Cour de justice de l’Union européenne, le 7 décembre 2023, n°C-441/22

La Cour de justice de l’Union européenne apporte des précisions fondamentales sur le régime des modifications des marchés publics par sa décision du 7 décembre 2023. Cette affaire porte sur l’interprétation de la directive 2014/24 concernant l’extension des délais d’exécution de travaux publics financés par des fonds structurels européens.

Le litige s’inscrit dans un contexte où deux entités publiques adjudicatrices ont accepté des dépassements de délais importants sans signer d’avenants écrits ni réclamer de pénalités. Les autorités de gestion des fonds ont alors appliqué des corrections financières de 25 % en raison d’une violation substantielle des règles de la commande publique.

La juridiction de renvoi sollicite l’interprétation de la Cour afin de déterminer si une modification contractuelle peut être qualifiée de substantielle en l’absence d’accord écrit formel. Elle interroge également les juges sur la portée des notions de diligence raisonnable et de circonstances imprévisibles face à des aléas météorologiques ou réglementaires préexistants.

Les juges européens considèrent que l’absence d’avenant formel ne fait pas obstacle à la reconnaissance d’une modification substantielle dès lors qu’une intention commune des parties est établie. La Cour affirme qu’un pouvoir adjudicateur diligent doit anticiper les risques prévisibles, tels que les conditions climatiques habituelles ou les interdictions réglementaires de construire connues.

I. La consécration d’une conception matérielle de la modification substantielle du contrat

A. L’indifférence du formalisme de l’accord au regard de la volonté commune

L’article 72 de la directive 2014/24 ne conditionne pas la qualification d’une modification substantielle à l’existence d’un accord écrit signé par les parties au contrat. La Cour retient qu’une « volonté commune de procéder à la modification en question pouvant également être déduite, notamment, d’autres éléments écrits émanant de ces parties ».

Cette approche privilégie la réalité des échanges documentaires sur le formalisme d’un acte juridique unique pour identifier l’intention de renégocier les conditions essentielles du marché. L’interprétation retenue empêche les cocontractants de se soustraire aux obligations de publicité en évitant simplement la signature d’avenants explicites lors de la prolongation des délais.

B. La protection impérative de l’effet utile des principes de la commande publique

Le respect des principes de transparence et d’égalité de traitement des soumissionnaires fait obstacle à des modifications contractuelles présentant des caractéristiques substantiellement différentes de l’offre initiale. Une lecture restrictive faciliterait le contournement des règles de mise en concurrence en « permettant aux parties au contrat de marché public de modifier, à leur gré, les conditions d’exécution ».

La Cour souligne que l’extension du délai d’exécution modifie l’équilibre économique du marché en faveur de l’adjudicataire sans que cette faculté ne soit prévue initialement. La définition matérielle de la modification contractuelle se double d’une appréciation stricte des motifs susceptibles de justifier un tel changement des conditions d’exécution convenues.

II. L’encadrement rigoureux de la notion de circonstances imprévisibles par le devoir de diligence

A. L’exigence de prise en compte des risques inhérents à l’exécution des travaux

La diligence du pouvoir adjudicateur impose d’intégrer les risques connus ou probables dès la phase de préparation de la procédure de passation du marché public. L’arrêt énonce que cette obligation « exige notamment que celui-ci ait pris en considération […] les risques de dépassement du délai d’exécution » induits par des causes prévisibles.

La préparation sérieuse du marché suppose une évaluation des contraintes environnementales et sectorielles afin de fixer des délais réalistes et transparents pour l’ensemble des candidats. Le pouvoir adjudicateur doit utiliser des clauses de réexamen explicites s’il souhaite adapter les conditions d’exécution face à des événements identifiés lors de la phase préliminaire.

B. L’exclusion des aléas prévisibles comme justification objective au dépassement des délais

Les conditions météorologiques habituelles et les interdictions réglementaires publiées avant la consultation ne constituent pas des circonstances extérieures que l’entité publique ne pouvait pas prévoir. Ces éléments « ne sauraient être considérés comme des circonstances qu’un pouvoir adjudicateur diligent ne pouvait pas prévoir » au sens de la législation européenne.

Le dépassement du délai contractuel fondé sur de tels motifs ne peut être justifié objectivement s’ils n’ont pas été formellement prévus dans les documents de la consultation. La Cour impose ainsi aux opérateurs économiques de calculer leurs propositions avec bonne foi en incluant les risques usuels pertinents pour le respect du calendrier.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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