Cour de justice de l’Union européenne, le 7 avril 2016, n°C-284/15

L’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne offre une interprétation clarificatrice de l’article 67, paragraphe 3, du règlement (CEE) n° 1408/71, dans le contexte spécifique de l’octroi d’allocations de chômage complétant un revenu à temps partiel. En l’espèce, un travailleur, après avoir accompli des périodes d’assurance dans un État membre d’origine, s’est déplacé vers un autre État membre où il a immédiatement commencé à exercer une activité professionnelle à temps partiel. Confronté à un refus de l’institution compétente de ce second État de prendre en compte ses périodes d’emploi antérieures pour lui ouvrir le droit à une allocation de chômage partiel, le travailleur a saisi les juridictions nationales. Celles-ci, incertaines quant à l’interprétation de la législation de l’Union, ont décidé de surseoir à statuer et de poser une question préjudicielle à la Cour de justice. Il était demandé aux juges de l’Union de déterminer si le droit de l’Union s’oppose à ce qu’un État membre refuse la totalisation des périodes d’emploi acquises dans un autre État membre lorsque le demandeur n’a jamais été affilié au régime de sécurité sociale de l’État d’accueil avant de commencer son emploi à temps partiel. La Cour de justice répond par la négative, validant ainsi la position de l’État membre d’accueil. Elle juge que l’article 67, paragraphe 3, du règlement « ne s’oppose pas à ce qu’un État membre refuse la totalisation des périodes d’emploi nécessaire à l’admissibilité au bénéfice d’une allocation de chômage destinée à compléter les revenus d’un emploi à temps partiel, lorsque l’occupation dans cet emploi n’a été précédée d’aucune période d’assurance ou d’emploi dans cet État membre ». La Cour confirme également la validité de cette disposition au regard des principes fondamentaux du droit de l’Union.

Cette décision conduit à examiner la confirmation par la Cour d’une condition restrictive à la totalisation des périodes d’assurance (I), avant d’analyser la portée de cette solution, qui vise principalement à préserver l’équilibre des systèmes nationaux de sécurité sociale (II).

I. La validation d’une condition restrictive à la totalisation des périodes d’assurance

La solution retenue par la Cour de justice repose sur une interprétation littérale de la disposition applicable (A) tout en confirmant sa compatibilité avec les objectifs du droit de l’Union (B).

A. L’interprétation littérale d’une disposition dérogatoire

Le principe de totalisation des périodes d’assurance, de cotisation ou d’emploi, consacré par le droit de l’Union, est une pierre angulaire de la libre circulation des travailleurs. Il vise à garantir qu’un travailleur migrant ne perde pas ses droits à la sécurité sociale en se déplaçant au sein de l’Union. Cependant, l’article 67 du règlement n° 1408/71 encadre les conditions d’octroi des prestations de chômage et prévoit des règles spécifiques. En l’espèce, la Cour s’attache à une lecture stricte du paragraphe 3 de cet article, qui subordonne l’exportation des droits au chômage à l’accomplissement récent de périodes d’emploi ou d’assurance dans l’État compétent.

En affirmant que le droit de l’Union « ne s’oppose pas » à un refus de totalisation en l’absence de toute période d’emploi antérieure dans l’État d’accueil, la Cour constate que le texte lui-même établit un lien de rattachement nécessaire avec le marché du travail de cet État. L’absence d’une telle connexion préalable à l’emploi à temps partiel justifie que l’État d’accueil ne soit pas tenu de faire masse des périodes accomplies ailleurs. Le raisonnement de la Cour est donc avant tout textuel ; elle se refuse à étendre le bénéfice de la totalisation au-delà des conditions expressément prévues par le législateur de l’Union pour cette situation particulière du chômage partiel. Cette approche confirme que le droit à la coordination n’est pas absolu et peut être soumis à des conditions objectives.

B. La validation de la conformité de la condition au droit de l’Union

Au-delà de l’interprétation de l’article, la juridiction nationale interrogeait implicitement la Cour sur la validité même de cette disposition au regard du principe de libre circulation. En jugeant que son examen n’a révélé « aucun élément de nature à affecter la validité de l’article 67, paragraphe 3 », la Cour de justice légitime la condition de rattachement qu’il impose. Elle considère que cette exigence ne constitue pas une entrave disproportionnée à la mobilité des travailleurs. L’objectif de la disposition est d’assurer un lien réel et suffisant entre le bénéficiaire des prestations et le marché du travail de l’État qui les sert.

Cette solution permet d’éviter des situations où un travailleur pourrait choisir l’État membre offrant les prestations les plus avantageuses sans avoir jamais contribué à son système de sécurité sociale ni participé de manière significative à son économie. La Cour opère ainsi une mise en balance entre l’impératif de la libre circulation et la nécessité de préserver la cohérence et l’équilibre financier des régimes nationaux de sécurité sociale. La condition d’une période d’emploi préalable dans l’État d’accueil est donc jugée comme une mesure légitime et proportionnée à cet objectif.

II. Une portée circonscrite à la sauvegarde des systèmes nationaux de sécurité sociale

La décision de la Cour de justice doit être comprise non comme une remise en cause de la mobilité des travailleurs, mais comme une réaffirmation de la logique de coordination des systèmes sociaux (A), ce qui constitue une restriction justifiée au principe de libre circulation (B).

A. La préservation de la logique de coordination des régimes sociaux

Le droit de l’Union en matière de sécurité sociale repose sur un principe de coordination, et non d’harmonisation. Les États membres conservent la compétence pour organiser leurs propres systèmes, le droit de l’Union se limitant à en agencer les règles pour les travailleurs qui se déplacent. L’arrêt commenté s’inscrit parfaitement dans cette logique. En exigeant un lien de rattachement avec l’État qui verse les prestations, la Cour veille à ce que la charge financière de ces dernières incombe à l’État avec lequel le travailleur entretient le lien le plus étroit.

Cette solution préserve l’intégrité de chaque système national. Permettre à un travailleur de bénéficier d’une allocation de chômage partiel sans aucune affiliation préalable dans l’État d’emploi reviendrait à faire peser une charge indue sur le régime de cet État. La décision rappelle ainsi que la totalisation des périodes est un mécanisme destiné à faciliter la mobilité professionnelle authentique, et non à créer un droit inconditionnel à des prestations indépendamment du parcours d’intégration du travailleur dans le marché du travail local. La Cour garantit que la solidarité européenne s’exerce dans un cadre structuré et équitable pour les États membres.

B. Une restriction justifiée au principe de libre circulation des travailleurs

Bien que la solution constitue une limitation potentielle à la libre circulation, elle apparaît justifiée et proportionnée. La restriction est en effet ciblée et ne concerne que la situation spécifique d’un travailleur à temps partiel demandant une allocation de chômage complémentaire sans avoir jamais été affilié au régime de l’État d’emploi. Le principe général de totalisation pour l’ouverture des droits au chômage complet après une période de travail substantielle dans l’État d’accueil n’est nullement remis en cause.

La Cour reconnaît que la libre circulation des travailleurs n’est pas un droit absolu et peut faire l’objet de limitations fondées sur des raisons impérieuses d’intérêt général, telles que la nécessité de garantir la viabilité financière des systèmes de sécurité sociale. En l’espèce, la condition d’un rattachement préalable au marché du travail est considérée comme un moyen adéquat pour atteindre cet objectif sans porter une atteinte excessive à la mobilité. L’arrêt a donc pour portée de préciser les contours du droit à la totalisation, en le conditionnant à l’existence d’un lien tangible avec l’État débiteur de la prestation, consolidant ainsi une jurisprudence équilibrée entre les droits des citoyens de l’Union et les prérogatives des États membres.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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