Cour de justice de l’Union européenne, le 7 avril 2022, n°C-150/21

Par un arrêt en date du 7 avril 2022, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les contours de la notion de « décision » dans le cadre du mécanisme de reconnaissance mutuelle des sanctions pécuniaires. En l’espèce, une autorité administrative néerlandaise avait infligé une amende pour une infraction au code de la route. La reconnaissance et l’exécution de cette sanction pécuniaire ont été demandées en Pologne. La juridiction polonaise de renvoi a saisi la Cour d’une demande de décision préjudicielle, nourrissant des doutes sur la conformité de la procédure de recours néerlandaise avec les exigences du droit de l’Union. Le droit néerlandais prévoit en effet que la décision administrative peut d’abord être contestée devant un procureur, puis, en cas de rejet, devant une juridiction cantonale. La question se posait de savoir si une telle procédure, impliquant l’intervention préalable d’un membre du ministère public soumis à l’autorité hiérarchique du pouvoir exécutif, offrait bien à l’intéressé la « possibilité de faire porter l’affaire devant une juridiction ayant compétence notamment en matière pénale », comme l’exige la décision-cadre 2005/214/JAI. La Cour de justice a répondu par l’affirmative, estimant que la possibilité d’un recours juridictionnel ultime suffit, pourvu que l’accès à ce juge ne soit pas entravé par des conditions excessives. Il convient donc d’analyser, dans un premier temps, la validation par la Cour d’un accès séquentiel à un juge (I), avant d’examiner, dans un second temps, les conditions posées à l’effectivité de ce recours et la portée de la solution retenue (II).

I. La validation d’un accès séquentiel à une juridiction pénale

La Cour de justice adopte une approche pragmatique en se concentrant sur l’existence finale d’un recours juridictionnel effectif (A), sans exiger que ce recours soit direct, et en vérifiant que l’organe ultime dispose bien de la plénitude de juridiction (B).

A. La reconnaissance d’une voie de recours à caractère non direct

La Cour de justice considère que l’exigence posée par la décision-cadre n’implique pas nécessairement un accès immédiat à une juridiction. Elle admet qu’une phase administrative ou préalable puisse être organisée par les États membres. L’essentiel est que l’intéressé dispose, in fine, d’une voie de droit devant un organe juridictionnel. La Cour rappelle ainsi sa jurisprudence antérieure selon laquelle l’instrument d’harmonisation n’impose pas une saisine directe du juge : > « la Cour a déjà jugé que l’article 1er, sous a), iii), de cette décision-cadre n’exige pas que l’affaire puisse être directement soumise à une telle juridiction ».

Cette interprétation offre une flexibilité considérable aux États membres dans l’organisation de leur système contentieux, notamment pour des infractions de masse comme celles relatives à la circulation routière. Le fait que le premier recours s’exerce devant un procureur, même subordonné au pouvoir exécutif, n’est pas en soi un obstacle, car ce n’est pas cet organe qui doit satisfaire aux critères d’une juridiction au sens de la décision-cadre. Le raisonnement de la Cour se porte sur l’étape ultérieure, celle qui ouvre l’accès au juge.

B. La qualification de l’organe de recours ultime en tant que juridiction

Pour que le système soit validé, il est impératif que l’organe finalement compétent soit une « juridiction ayant compétence notamment en matière pénale ». La Cour vérifie donc si le juge cantonal néerlandais répond aux critères d’une telle juridiction, qui relèvent d’une notion autonome du droit de l’Union. Elle s’assure que cet organe dispose d’une compétence de pleine juridiction et que la procédure respecte les garanties fondamentales. La Cour relève que le juge cantonal est bien compétent pour examiner l’affaire en fait comme en droit : > « le kantonrechter (juge cantonal), visé au point 39 du présent arrêt, peut statuer sur les questions de droit et de fait, ainsi que sur la proportionnalité de l’amende infligée par rapport à l’infraction commise, la procédure devant cette juridiction étant soumise aux garanties procédurales appropriées en matière pénale ».

En se fondant sur ces éléments, la Cour conclut que le juge cantonal constitue bien une juridiction au sens de la décision-cadre. Par conséquent, la structure de recours en deux temps est conforme au droit de l’Union, car elle ménage bien, en dernier ressort, une possibilité de recours devant un organe juridictionnel indépendant et impartial, doté de la plénitude de compétence.

II. Les conditions et la portée du contrôle de l’effectivité du recours

La validation de principe d’un accès séquentiel au juge est toutefois assortie d’une condition essentielle relative à l’effectivité de cet accès (A). La Cour limite cependant la portée de son analyse aux seuls éléments pertinents du litige au principal, laissant en suspens certaines questions (B).

A. L’exigence d’un accès non excessivement difficile à la juridiction

La principale réserve formulée par la Cour réside dans la nécessité de garantir un accès effectif au juge. Si une phase administrative préalable est permise, elle ne doit pas constituer un obstacle insurmontable pour le justiciable. La Cour réaffirme avec force un principe fondamental du droit à un recours effectif en posant une condition claire. L’accès à la juridiction doit demeurer concrètement possible. Elle énonce ainsi que la conformité du système est assurée : > « à condition que l’accès à cette juridiction ne soit pas soumis à des conditions qui le rendent impossible ou excessivement difficile ».

Cette condition constitue la pierre angulaire de la décision. Elle rappelle que le principe de reconnaissance mutuelle, qui repose sur la confiance réciproque, ne saurait prévaloir sur le respect des droits fondamentaux, dont le droit à un recours juridictionnel effectif est une composante essentielle. L’appréciation du caractère « excessivement difficile » de l’accès relèvera de l’analyse au cas par cas par les juridictions nationales, sous le contrôle de la Cour de justice.

B. Une portée limitée aux faits de l’espèce

La juridiction de renvoi soulevait une question spécifique concernant une modalité procédurale du droit néerlandais. Pour les amendes d’un montant supérieur ou égal à 225 euros, le recours devant le juge cantonal est subordonné au versement d’une caution équivalente au montant de l’amende. La Cour de justice choisit de ne pas se prononcer sur le point de savoir si une telle exigence financière constitue un obstacle rendant l’accès au juge excessivement difficile. Elle écarte cette question en se fondant strictement sur les faits du litige au principal. En l’espèce, le montant de l’amende était inférieur au seuil déclenchant cette obligation : > « elle est sans pertinence en l’occurrence. En effet, il y a lieu de constater que, dans l’affaire au principal, l’amende infligée […] était d’un montant de 92 euros ».

Cette approche témoigne d’une retenue jurisprudentielle. La Cour répond à la question posée dans les limites strictes de sa saisine, sans formuler de principe général sur la compatibilité des cautions préalables avec le droit à un recours effectif. La question de savoir si une telle condition financière pourrait être jugée excessive dans un autre cas reste donc ouverte. La portée de l’arrêt est ainsi volontairement circonscrite, tout en fournissant une grille d’analyse claire pour l’avenir : celle de l’appréciation concrète de l’effectivité de l’accès au juge.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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