Cour de justice de l’Union européenne, le 7 avril 2022, n°C-102/21

Par un arrêt rendu le 6 octobre 2025, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur l’interprétation du droit des aides d’État, et plus particulièrement sur les conséquences du dépassement du terme d’un régime d’aides autorisé par la Commission européenne. En l’espèce, une autorité publique infra-étatique avait octroyé des subventions à deux entreprises pour la construction de microcentrales hydroélectriques. Ces aides avaient été accordées sur le fondement d’un régime d’aides régional qui avait préalablement fait l’objet d’une décision d’autorisation de la part de la Commission européenne. Toutefois, au moment de l’octroi effectif des fonds aux entreprises bénéficiaires, la période de validité de cette décision d’autorisation était arrivée à échéance. Saisie d’un litige portant sur la légalité de ces subventions, une juridiction nationale a adressé à la Cour de justice plusieurs questions préjudicielles. Il était demandé à la Cour, d’une part, de clarifier le statut juridique d’une aide versée après l’expiration du régime autorisé qui la prévoyait. D’autre part, la juridiction de renvoi interrogeait la Cour sur l’étendue des obligations de la Commission en matière de récupération d’une aide qui serait qualifiée d’illégale pour des motifs procéduraux. La Cour de justice répond que l’autorisation initialement accordée par la Commission n’était plus en vigueur lors de l’octroi des subventions litigieuses. Elle précise ensuite que le droit de l’Union n’impose pas à la Commission d’exiger systématiquement la récupération d’une aide qualifiée d’illégale. La Cour rappelle ainsi la stricte application du cadre temporel des régimes d’aides (I), tout en confirmant la marge d’appréciation dont dispose la Commission dans le traitement des aides illégales (II).

I. La qualification d’aide nouvelle pour les subventions octroyées hors du cadre temporel autorisé

La décision de la Cour souligne la portée de l’échéance d’un régime d’aides autorisé, qui rend caduque l’approbation de la Commission (A) et replace de ce fait toute subvention ultérieure sous le régime de la notification préalable obligatoire (B).

A. Le caractère extinctif de l’échéance du régime d’aide

La Cour de justice énonce avec clarté que « L’autorisation du régime d’aides […] n’était plus en vigueur lorsque [l’autorité publique] a accordé des subventions ». Cette affirmation réitère un principe fondamental du droit des aides d’État selon lequel les décisions de la Commission autorisant un régime d’aides sont toujours assorties d’une durée de validité. Cette limitation temporelle n’est pas une simple modalité formelle ; elle constitue un élément essentiel du contrôle exercé par la Commission, qui doit pouvoir réévaluer périodiquement la compatibilité des régimes d’aides avec le marché intérieur au regard de l’évolution des conditions économiques et juridiques. L’expiration de ce délai emporte donc extinction de l’autorisation. Par conséquent, l’autorité nationale ne peut plus se prévaloir de la décision initiale pour justifier la légalité des aides qu’elle octroie. Le fondement juridique de l’aide disparaît avec l’échéance du régime, rendant toute subvention postérieure dépourvue de la présomption de compatibilité attachée à l’autorisation de la Commission.

B. La soumission consécutive de l’aide à l’obligation de notification

Dès lors que l’aide ne peut plus être considérée comme une mesure d’exécution d’un régime existant et autorisé, elle doit être analysée comme une aide nouvelle. Cette requalification emporte une conséquence procédurale majeure : l’aide est soumise à l’obligation de notification préalable à la Commission, conformément à l’article 108, paragraphe 3, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Cette disposition impose aux États membres de notifier tout projet tendant à instituer ou à modifier des aides et de ne pas mettre ces mesures à exécution avant que la Commission n’ait rendu sa décision finale, principe connu sous le nom d’obligation de `standstill`. En accordant les subventions après l’expiration du régime autorisé sans procéder à une nouvelle notification, l’autorité publique a donc méconnu cette obligation procédurale. L’aide devient ainsi une aide illégale, non pas en raison d’une éventuelle incompatibilité matérielle avec le marché intérieur, mais du fait de la violation des règles de procédure qui encadrent son octroi. Cette illégalité formelle n’entraîne cependant pas automatiquement une obligation de récupération, la Cour distinguant la procédure de contrôle de l’appréciation au fond.

II. La confirmation de la faculté discrétionnaire de la Commission quant à la récupération des aides illégales

La Cour profite de la question préjudicielle pour rappeler la distinction conceptuelle entre l’illégalité et l’incompatibilité d’une aide (A), ce qui justifie l’absence d’une obligation automatique pour la Commission d’ordonner la récupération d’une aide qui est seulement illégale sur le plan formel (B).

A. La dissociation entre l’illégalité formelle et l’incompatibilité matérielle de l’aide

L’arrêt met en lumière une distinction cardinale en droit de la concurrence. Une aide est qualifiée d’« illégale » lorsqu’elle est mise à exécution en violation de l’obligation de notification et de `standstill` de l’article 108, paragraphe 3, TFUE. Cette qualification est purement procédurale et ne préjuge en rien de l’appréciation qui sera portée sur le fond. Une aide est, en revanche, « incompatible » avec le marché intérieur lorsqu’elle fausse ou menace de fausser la concurrence et affecte les échanges entre États membres sans pouvoir bénéficier des dérogations prévues à l’article 107, paragraphes 2 et 3, TFUE. Une aide peut donc être illégale mais compatible, par exemple si elle avait été notifiée, la Commission l’aurait autorisée. Inversement, une aide notifiée en bonne et due forme peut être déclarée incompatible. Le règlement (UE) 2015/1589, cité par la Cour, définit d’ailleurs l’aide illégale comme « toute aide mise à exécution en violation de l’article 108, paragraphe 3, du traité ». C’est sur la base de cette dissociation que la Cour fonde son raisonnement.

B. L’absence d’automaticité dans l’ordre de récupération d’une aide simplement illégale

La Cour juge qu’il « n’incombe pas à la Commission européenne de demander à l’État membre de récupérer une aide illégale ». Cette solution est la conséquence logique de la distinction précédente. L’obligation de récupération est la sanction naturelle et principale d’une aide déclarée incompatible avec le marché intérieur, car elle vise à rétablir la situation concurrentielle antérieure. En revanche, face à une aide simplement illégale, la Commission conserve une marge d’appréciation. Elle doit d’abord examiner la compatibilité de l’aide au fond. Si elle conclut à la compatibilité de la mesure, elle peut décider de ne pas exiger son remboursement, l’illégalité procédurale étant alors purgée par cette décision positive. Exiger une récupération systématique de toute aide illégale, même si elle s’avère compatible, serait une mesure excessive et contraire au principe de proportionnalité. La Cour confirme ainsi que la Commission est maîtresse de sa politique de contrôle et peut concentrer ses efforts de récupération sur les aides qui portent une atteinte matérielle au marché intérieur, plutôt que sur celles qui ne sont entachées que d’un vice de procédure.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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