Cour de justice de l’Union européenne, le 7 février 2018, n°C-304/16

Par la décision commentée, la Cour de justice de l’Union européenne précise les critères de distinction entre les schémas de cartes de paiement tripartites et quadripartites au sens du règlement (UE) 2015/751. En l’espèce, une juridiction nationale était saisie d’un litige portant sur la qualification d’un système de paiement par carte. Ce système, structurellement tripartite, recourait aux services d’un partenaire de comarquage ou d’un agent pour émettre ses instruments de paiement. La question se posait de savoir si une telle configuration suffisait à le faire basculer dans la catégorie des schémas quadripartites, et donc à le soumettre aux contraintes réglementaires afférentes, notamment le plafonnement des commissions d’interchange. Saisie d’une question préjudicielle, la Cour devait clarifier si le partenaire de comarquage ou l’agent devait lui-même posséder la qualité d’« émetteur » au sens du règlement pour que la requalification du schéma soit effective. Il était donc demandé à la Cour de déterminer si un schéma tripartite se transforme en schéma quadripartite du seul fait de l’émission d’instruments de paiement avec un partenaire de comarquage ou par l’intermédiaire d’un agent. La Cour de justice répond par l’affirmative en jugeant que, dans une telle situation, « il n’est pas nécessaire que ce partenaire de comarquage ou cet agent agisse en tant qu’émetteur » pour que le schéma soit considéré comme quadripartite. Par ailleurs, elle confirme la validité des dispositions réglementaires fondant cette distinction.

Cette décision clarifie la frontière entre les modèles de schémas de paiement en adoptant une approche fonctionnelle (I), ce qui a pour effet de renforcer la portée des objectifs du règlement (II).

I. La clarification de la notion de schéma quadripartite par une approche fonctionnelle

La Cour de justice consacre une interprétation extensive de la notion de schéma quadripartite en s’affranchissant d’une condition de forme (A), préférant une analyse fondée sur le rôle économique réel des intervenants (B).

A. Le rejet d’une condition formelle liée à la qualité d’émetteur

La Cour opère une distinction nette entre la fonction d’émission et la qualification juridique d’émetteur. Elle énonce qu’un schéma tripartite devient quadripartite dès lors qu’il émet des instruments de paiement « avec un partenaire de comarquage ou par l’intermédiaire d’un agent ». La Cour précise qu’il n’est pas requis que ce partenaire ou agent soit lui-même un « émetteur » tel que défini à l’article 2, point 2, du règlement. Cette interprétation écarte une lecture formaliste qui aurait exigé que l’entité partenaire soit un établissement de crédit ou un établissement de paiement agréé pour émettre des instruments de paiement. Le raisonnement de la Cour se fonde sur l’article 1er, paragraphe 5, du règlement, qui décrit la transformation d’un schéma tripartite en schéma quadripartite. Cette disposition ne pose aucune condition relative à la nature juridique du partenaire impliqué dans le processus d’émission.

En se concentrant sur le verbe « émettre » et non sur le statut de l’entité qui participe à cette émission aux côtés du schéma, la Cour privilégie l’action sur la qualité. La seule présence d’un tiers dans la chaîne de distribution des cartes, agissant en tant que partenaire de comarquage ou agent, suffit à modifier la nature du schéma. Cette solution empêche qu’un système de paiement échappe à la qualification de schéma quadripartite par un montage juridique dans lequel le partenaire ne détiendrait pas formellement le statut d’émetteur.

B. La consécration d’une équivalence fonctionnelle avec le modèle quadripartite

En réalité, l’intervention d’un partenaire de comarquage ou d’un agent introduit un quatrième acteur dans la relation tripartite classique, qui ne comprend que le schéma, le titulaire de la carte et le commerçant. Ce partenaire, même sans être un émetteur au sens strict, remplit une fonction économique analogue à celle d’une banque émettrice dans un schéma quadripartite traditionnel. Il participe activement à la mise à disposition des cartes sur le marché, souvent en y associant sa propre marque et son réseau de clientèle. Cette participation crée une dynamique de marché comparable à celle des systèmes quadripartites, où les émetteurs et les acquéreurs sont des entités distinctes.

La Cour reconnaît ainsi que la structure fonctionnelle prime sur la qualification juridique des acteurs. Dès qu’un schéma tripartite s’appuie sur un intermédiaire pour atteindre les titulaires de cartes, il adopte de fait les caractéristiques d’un modèle quadripartite. Cette analyse pragmatique est cohérente avec les objectifs du règlement, qui visent à réguler les relations économiques entre les différents intervenants d’un système de paiement, indépendamment des dénominations contractuelles qu’ils adoptent.

L’interprétation retenue par la Cour de justice n’est pas seulement technique ; elle conditionne l’efficacité même du règlement et l’intégrité de sa finalité concurrentielle.

II. Le renforcement de l’effectivité du règlement sur les commissions d’interchange

En validant une lecture large de la définition du schéma quadripartite, la Cour prévient les stratégies de contournement du règlement (A) et confirme la portée générale du droit européen des services de paiement (B).

A. La prévention du contournement des plafonds de commissions d’interchange

L’enjeu principal de la qualification de schéma de paiement réside dans l’application des plafonds de commissions d’interchange prévus par le chapitre II du règlement 2015/751. Ces plafonds ne s’appliquent pas aux schémas tripartites, sauf si ces derniers fonctionnent comme des schémas quadripartites. En jugeant qu’un partenariat de comarquage suffit à opérer cette requalification, la Cour empêche les schémas tripartites d’étendre leur réseau par l’intermédiaire de partenaires tout en continuant à bénéficier d’une exemption qui ne se justifie que par l’absence d’intermédiaires. Sans cette clarification, un schéma tripartite aurait pu percevoir des revenus non plafonnés de la part de ses partenaires, créant ainsi des flux financiers équivalents à des commissions d’interchange sans en porter le nom.

La décision assure donc que le traitement réglementaire d’un schéma de paiement correspond à sa réalité économique et concurrentielle. Elle garantit que les règles destinées à favoriser la concurrence et à réduire les coûts pour les commerçants et les consommateurs s’appliquent de manière uniforme à tous les systèmes qui fonctionnent de manière similaire. La validité de l’article 1er, paragraphe 5, et de l’article 2, point 18, confirmée par la Cour dans le second point de son dispositif, vient conforter la légitimité de cette approche différenciée voulue par le législateur de l’Union.

B. La confirmation d’une conception matérielle du droit des paiements

Cette décision s’inscrit dans une jurisprudence constante de la Cour de justice, qui tend à privilégier la substance sur la forme en matière de régulation économique et financière. En se concentrant sur les fonctions remplies par les acteurs plutôt que sur leur statut juridique, la Cour assure la neutralité technologique et commerciale du droit de l’Union. Elle garantit une application cohérente des règles de concurrence à des modèles d’affaires en constante évolution. Le secteur des paiements est marqué par des innovations qui brouillent les frontières traditionnelles entre les différents types d’acteurs. Une approche purement formelle serait rapidement devenue obsolète et aurait créé des failles réglementaires.

En validant la logique du législateur, la Cour rappelle que l’objectif est d’assurer un level playing field, un terrain de jeu équitable, entre tous les fournisseurs de services de paiement. La solution retenue étend le champ d’application des règles les plus contraignantes du règlement 2015/751, renforçant ainsi l’intégration du marché intérieur des paiements. La portée de cet arrêt est donc significative : il envoie un signal clair aux opérateurs, qui ne sauraient se prévaloir d’une structure tripartite pour s’exonérer des contraintes du règlement dès lors qu’ils font appel à des intermédiaires pour la distribution de leurs produits.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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