La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 7 février 2013, une décision fondamentale concernant l’opposabilité des clauses attributives de juridiction. Ce litige opposait un fabricant de compresseurs italien à l’assureur d’un maître d’ouvrage français suite à des défauts de fabrication constatés. Des groupes de climatisation furent installés lors de travaux de rénovation puis indemnisés par une compagnie d’assurance subrogée dans les droits de l’acquéreur final. Le fabricant invoquait la compétence des juridictions italiennes en vertu d’une clause insérée dans le contrat initial conclu avec le premier acheteur.
Le tribunal de grande instance de Paris a rejeté l’exception d’incompétence soulevée par le fabricant étranger lors de la phase de mise en état. La Cour d’appel de Paris a confirmé cette décision le 19 décembre 2008 en soulignant l’absence de consentement du sous-acquéreur à ladite clause. Elle considérait que le litige opposant le fabricant au sous-acquéreur ne relevait pas de la matière contractuelle mais de la responsabilité délictuelle. Un pourvoi fut formé devant la Cour de cassation qui décida de surseoir à statuer afin d’interroger la juridiction luxembourgeoise sur cette problématique.
La question posée visait à déterminer si une clause convenue entre un fabricant et un acheteur produit des effets à l’égard du tiers sous-acquéreur. La juridiction européenne devait préciser les conditions d’application du règlement numéro 44/2001 dans une chaîne communautaire de contrats translatifs de propriété. Elle a jugé qu’une telle clause n’est pas opposable au tiers sauf s’il est établi que celui-ci a donné son consentement effectif. L’analyse de l’exigence impérative d’un consentement précédera l’étude du refus d’une transmission automatique de la clause au sein de la chaîne contractuelle.
**I. L’exigence impérative d’un consentement à la clause attributive de juridiction**
L’interprétation de l’article 23 du règlement repose sur le principe fondamental de l’autonomie de la volonté au sein de l’espace judiciaire européen. La Cour rappelle que « la réalité du consentement des intéressés est l’un des objectifs » de cette disposition garantissant la prévisibilité des compétences.
**A. L’autonomie de la notion de convention attributive de juridiction**
La notion de convention attributive de juridiction doit s’interpréter de manière autonome sans renvoi aux droits nationaux des différents États membres. Le juge saisi doit vérifier si la clause a fait effectivement l’objet d’un consentement réel et vérifiable entre les parties au litige. Cette exigence de fond limite la portée des clauses aux seuls rapports entre les contractants ayant initialement exprimé leur accord de volonté réciproque. L’article 23 ne précise pas les modalités de transmission à un tiers mais souligne que les parties doivent être « convenues » d’un tribunal déterminé. Le consentement constitue ainsi le pivot central justifiant l’éviction des règles de compétence ordinaires au profit d’une juridiction spécifiquement choisie.
**B. L’inexistence d’un lien contractuel entre le fabricant et le sous-acquéreur**
Le rapport entre le fabricant d’un bien et le sous-acquéreur final ne relève pas de la matière contractuelle selon la jurisprudence européenne constante. Il n’existe « aucun lien contractuel entre le sous-acquéreur et le fabricant » dès lors que ce dernier n’a assumé aucune obligation envers lui. Le fabricant et le tiers ne peuvent donc être considérés comme étant convenus d’un tribunal au sens du règlement sur la compétence judiciaire. Cette absence de lien synallagmatique direct empêche l’application automatique des stipulations contractuelles initiales à celui qui n’a pas participé à l’acte originaire. La solution retenue confirme la distinction stricte entre la transmission de la propriété d’un bien et celle des clauses juridictionnelles accessoires.
**II. Le refus d’une transmission automatique de la clause dans la chaîne de contrats**
La spécificité des chaînes de contrats translatifs de propriété impose une analyse rigoureuse des effets de la clause à l’égard des acquéreurs successifs. La Cour écarte la possibilité d’une transmission tacite fondée sur les règles de droit interne pour privilégier l’unification des règles de conflit européennes.
**A. L’écartement des exceptions liées aux titres négociables**
La jurisprudence relative aux contrats de transport maritime et aux connaissements ne peut être transposée aux successions simples de contrats de vente. Le connaissement constitue un « titre négociable permettant au propriétaire de céder les marchandises » et de transmettre l’intégralité des droits et obligations afférents. Dans une chaîne de contrats translatifs de propriété, les obligations peuvent varier significativement d’une transaction à l’autre selon les volontés des intermédiaires. La Cour souligne que « le rapport de succession entre l’acquéreur initial et le sous-acquéreur ne s’analyse pas dans la transmission d’un contrat unique ». Cette différence de nature juridique justifie un traitement distinct de l’opposabilité des clauses de prorogation de compétence selon le support contractuel utilisé.
**B. La préservation de la prévisibilité et de l’unification des règles de compétence**
Le renvoi aux droits nationaux pour apprécier l’opposabilité de la clause générerait des solutions divergentes et nuirait à l’objectif d’unification du règlement communautaire. Une telle incertitude serait incompatible avec le besoin de « garantir la prévisibilité en matière de compétence judiciaire » pour les opérateurs économiques transfrontaliers. L’opposabilité de la clause reste subordonnée à la preuve d’un consentement effectif du tiers sous-acquéreur dans les conditions prévues par le texte européen. La solution renforce la sécurité juridique en protégeant le tiers contre des clauses dont il n’a pu raisonnablement prendre connaissance lors de l’acquisition. Le respect des formes strictes énoncées à l’article 23 demeure ainsi le seul rempart contre une extension arbitraire des compétences dérogatoires.