Cour de justice de l’Union européenne, le 7 avril 2022, n°C-176/20

La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt rendu le 14 octobre 2021, précise les conditions d’éligibilité aux aides de la politique agricole commune. Une personne morale demande des paiements directs après avoir conclu une concession de pâturage et emprunté des animaux à titre gratuit pour l’entretien des terres. L’organisme national de paiement refuse l’octroi de ces fonds en invoquant l’absence de propriété des bêtes et l’existence d’une manœuvre frauduleuse. Saisie du litige, la Cour d’appel de Bucarest sursoit à statuer pour interroger la juridiction européenne sur l’interprétation des règlements n o 1307/2013 et n o 1306/2013.

La question posée concerne la validité d’une exigence nationale de détention des animaux et la définition des conditions créées artificiellement par un demandeur. La Cour juge que les États membres peuvent imposer la détention personnelle du bétail pour justifier d’une activité minimale sur les surfaces agricoles conservées. La définition de l’agriculteur actif et le contrôle des montages juridiques permettent d’assurer la distribution équitable des soutiens financiers au sein de l’Union européenne.

**I. La caractérisation de l’activité agricole et du statut d’exploitant**

**A. La conformité des exigences nationales de détention du bétail**

Le règlement n o 1307/2013 autorise les États membres à définir les modalités de l’activité minimale exercée sur les surfaces agricoles naturellement entretenues par le pâturage. La juridiction européenne affirme qu’une réglementation nationale peut exiger que cette activité « doit être exercée par l’agriculteur au moyen des animaux qu’il détient lui-même ». Cette disposition garantit un lien effectif entre le demandeur de l’aide et l’entretien concret des terres, évitant ainsi des demandes de soutien purement financières.

L’interprétation retenue respecte la marge d’appréciation laissée aux autorités locales pour adapter la politique agricole aux réalités géographiques et économiques de chaque territoire national. Les juges considèrent que cette condition de détention personnelle ne contrevient pas aux objectifs fondamentaux de la législation européenne relative aux régimes de soutien. Cette exigence renforce la crédibilité des interventions publiques en faveur des acteurs contribuant réellement au maintien des paysages ruraux et de la biodiversité.

**B. La reconnaissance nuancée de la qualité d’agriculteur actif**

La notion d’agriculteur actif repose essentiellement sur l’exercice d’une activité agricole minimale, indépendamment de la nature juridique des contrats liant l’exploitant à ses moyens de production. Une personne morale faisant paître des animaux prêtés gratuitement peut revendiquer cette qualité si elle assure la maîtrise réelle de l’exploitation sur les surfaces concédées. La Cour précise que relève de cette définition toute personne exerçant une activité minimale, « pour autant que cette personne exerce, sur cette surface de pâture, une activité minimale ».

Cette approche pragmatique permet de ne pas exclure arbitrairement les structures collectives qui optimisent l’usage du bétail appartenant à des tiers sans en être propriétaires. La réalité de l’entretien des surfaces agricoles prime ainsi sur le formalisme lié au titre de propriété des animaux utilisés pour le pâturage. Cette souplesse favorise l’accès aux aides pour de nouveaux entrants ou des structures sociales ne disposant pas de capitaux propres importants pour l’achat du cheptel.

**II. La surveillance des abus de droit et des conditions artificielles**

**A. L’analyse structurelle de la création artificielle de conditions**

Le règlement n o 1306/2013 interdit le versement d’aides aux demandeurs qui créent artificiellement les conditions requises pour obtenir un avantage contraire aux objectifs du droit. La qualification d’une telle manœuvre nécessite la démonstration d’un élément objectif lié au détournement de la règle et d’un élément subjectif relatif à l’intention. La Cour indique qu’une situation combinant des contrats de concession et des prêts à usage gratuit est « susceptible de relever de la notion de conditions créées artificiellement ».

Il appartient au juge national de vérifier si le montage juridique vise exclusivement à percevoir des fonds sans réaliser les investissements productifs attendus par le législateur. Cette vérification minutieuse assure que les subventions profitent réellement aux acteurs économiques contribuant à la vitalité des zones rurales et au maintien de l’environnement. La lutte contre les montages frauduleux constitue un impératif pour garantir l’efficacité des politiques publiques et la légitimité des dépenses budgétaires de l’Union.

**B. La préservation de la finalité économique des aides européennes**

La lutte contre la fraude protège les intérêts financiers de l’Union en évitant que des structures juridiques complexes ne captent indûment des ressources budgétaires limitées. Les autorités nationales disposent d’un pouvoir d’enquête pour établir la « volonté d’obtenir un avantage résultant de la réglementation » par des moyens détournés ou frauduleux. Cette jurisprudence renforce la sécurité juridique en définissant les contours de l’abus de droit sans brider inutilement la liberté d’organisation contractuelle des exploitants agricoles.

La portée de la décision réside dans l’équilibre nécessaire entre la simplification des procédures administratives et l’exigence d’une surveillance rigoureuse des deniers publics européens. Le juge européen confirme ainsi que la protection du budget commun constitue un impératif supérieur justifiant des contrôles approfondis sur la réalité des exploitations. Cette vigilance accrue permet de pérenniser le système de soutien à l’agriculture européenne en le préservant des critiques liées aux effets d’aubaine injustifiés.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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