme d’incrimination et la règle technique
Le principe de rétroactivité suppose nécessairement une succession de lois dans le temps traduisant un changement d’opinion du législateur sur la qualification ou la peine. La Cour souligne que « le législateur a changé d’avis soit sur la qualification pénale des faits soit sur la peine à appliquer à une infraction ». Or, la disposition nationale réprimant les fausses déclarations douanières n’a subi aucune modification textuelle ou matérielle depuis la commission des faits litigieux. L’incrimination de la fraude demeure identique, car la volonté de sanctionner les manœuvres visant à obtenir un avantage indu reste fermement ancrée dans l’ordre juridique.
La modification du règlement communautaire relatif aux critères d’éligibilité des viandes ne touche pas directement au cœur de l’interdiction pénale de la fausse déclaration. Les juges distinguent clairement la règle de fond qui définit les conditions d’obtention d’une aide de la règle répressive qui punit le mensonge. Un changement dans la première n’entraîne pas automatiquement l’effacement de la seconde, tant que la réprobation du comportement frauduleux demeure inchangée par le pouvoir souverain.
B. L’absence de remise en cause de la réprobation sociale
La transformation des critères d’octroi des restitutions particulières s’explique par des considérations purement économiques liées à l’évolution constante du marché mondial de la viande. Le législateur de l’Union a cherché à adapter la réglementation aux réalités changeantes des flux commerciaux internationaux sans modifier son appréciation sur la gravité des fraudes. La décision énonce que cette modification « s’est fondée sur une appréciation purement économique et technique de la situation du marché global de la viande ». L’assouplissement des conditions techniques ne vaut donc pas pardon légal pour les comportements trompeurs adoptés sous l’empire de la législation antérieure.
L’idée de nécessité de la peine, intrinsèquement liée au principe de rétroactivité, revêt un caractère particulier dans le cadre d’une réglementation économique par nature fluctuante. L’évolution des circonstances de marché ne rend pas moins nécessaire la sanction des atteintes passées aux procédures régulières de déclaration douanière et financière. Les prévenus ne peuvent se prévaloir d’un changement de politique sectorielle pour échapper aux conséquences pénales de leurs actes de dissimulation volontaire.
II. Le maintien de la répression face aux impératifs financiers
A. La permanence des éléments constitutifs de la manœuvre frauduleuse
L’infraction reprochée repose sur l’usage de manœuvres ou de fausses déclarations pour obtenir un avantage auquel l’opérateur n’avait aucun droit au moment de sa demande. La Cour de justice affirme que la modification ultérieure « n’a pas modifié les éléments constitutifs de l’infraction » initialement reprochée aux différents acteurs de cette procédure. Le caractère pénalement répréhensible du mensonge administratif demeure entier puisque la vérité de la déclaration s’apprécie exclusivement au jour du dépôt des documents officiels. La validité théorique d’une demande identique sous une loi nouvelle ne saurait régulariser a posteriori un dol commis dans le cadre d’un système juridique différent.
Le principe de loyauté de l’opérateur économique envers l’administration constitue le fondement de la stabilité des relations contractuelles et financières au sein de l’espace commun. En déclarant sciemment une nature de marchandise différente de la réalité physique, les exportateurs ont violé une obligation de probité qui demeure impérieuse et constante. La sanction du mensonge conserve sa pertinence sociale et juridique, car elle protège l’intégrité de la procédure déclarative indépendamment de la destination finale des fonds.
B. L’effectivité de la protection des intérêts de l’Union
L’application du principe de rétroactivité dans de telles circonstances affaiblirait dangereusement la répression des atteintes graves portées aux intérêts financiers de l’Union européenne. Les États membres ont le devoir de sanctionner efficacement les personnes obtenant indûment des avantages financiers pour garantir le respect de l’article 325 du traité. La solution retenue confirme que le droit primaire ne peut être interprété d’une manière qui ferait obstacle à l’obligation de protéger le budget européen. Le juge national doit assurer une sanction proportionnée et dissuasive des fraudes, conformément aux exigences de l’article 4, paragraphe 3, du Traité sur l’Union européenne.
La portée de cet arrêt réside dans la préservation de l’effet utile des sanctions pénales face aux aléas de la réglementation technique et économique sectorielle. Une interprétation trop large de la rétroactivité in mitius transformerait chaque ajustement de politique agricole en une amnistie générale pour les fraudeurs du passé. La Cour garantit ainsi la sécurité juridique et la continuité de la lutte contre les détournements de fonds publics au bénéfice de l’intégrité du marché intérieur.