Le 19 juin 1999, un passager a subi de graves blessures lors d’une collision survenue dans une camionnette dépourvue de sièges fixes. La police d’assurance souscrite par le propriétaire du véhicule excluait l’indemnisation des passagers voyageant dans la partie arrière du véhicule. Cette clause contractuelle était alors conforme à la législation nationale irlandaise en vigueur au moment de la survenance du dommage. Saisie du litige, la Haute Cour a d’abord estimé que l’obligation d’interprétation conforme imposait d’écarter l’exclusion de garantie prévue par la loi. La société d’assurances a interjeté appel de cette décision devant la Cour d’appel d’Irlande en invoquant la qualité de simples particuliers des parties.
La juridiction d’appel a souligné l’impossibilité de procéder à une interprétation de la loi nationale qui soit compatible avec le droit de l’Union. Elle a donc saisi la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle enregistrée le 9 mars 2017. Le juge européen devait déterminer si une juridiction nationale est tenue de laisser inappliquée une clause contractuelle contraire à une directive dotée d’un effet direct. Par un arrêt de Grande chambre rendu le 7 août 2018, la Cour refuse d’étendre l’invocabilité d’une directive aux rapports entre les particuliers. Elle fonde sa position sur la nature juridique de la directive tout en préservant le mécanisme de la responsabilité de l’État.
I. L’affirmation de l’absence d’effet direct horizontal des directives
A. L’impossibilité d’imposer des obligations aux particuliers par voie de directive
La Cour de justice rappelle avec fermeté qu’une directive ne peut pas, par elle-même, créer d’obligations à la charge d’un simple particulier. Elle souligne que « l’extension de l’invocabilité d’une disposition d’une directive non transposée au domaine des rapports entre les particuliers reviendrait à reconnaître à l’Union le pouvoir d’édicter des obligations ». Ce pouvoir est pourtant réservé par les traités aux seuls règlements qui bénéficient d’une portée générale et d’une application directe immédiate. La nature même de la directive, qui lie l’État quant au résultat à atteindre, fait obstacle à son application directe contre un sujet privé.
Le juge communautaire confirme ainsi une jurisprudence constante relative à la distinction entre les types d’actes juridiques adoptés par les institutions européennes. Il estime que « même une disposition claire, précise et inconditionnelle d’une directive ne saurait trouver application en tant que telle dans un litige entre particuliers ». Cette solution protège la sécurité juridique des citoyens qui ne peuvent se voir imposer des devoirs par une norme non transposée. Le principe de légalité interdit en effet qu’un acte n’ayant pas fait l’objet d’une mesure interne de réception puisse modifier des situations contractuelles privées.
B. Le refus d’écarter une clause contractuelle au profit du droit de l’Union
Le litige au principal opposait une victime à un conducteur et à son assureur, ce qui caractérisait une configuration purement horizontale. La Cour précise que « la juridiction nationale n’est tenue d’écarter la disposition nationale contraire à une directive que lorsque celle-ci est invoquée contre un État ». L’assureur en cause étant un organisme de droit privé, il ne pouvait se voir opposer les dispositions de la troisième directive. Le juge national ne saurait donc écarter une clause contractuelle de limitation de garantie en se fondant exclusivement sur le droit dérivé.
L’arrêt souligne que la règle prévoyant l’obligation de couvrir les dommages corporels de l’ensemble des passagers constitue une règle de droit matériel. Cette précision est cruciale car elle exclut l’application de la jurisprudence relative aux vices de procédure substantiels entachant l’adoption de règles techniques. La Cour conclut que le juge national n’est pas tenu de laisser inappliquée la clause d’exclusion figurant dans le contrat d’assurance. Cette décision maintient une séparation stricte entre la responsabilité de l’État défaillant et les obligations contractuelles librement consenties par les parties.
II. Les limites et les palliatifs à l’ineffectivité du droit de l’Union
A. La distinction nécessaire avec les principes généraux du droit
La juridiction de renvoi s’interrogeait sur la portée de solutions antérieures ayant permis d’écarter des dispositions nationales contraires au droit de l’Union. La Cour opère une distinction fondamentale entre les directives et les principes généraux du droit de l’Union européenne comme la non-discrimination. Elle relève que « l’article 1er de la troisième directive ne saurait être considéré comme concrétisant un principe général du droit de l’Union ». À l’inverse d’un principe constitutionnel, la règle de protection des passagers ne trouve pas sa source dans les traditions communes des États.
Cette analyse limite la portée de l’effet d’exclusion du droit de l’Union dans les litiges opposant exclusivement des personnes de droit privé. Le juge européen refuse de transformer une obligation technique de couverture assurantielle en un droit fondamental directement invocable entre les citoyens. L’impossibilité d’assurer une interprétation conforme du droit national ne permet pas de contourner l’absence d’effet direct horizontal des directives. La cohérence du système juridique européen repose ici sur le respect des compétences d’attribution et sur la hiérarchie des normes.
B. La consécration de la responsabilité de l’État comme remède subsidiaire
L’impossibilité d’invoquer la directive contre l’assureur ne laisse pas pour autant la victime sans protection juridique face à la carence législative. La Cour rappelle que « la partie lésée pourrait néanmoins se prévaloir de la jurisprudence issue de l’arrêt Francovich pour obtenir réparation du dommage ». Cette voie de droit permet de sanctionner l’État membre qui n’a pas correctement transposé ses obligations internationales en droit interne. La responsabilité étatique constitue le corollaire indispensable de l’absence d’effet direct horizontal pour garantir l’effectivité des droits des justiciables.
Le préjudice subi par le passager du fait de l’exclusion de garantie pourra ainsi être indemnisé par la puissance publique nationale. Cette solution assure un équilibre entre le respect des principes régissant les relations contractuelles et la nécessité de sanctionner les manquements étatiques. Le droit de l’Union offre un mécanisme de substitution efficace qui évite de faire peser sur les particuliers les conséquences de l’inertie législative. La protection des citoyens est ainsi garantie par une action en réparation dirigée contre l’autorité responsable de la mauvaise transposition.