Un accident de la circulation est survenu le 19 juin 1999, impliquant une camionnette dépourvue de sièges fixes dans sa partie arrière. Un passager transporté dans cette zone a subi de graves dommages corporels lors d’une collision survenue sur la voie publique. L’assureur du véhicule a refusé l’indemnisation en invoquant une clause contractuelle d’exclusion de garantie fondée sur la législation nationale alors en vigueur.
Le passager a saisi la High Court de Dublin afin d’obtenir la réparation de son préjudice auprès du conducteur, du propriétaire et de l’assureur. Par un jugement du 5 février 2009, cette juridiction a estimé que l’obligation d’interprétation conforme imposait d’écarter l’exclusion de garantie prévue par la loi nationale. L’assureur a interjeté appel devant la Court of Appeal de Dublin en soutenant que cette décision conférait un effet direct horizontal indû à la directive.
La juridiction d’appel, par une décision du 2 mars 2017, a relevé que la loi nationale excluait sans ambiguïté la couverture obligatoire pour les passagers. Elle a considéré qu’une interprétation compatible avec le droit de l’Union se heurterait à une lecture littérale et délibérée du législateur national. La question était de savoir si le juge doit laisser inappliquées des dispositions nationales contraires à une directive dans un litige entre particuliers.
La Cour de justice de l’Union européenne, saisie par la voie préjudicielle, a rendu son arrêt en Grande chambre le 7 août 2018. Elle a dit pour droit que le juge national n’est pas tenu de laisser inappliquées des dispositions nationales contraires à une directive. Cette solution s’applique dès lors que le litige oppose exclusivement des particuliers et qu’une interprétation conforme s’avère impossible. La victime peut toutefois rechercher la responsabilité de l’État membre pour obtenir la réparation du dommage résultant de la non-conformité législative.
L’analyse portera d’abord sur l’impossibilité d’opposer l’effet direct d’une directive à un particulier (I), avant d’examiner la préservation de la sécurité juridique par les voies de recours subsidiaires (II).
I. L’impossibilité d’opposer l’effet direct d’une directive à un particulier
L’arrêt rappelle les conditions d’application des directives dans les relations privées en refusant d’étendre leur force obligatoire immédiate aux litiges horizontaux. Il convient d’analyser l’absence d’invocabilité directe dans les rapports horizontaux (A) puis le rejet de l’éviction des dispositions nationales contraires (B).
A. L’absence d’invocabilité directe de la directive dans les rapports horizontaux
La Cour rappelle que l’instrument européen « ne peut pas, par elle-même, créer d’obligations pour un particulier » et demeure donc inopposable entre personnes privées. Cette position protège la compétence de l’Union qui ne peut édicter des obligations immédiates pour les citoyens que par la voie des règlements. Le juge refuse ainsi de transformer un instrument de rapprochement des législations nationales en une norme créatrice de charges contractuelles imprévisibles.
L’invocabilité d’une directive non transposée reste cantonnée aux litiges opposant un particulier à l’État membre ou à un organisme doté de pouvoirs exorbitants. Dans le cadre d’un contrat d’assurance privé, les dispositions de la directive ne sauraient modifier directement les obligations pesant sur la compagnie d’assurances. Cette distinction entre rapports verticaux et horizontaux garantit que les particuliers ne pâtissent pas de la défaillance de l’État dans la mise en œuvre du droit.
L’impossibilité d’invoquer la directive contre un co-contractant privé conduit nécessairement à s’interroger sur le sort des dispositions législatives nationales qui lui sont contraires.
B. Le rejet de l’éviction des dispositions nationales contraires
Le juge précise que la juridiction nationale n’est pas tenue « d’écarter la disposition nationale contraire à une directive » lorsque le litige oppose exclusivement des particuliers. Cette solution préserve la cohérence du système juridique en évitant qu’une norme dépourvue d’effet direct horizontal ne produise indirectement les mêmes résultats. Écarter la loi nationale reviendrait en effet à imposer au particulier une obligation de couverture que le droit interne l’autorisait pourtant à exclure.
Le texte souligne que l’article premier de la troisième directive énonce le contenu matériel d’une règle de droit et non un principe général. Contrairement au principe de non-discrimination en fonction de l’âge, cette règle ne confère pas un droit individuel opposable en toutes circonstances. L’impossibilité d’écarter la norme nationale confirme que la directive ne peut servir de fondement direct à une condamnation civile entre deux parties privées.
Si l’effet direct horizontal est écarté pour protéger les particuliers, le droit de l’Union propose d’autres mécanismes pour assurer l’effectivité des normes européennes.
II. La préservation de la sécurité juridique par les voies de recours subsidiaires
La Cour encadre les pouvoirs du juge national tout en proposant une voie alternative de réparation pour la victime dont les droits ont été lésés. L’étude portera sur les limites de l’interprétation conforme du droit interne (A) et sur la consécration de la responsabilité étatique (B).
A. Les limites du principe d’interprétation conforme du droit interne
Le juge national doit interpréter son droit interne à la lumière des objectifs de la directive mais cette obligation rencontre des bornes juridiques infranchissables. La Cour rappelle que cette méthode ne peut « servir de fondement à une interprétation contra legem du droit national » qui heurterait les principes généraux. Lorsque la loi nationale est claire et délibérée, le juge ne peut la dénaturer pour la rendre compatible avec une norme européenne non transposée.
La sécurité juridique impose que le justiciable puisse se fier au texte de la législation nationale sans craindre une modification rétroactive par voie juridictionnelle. Dans l’espèce commentée, la loi excluait explicitement les passagers sans siège fixe, empêchant ainsi toute conciliation sémantique avec les objectifs de la directive. Le refus de l’interprétation forcée démontre la volonté de respecter la séparation des pouvoirs et la hiérarchie des normes au sein des États membres.
Le constat d’une impasse interprétative déplace alors le litige vers la mise en œuvre de la responsabilité de la puissance publique nationale.
B. La consécration de la responsabilité étatique comme palliatif juridictionnel
La solution finale renvoie la victime vers l’État défaillant pour obtenir la réparation du dommage subi du fait de la mauvaise transposition législative. La partie lésée peut se prévaloir de la jurisprudence permettant d’obtenir de « l’État membre, le cas échéant, réparation du dommage subi » par l’absence d’assurance. Cette voie de recours subsidiaire assure la pleine efficacité du droit de l’Union sans pour autant sacrifier les droits acquis par les particuliers.
L’État membre est désigné comme le seul responsable de la non-conformité de sa législation aux engagements européens pris par les autorités publiques nationales. Le transfert de la charge financière de l’indemnisation vers la puissance publique respecte l’équilibre entre les impératifs européens et la protection de la sphère privée. Cette responsabilité constitue l’ultime rempart garantissant que le passager victime ne reste pas sans indemnisation malgré l’absence d’effet direct horizontal.