L’article 110 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne constitue une disposition fondamentale visant à garantir la libre circulation des marchandises en prohibant toute forme de discrimination fiscale à l’encontre des produits importés d’autres États membres. C’est à l’aune de ce principe de neutralité fiscale que la Cour de justice de l’Union européenne, dans un arrêt du 7 avril 2011, a été amenée à se prononcer sur la compatibilité d’une taxe sur la pollution instituée par un État membre. En l’espèce, un ressortissant roumain avait acquis un véhicule d’occasion en Allemagne et s’était vu imposer, lors de son immatriculation en Roumanie, le paiement d’une taxe environnementale d’un montant substantiel. Cette taxe, entrée en vigueur le 1er juillet 2008, ne s’appliquait qu’aux véhicules immatriculés pour la première fois sur le territoire national après cette date, excluant de son champ d’application l’ensemble du parc automobile déjà en circulation. Saisi d’un recours en restitution de la taxe, le requérant soutenait que ce dispositif créait une discrimination contraire au droit de l’Union, en ce qu’il pénalisait les véhicules d’occasion importés par rapport aux véhicules similaires déjà présents sur le marché national, qui n’étaient grevés d’aucune charge fiscale équivalente lors de leur revente. Face à cette argumentation, la juridiction nationale a décidé de surseoir à statuer et de poser une question préjudicielle à la Cour de justice. Il s’agissait pour la Cour de déterminer si l’article 110 du TFUE s’oppose à une législation nationale instaurant une taxe sur la pollution lors de la première immatriculation d’un véhicule, lorsque cette mesure est aménagée de telle sorte qu’elle décourage l’acquisition de véhicules d’occasion importés sans pour autant freiner l’achat de véhicules d’occasion similaires sur le marché domestique. À cette question, la Cour répond par l’affirmative, estimant qu’un tel régime fiscal, en dépit de ses objectifs environnementaux, méconnaît le principe de non-discrimination. Si la Cour valide en principe les modalités de calcul de la taxe en ce qu’elles prennent en compte la dépréciation du véhicule (I), elle en censure néanmoins l’application effective qui instaure une discrimination au détriment des véhicules importés (II).
I. La réaffirmation du principe de neutralité fiscale applicable aux véhicules d’occasion importés
La Cour de justice examine en premier lieu le mécanisme de la taxe au regard de sa jurisprudence constante relative à l’imposition des véhicules d’occasion. Elle rappelle ainsi qu’une taxe appliquée à un véhicule importé ne doit pas être supérieure à la part résiduelle de cette même taxe incorporée dans la valeur d’un véhicule similaire déjà présent sur le marché national. À ce titre, elle valide le principe d’un calcul de la taxe qui intègre la dépréciation réelle du véhicule, considérant que le système roumain, en théorie, respecte cette exigence.
A. L’interdiction d’une taxation excédant la valeur résiduelle de l’imposition
La Cour rappelle avec force sa position traditionnelle selon laquelle « il y a violation de l’article 110 TFUE lorsque le montant de la taxe frappant un véhicule d’occasion importé excède le montant résiduel de la taxe incorporé dans la valeur des véhicules d’occasion similaires déjà immatriculés sur le territoire national ». Ce principe fondamental vise à assurer une parfaite neutralité concurrentielle. Lorsqu’une taxe d’immatriculation est acquittée, son montant s’incorpore à la valeur du véhicule. Lors de la revente de ce véhicule sur le marché de l’occasion, sa valeur marchande inclut une fraction résiduelle de cette taxe initiale, diminuée en fonction de sa dépréciation. Par conséquent, pour ne pas être discriminatoire, la taxation d’un véhicule d’occasion importé doit être calculée de manière à ne jamais dépasser ce montant résiduel, afin de garantir que les produits importés ne subissent pas une charge fiscale plus lourde que les produits nationaux concurrents.
B. La validation d’un mécanisme de dépréciation forfaitaire et individualisé
Afin de garantir le respect du principe de non-discrimination, la taxe doit tenir compte de la dépréciation réelle du véhicule importé. La Cour de justice admet de longue date que les États membres peuvent recourir à des barèmes forfaitaires pour évaluer cette dépréciation, à condition que ceux-ci soient fondés sur des critères objectifs et aboutissent à une approximation raisonnable de la valeur réelle du véhicule. En l’espèce, la législation nationale prévoyait un calcul fondé sur la cylindrée et la norme de pollution, dont le montant était ensuite réduit selon un barème tenant compte de l’ancienneté du véhicule. De plus, le système permettait un ajustement en fonction du kilométrage réel et offrait au redevable la possibilité de solliciter une expertise individualisée pour prouver une dépréciation plus importante. La Cour estime qu’un tel dispositif, combinant une approche forfaitaire détaillée et une possibilité d’évaluation individuelle, « assure que cette taxe, lorsqu’elle frappe les véhicules d’occasion importés, n’excède pas le montant résiduel de ladite taxe incorporé dans la valeur des véhicules d’occasion similaires qui ont été immatriculés auparavant sur le territoire national ». Sur le plan purement technique, le mécanisme de calcul est donc jugé conforme au droit de l’Union.
II. La sanction d’un régime fiscal national aux effets discriminatoires avérés
Après avoir validé la méthode de calcul de la taxe dans son principe, la Cour s’attache à en analyser les effets concrets sur le marché. C’est sur ce terrain qu’elle identifie une violation de l’article 110 TFUE. En exemptant de fait les véhicules d’occasion déjà présents sur le marché national avant son entrée en vigueur, la taxe crée une rupture de neutralité concurrentielle que ne saurait justifier l’objectif environnemental affiché.
A. L’identification d’une rupture de neutralité concurrentielle sur le marché national
Le cœur du raisonnement de la Cour réside dans la comparaison entre les véhicules d’occasion importés et les véhicules d’occasion similaires qui se trouvaient déjà sur le marché roumain avant l’instauration de la taxe. Ces derniers, n’ayant jamais été soumis à cette imposition lors de leur première immatriculation, ne supportent aucune charge fiscale résiduelle lors de leur revente. En revanche, un véhicule d’occasion importé après l’entrée en vigueur de la loi est systématiquement grevé d’une taxe qui, même après application des abattements pour dépréciation, demeure significative. La Cour constate qu’une « réglementation nationale qui a pour effet que des véhicules d’occasion importés et caractérisés par une ancienneté et une usure importantes sont, malgré l’application d’une réduction élevée du montant de la taxe […], frappés d’une taxe qui peut avoisiner 30 % de leur valeur marchande, tandis que des véhicules similaires mis en vente sur le marché national des véhicules d’occasion ne sont aucunement grevés d’une telle charge fiscale, a pour effet de dissuader l’importation et la mise en circulation » de ces véhicules. Cette distorsion de concurrence au détriment des produits importés constitue l’effet discriminatoire prohibé par l’article 110 TFUE.
B. Le rejet d’une mesure protectionniste déguisée sous un objectif environnemental
Face à l’argument du gouvernement roumain fondé sur la protection de l’environnement, la Cour adopte une position ferme. Elle rappelle que si les États membres disposent d’une large autonomie fiscale, les mesures adoptées ne doivent pas contrevenir aux principes fondamentaux du traité. En l’occurrence, elle juge que l’objectif environnemental aurait pu être atteint par des moyens moins restrictifs et non discriminatoires. La Cour suggère notamment qu’une taxe annuelle sur la circulation, applicable à tous les véhicules polluants en circulation sur le territoire national, quelle que soit leur date d’immatriculation, aurait été plus cohérente avec l’objectif affiché et conforme au principe du pollueur-payeur. En choisissant un dispositif qui ne frappe que les nouveaux entrants sur le marché, dont une grande partie est constituée de véhicules importés, l’État membre a instauré un régime qui, sous couvert d’une politique environnementale, protège de fait son marché national des véhicules d’occasion contre la concurrence des produits venus d’autres États membres. La Cour conclut donc que l’article 110 TFUE s’oppose à un tel dispositif, car il « décourage la mise en circulation […] de véhicules d’occasion achetés dans d’autres États membres, sans pour autant décourager l’achat de véhicules d’occasion de même ancienneté et de même usure sur le marché national ».