Cour de justice de l’Union européenne, le 7 décembre 2023, n°C-830/21

La Cour de justice de l’Union européenne, dans la décision commentée, se prononce sur les modalités d’étiquetage des produits phytopharmaceutiques faisant l’objet d’un commerce parallèle. En l’espèce, un importateur a introduit un produit phytopharmaceutique d’un État membre vers un autre sur la base d’un permis de commerce parallèle. Un litige est né concernant les informations devant figurer sur l’emballage du produit dans l’État membre de destination. La juridiction nationale saisie du différend a alors décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour de justice deux questions préjudicielles portant sur l’interprétation du règlement (UE) n° 547/2011. Il s’agissait de déterminer, d’une part, si l’importateur parallèle pouvait remplacer le nom et l’adresse du détenteur de l’autorisation de mise sur le marché de l’État membre d’origine par ses propres coordonnées. D’autre part, la question se posait de savoir si cet importateur était tenu de conserver le numéro de lot initialement attribué par le fabricant du produit. La Cour de justice répond de manière distincte à ces deux interrogations. Elle affirme que l’importateur « peut, sur l’emballage de ce produit, remplacer le nom et l’adresse du détenteur de l’autorisation dans l’État membre d’origine par ses propres nom et adresse ». En revanche, elle juge que ce même importateur « est tenu de faire figurer, sur l’emballage de ce produit, le numéro de lot de la préparation concernée initialement attribué par le producteur ». La solution adoptée par la Cour opère ainsi une distinction claire entre les informations relatives à l’identification de l’opérateur responsable de la mise sur le marché et celles garantissant la traçabilité du produit.

Cette décision consacre ainsi un droit à la substitution des coordonnées pour l’opérateur économique (I), tout en affirmant le caractère intangible des données de traçabilité du produit (II).

I. La consécration du droit à la substitution des coordonnées de l’importateur parallèle

La Cour de justice autorise l’importateur parallèle à apposer ses propres nom et adresse sur l’emballage, une solution justifiée par la responsabilité qui lui incombe (A) et qui favorise la fluidité des échanges intracommunautaires (B).

A. Une substitution justifiée par la responsabilité de l’opérateur sur le marché de destination

En permettant à l’importateur parallèle de substituer ses coordonnées à celles du détenteur de l’autorisation dans l’État membre d’origine, la Cour tire les conséquences logiques du rôle de cet opérateur. L’importateur est en effet celui qui introduit physiquement le produit phytopharmaceutique sur le marché national de destination et qui en assume la responsabilité. Il devient l’interlocuteur principal des autorités de contrôle nationales ainsi que des utilisateurs finaux pour toute question relative au produit commercialisé sur ce territoire spécifique. La présence de son nom et de son adresse sur l’étiquetage garantit donc une identification claire et immédiate du responsable de la mise sur le marché, ce qui est essentiel en cas de non-conformité, d’incident ou de simple demande d’information. Maintenir les coordonnées du titulaire de l’autorisation d’origine créerait une confusion préjudiciable, en dirigeant les tiers vers une entité qui n’est pas directement à l’origine de la commercialisation du produit dans cet État membre précis. La solution retenue est donc pragmatique, elle aligne l’information de l’étiquette sur la réalité juridique et économique de l’opération de commerce parallèle.

B. Une solution favorisant la fluidité du commerce parallèle

Au-delà de la simple logique de responsabilité, cette interprétation du règlement n° 547/2011 participe de la réalisation des objectifs du marché intérieur. Le commerce parallèle est une manifestation légale et encouragée du principe de libre circulation des marchandises. En clarifiant les règles d’étiquetage dans un sens qui facilite l’activité des importateurs, la Cour lève une potentielle entrave aux échanges. Imposer le maintien des informations du titulaire d’origine aurait pu complexifier, voire dissuader, les opérations de réemballage ou de réétiquetage nécessaires à l’adaptation du produit au marché de destination. En accordant à l’importateur le droit de s’identifier clairement, la Cour lui permet d’assumer pleinement son rôle d’opérateur économique et de construire sa propre réputation commerciale. Cette prérogative, loin d’être anodine, est un élément de facilitation qui renforce la sécurité juridique pour les acteurs du commerce parallèle et contribue à une meilleure intégration du marché unique des produits phytopharmaceutiques.

Si la Cour reconnaît une prérogative à l’importateur, elle la tempère aussitôt par le rappel d’une obligation essentielle qui délimite la portée de l’intervention sur l’emballage.

II. Le maintien impératif des informations de traçabilité originelles

La Cour de justice impose à l’importateur parallèle de conserver le numéro de lot d’origine, une obligation dictée par un impératif de sécurité (A) et qui pose une limite stricte au droit de réétiquetage (B).

A. Une exigence fondée sur l’impératif de sécurité sanitaire et environnementale

La seconde partie de la décision met en lumière la hiérarchie des normes et des intérêts en jeu. En jugeant que l’importateur « est tenu de faire figurer […] le numéro de lot de la préparation concernée initialement attribué par le producteur », la Cour sanctuarise une donnée jugée fondamentale. Le numéro de lot est un élément de traçabilité indispensable qui relie chaque unité du produit à un cycle de production spécifique, avec ses matières premières, ses conditions de fabrication et ses contrôles de qualité. Cette information est cruciale pour permettre des retraits ou des rappels rapides et ciblés en cas de découverte d’un défaut de fabrication ou d’un risque pour la santé humaine, la santé animale ou l’environnement. Laisser l’importateur parallèle modifier ou supprimer cette information reviendrait à rompre la chaîne de traçabilité et à rendre inopérants les systèmes de surveillance post-commercialisation. La Cour fait ainsi prévaloir l’objectif de protection élevé, inhérent à la réglementation sur les produits phytopharmaceutiques, sur la simple commodité de l’opérateur économique.

B. Une limite claire au réétiquetage au service de la traçabilité

Cette obligation de conservation du numéro de lot originel vient borner de manière précise le droit au réétiquetage reconnu dans la première partie de la décision. Elle opère une distinction fondamentale entre les informations relatives à la commercialisation, qui peuvent être adaptées, et les informations inhérentes à la fabrication du produit, qui sont intangibles. La Cour de justice signifie ainsi que si l’importateur parallèle devient le responsable du produit sur le marché de destination, il ne se substitue en aucun cas au fabricant. L’opération de commerce parallèle est une opération de distribution et non de production. La portée de cette solution est considérable, car elle établit un principe de transparence et de vérité à l’égard du consommateur et des autorités. Le produit, bien que présenté sous un emballage modifié, reste matériellement identique au produit d’origine, et son histoire productive, encapsulée dans le numéro de lot, doit rester accessible et inaltérée. La décision assure donc un équilibre entre la promotion du commerce parallèle et la garantie d’un niveau de traçabilité et de sécurité maximal.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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