Cour de justice de l’Union européenne, le 7 décembre 2023, n°C-329/22

Par un arrêt en date du 7 décembre 2023, la Cour de justice de l’Union européenne, réunie en sa dixième chambre, a précisé les conditions d’octroi des aides financières pour la conversion à l’agriculture biologique dans le cadre du Fonds européen agricole pour le développement rural. En l’espèce, un agriculteur spécialisé en apiculture avait sollicité un soutien financier pour la deuxième année consécutive au titre d’une mesure nationale de développement rural. L’autorité nationale compétente avait rejeté sa demande au motif que la législation nationale limitait le soutien financier à la conversion à la période minimale de conversion prévue par le droit de l’Union, soit un an pour les produits apicoles. Saisie du litige, une juridiction administrative de première instance, puis une seconde, avaient annulé ce refus. L’autorité nationale a alors formé un pourvoi devant le Varhoven administrativen sad (Cour administrative suprême, Bulgarie), qui a décidé de surseoir à statuer et d’interroger la Cour de justice sur l’interprétation des dispositions pertinentes du droit de l’Union. La question soulevée était de savoir si un État membre pouvait légalement limiter la durée du soutien financier accordé pour la conversion à l’agriculture biologique à la période minimale de conversion fixée par la réglementation européenne. En réponse, la Cour a jugé que l’article 29, paragraphe 3, deuxième phrase, du règlement (UE) n° 1305/2013 « ne s’oppose pas à une disposition nationale qui limite la possibilité de bénéficier d’un soutien financier pour la conversion à l’apiculture biologique à la période minimale de conversion visée à l’article 38, paragraphe 3, du règlement (CE) n° 889/2008 ». La décision commentée clarifie ainsi l’articulation entre les différentes périodes prévues par les textes européens (I), tout en confirmant la marge d’appréciation substantielle reconnue aux États membres dans la mise en œuvre de la politique agricole commune (II).

I. La clarification de l’articulation des périodes de soutien et de conversion

L’arrêt apporte une précision essentielle en distinguant formellement les notions de « période initiale » et de « période de conversion » (A), ce qui fonde la faculté pour les États membres d’aligner la durée du soutien financier sur la période technique de conversion (B).

A. La distinction sémantique entre « période initiale » et « période de conversion »

La Cour de justice prend soin de définir les deux notions clés du litige pour démontrer qu’elles ne sont pas synonymes. La « période de conversion » est une notion technique définie à l’article 2, sous h), du règlement (CE) n° 834/2007 comme « le passage de l’agriculture non biologique à l’agriculture biologique pendant une période donnée ». Durant cette phase transitoire, l’agriculteur applique déjà les règles de la production biologique mais ne peut pas encore commercialiser ses produits sous ce label, comme le précise l’article 17, paragraphe 1, sous f), du même règlement. Sa durée est harmonisée au niveau de l’Union et varie selon le type de production. Pour l’apiculture, l’article 38, paragraphe 3, du règlement (CE) n° 889/2008 fixe cette période à « au moins un an ».

À l’inverse, la « période initiale » n’est pas définie par les textes. La Cour l’interprète donc selon son sens usuel et son contexte. Elle se réfère à la période d’engagement de l’agriculteur pour bénéficier d’une aide. La Cour conclut que les deux notions « n’ont pas la même signification, dans la mesure où la “période initiale” vise la première prise d’engagements de la part du bénéficiaire d’un soutien […] alors que la seconde notion est définie à l’article 17 du règlement n° 834/2007 ». Cette distinction est fondamentale, car elle sépare la durée de l’engagement contractuel pour l’aide de la durée de la contrainte technique de conversion.

B. La faculté d’aligner la durée du soutien sur la période minimale de conversion

Une fois la distinction établie, la Cour examine la faculté offerte aux États membres par l’article 29, paragraphe 3, du règlement n° 1305/2013. La première phrase de ce paragraphe fixe une durée d’engagement standard de cinq à sept ans pour les aides à l’agriculture biologique. Toutefois, sa deuxième phrase dispose que, pour la conversion, « les États membres peuvent fixer une période initiale plus courte correspondant à la période de conversion ». La Cour interprète le verbe « peuvent » comme une véritable faculté laissée à la discrétion des États membres.

L’adjectif « correspondant » est interprété comme autorisant un alignement. Ainsi, un État membre est en droit de décider que la « période initiale » de l’engagement pour l’aide à la conversion coïncidera avec la durée minimale de la « période de conversion » technique. Pour l’apiculture, cette durée peut donc être limitée à un an. Par cette interprétation, la Cour valide une disposition nationale qui transforme une période minimale de contrainte technique en une période maximale de soutien financier. La Cour énonce clairement que la réglementation européenne « ne s’oppose pas à une disposition nationale qui limite la possibilité de bénéficier d’un soutien financier ».

II. La confirmation de la marge d’appréciation des États membres

Cette solution pragmatique se justifie au regard des objectifs de la politique agricole commune (A) et réaffirme la répartition des compétences entre l’Union et ses membres dans la gestion des aides (B).

A. Une application justifiée par les objectifs de la politique agricole commune

La Cour assoit son raisonnement sur la finalité des aides à la conversion. Citant le considérant 23 du règlement n° 1305/2013, elle rappelle que les paiements visent à « couvrir les coûts supplémentaires et les pertes de revenus découlant des engagements contractés ». Or, la contrainte économique la plus forte pour l’agriculteur se situe pendant la période de conversion, où il subit les surcoûts des pratiques biologiques sans pouvoir bénéficier de la valorisation de ses produits sur le marché. Une fois cette période achevée, il peut commercialiser ses produits comme biologiques et obtenir une meilleure rémunération, ce qui justifie la fin de l’aide spécifique à la conversion.

Limiter le soutien à cette seule période apparaît donc conforme à l’objectif d’une utilisation efficace des ressources du FEADER et permet d’éviter un double financement ou une surcompensation, que le règlement cherche précisément à proscrire. La solution retenue garantit que l’aide est ciblée sur la phase où elle est économiquement la plus pertinente, encourageant les agriculteurs à franchir le pas de la conversion sans pour autant créer une rente de situation.

B. La portée de la solution pour l’harmonisation de l’agriculture biologique

L’arrêt confirme une ligne jurisprudentielle constante qui reconnaît aux États membres une large marge d’appréciation dans la mise en œuvre de leurs programmes de développement rural. Si les règles techniques de la production biologique et les durées de conversion sont strictement harmonisées pour garantir l’intégrité du label biologique dans toute l’Union, les modalités de soutien financier relèvent en grande partie de la subsidiarité. La Cour juge à ce titre que les États membres peuvent fixer une durée maximale pour l’octroi du soutien « en s’alignant sur la période de conversion spécifique qui […] est définie par la réglementation de l’Union européenne uniquement en fonction du type de culture ou de production animale ».

Cette décision a pour conséquence de légitimer des approches différenciées entre les États membres. Un agriculteur dans un État pourrait recevoir une aide à la conversion pendant une durée plus longue si cet État n’a pas utilisé la faculté de la restreindre, tandis qu’un autre, dans une situation identique, ne la recevrait que pour la durée minimale. Cette souplesse permet aux autorités nationales d’adapter les incitations financières aux spécificités de leur agriculture et à leurs priorités budgétaires, tout en respectant le cadre réglementaire commun. L’harmonisation européenne se concentre ainsi sur les normes de production, laissant aux États la maîtrise de l’outil financier.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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