Cour de justice de l’Union européenne, le 7 décembre 2006, n°C-161/05

Par un arrêt de manquement, la Cour de justice des Communautés européennes se prononce sur le respect par un État membre de ses obligations découlant de la politique commune de la pêche. La Cour était saisie d’un recours introduit par la Commission européenne au titre de l’article 226 du traité instituant la Communauté européenne. Il était reproché à un État membre de ne pas avoir communiqué les informations relatives aux espèces et aux quantités de poissons capturés par ses navires pour les années 1999 et 2000, en violation des dispositions d’un règlement communautaire instituant un régime de contrôle applicable à cette politique.

Les faits à l’origine du litige sont marqués par une omission. L’État membre mis en cause n’a pas transmis à la Commission les données statistiques requises par le droit communautaire. La procédure précontentieuse, initiée par la Commission en sa qualité de gardienne des traités, n’a pas permis de mettre un terme à cette situation. Après avoir mis l’État membre en mesure de présenter ses observations, la Commission lui a adressé un avis motivé, lui impartissant un délai pour se conformer à ses obligations. Face à la persistance du manquement au-delà de ce délai, la Commission a décidé de porter l’affaire devant la Cour de justice.

La question de droit soumise à la Cour était de déterminer si l’absence de communication de données exigées par un règlement constituait un manquement aux obligations incombant à l’État membre concerné. Plus précisément, il s’agissait de savoir si des difficultés d’ordre interne pouvaient justifier une telle défaillance et à quel moment précis le manquement devait être apprécié par le juge communautaire.

La Cour de justice constate le manquement de l’État. Elle juge qu’« en ne communiquant pas les données prévues aux articles 15, paragraphe 4, et 18, paragraphe 1, du règlement (CEE) n° 2847/93 […], la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de ces dispositions ». La Cour rappelle deux principes fondamentaux de la procédure en manquement : la situation à prendre en considération est celle existant à l’expiration du délai fixé par l’avis motivé, et un État membre ne peut invoquer des dispositions, pratiques ou situations de son ordre juridique interne pour justifier l’inobservation des obligations imposées par le droit communautaire.

La décision, bien que classique dans sa formulation, illustre la rigueur avec laquelle la Cour de justice contrôle le respect par les États membres de leurs engagements. Elle confirme ainsi le caractère objectif du manquement (I), tout en réaffirmant la portée des principes structurants de l’ordre juridique communautaire (II).

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I. La caractérisation objective du manquement étatique

La Cour de justice fonde sa décision sur une analyse factuelle et temporelle rigoureuse de l’infraction. Elle constate d’abord l’existence matérielle de l’omission (A), avant de préciser le cadre temporel strict dans lequel ce manquement doit être évalué (B).

A. L’élément matériel de l’infraction : l’omission de communiquer les données

Le manquement reproché à l’État membre est constitué par une simple abstention. Les dispositions du règlement n° 2847/93 lui imposaient une obligation claire, précise et inconditionnelle de collecter et de transmettre des informations spécifiques. Le défaut de communication des données relatives aux captures de pêche pour les années 1999 et 2000 suffit à matérialiser la violation du droit communautaire. La Cour n’a pas à rechercher les raisons de cette défaillance ni à établir une intention de la part de l’État.

Le caractère objectif du manquement est au cœur du raisonnement. L’infraction est constituée dès lors que le résultat prescrit par la norme communautaire n’est pas atteint. Le dispositif de l’arrêt est à cet égard dénué de toute ambiguïté, se limitant à constater que l’État « a manqué aux obligations qui lui incombent ». Cette approche garantit une application uniforme du droit communautaire et prévient toute remise en cause de son effectivité par des considérations subjectives. La charge de la preuve pesant sur la Commission se trouve allégée, celle-ci devant simplement démontrer l’absence de réception des informations requises.

B. Le critère temporel de l’appréciation du manquement

La Cour rappelle une règle fondamentale de la procédure en manquement, selon laquelle « la situation à prendre en considération [est la] situation à l’expiration du délai fixé par l’avis motivé ». Ce principe structure la procédure précontentieuse et fige le litige à une date précise. Toute régularisation ultérieure par l’État membre, bien que souhaitable pour l’avenir, est sans incidence sur la constatation par la Cour de l’existence passée du manquement.

Cette règle procédurale a une double fonction. D’une part, elle incite les États membres à se conformer à leurs obligations dans les plus brefs délais, l’avis motivé agissant comme une dernière mise en demeure avant la saisine du juge. D’autre part, elle garantit la sécurité juridique en fixant définitivement l’objet du contentieux. Le juge ne se prononce que sur l’état du droit et des faits tel qu’il se présentait à la fin de la phase précontentieuse, évitant ainsi que le débat ne soit constamment modifié par les actions de l’État défendeur. La solution réaffirme la nature non pas punitive, mais déclaratoire du recours en manquement.

II. La réaffirmation des principes fondateurs de l’ordre juridique communautaire

Au-delà de la résolution du cas d’espèce, l’arrêt a une portée pédagogique en rappelant avec fermeté des principes essentiels à la primauté et à l’effectivité du droit communautaire. Il souligne ainsi l’inopposabilité des justifications tirées de l’ordre interne (A) et confirme la fonction du recours en manquement comme gardien de la légalité communautaire (B).

A. L’inopposabilité des justifications tirées de l’ordre interne

L’un des motifs de l’arrêt rappelle qu’un État membre ne saurait se prévaloir de son organisation interne pour échapper à ses obligations. Ce principe, constant dans la jurisprudence de la Cour, est une conséquence directe du principe de primauté du droit communautaire. Les États membres sont tenus d’adapter leur législation et leurs pratiques administratives pour assurer la pleine application des normes européennes. Admettre une justification basée sur des difficultés internes reviendrait à subordonner l’application du droit communautaire à la volonté et aux capacités de chaque État, anéantissant ainsi son caractère uniforme.

La Cour se montre inflexible sur ce point, refusant d’examiner la nature des obstacles éventuellement rencontrés par l’administration nationale. Qu’il s’agisse de problèmes techniques, de complexités administratives ou de contraintes budgétaires, aucune de ces circonstances ne peut constituer une excuse valable. Cette solution, bien que sévère, est indispensable au bon fonctionnement de l’Union. Elle oblige les États membres à prendre les mesures nécessaires pour garantir l’effectivité du droit qu’ils ont eux-mêmes élaboré et adopté.

B. La fonction objective du recours en manquement

Cette décision illustre parfaitement la nature du recours en manquement. Son but n’est pas de sanctionner un État pour une faute, mais de faire constater objectivement une violation du droit de l’Union afin d’y mettre un terme. La procédure vise à assurer le respect de la légalité communautaire et à préserver l’intégrité d’un ordre juridique fondé sur la coopération loyale entre les États membres et les institutions. En condamnant l’État aux dépens, la Cour applique une conséquence quasi automatique de la défaite processuelle.

En rappelant ces principes dans une affaire relative à une obligation de nature technique, la Cour de justice démontre qu’aucune infraction, quelle que soit son importance apparente, ne peut être tolérée. Chaque manquement, même mineur, porte atteinte à la cohérence et à l’autorité du droit communautaire. Cet arrêt, bien que s’inscrivant dans une jurisprudence bien établie, sert de rappel utile sur la rigueur des devoirs qui incombent aux États membres et sur le rôle central de la Cour comme garante de l’intérêt général européen.

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