Par un arrêt rendu le 7 juillet 2011, la deuxième chambre de la Cour de justice de l’Union européenne précise les critères de qualification des manipulations de marché. La question porte sur l’interprétation de la directive 2003/6 concernant la fixation d’un cours à un niveau anormal ou artificiel. Une entreprise d’investissement avait repéré un ordre de vente à seuil de déclenchement placé par un établissement bancaire sur des actions. Elle a simulé des ordres pour identifier ce seuil précis avant de provoquer une chute brutale du cours par une vente massive. Cette manœuvre a déclenché l’ordre automatique de la banque, permettant à l’opérateur d’acquérir les titres à un prix très bas. Le cours est remonté presque instantanément à son niveau initial après la réalisation d’un profit substantiel par l’entreprise. L’organisme de régulation financière nationale a infligé une amende à cette société pour violation des règles relatives aux abus de marché. Le Rechtbank Rotterdam, par un jugement du 20 décembre 2007, a réduit le montant de cette sanction pécuniaire initiale. Saisi en appel, le College van Beroep voor het bedrijfsleven a décidé de surseoir à statuer pour interroger la juridiction européenne. Le problème juridique est de savoir si la fixation d’un cours nécessite le maintien de ce niveau pendant une certaine durée. La Cour répond que la directive n’exige pas que le cours conserve son niveau anormal au-delà d’une unique transaction.
I. L’objectivation du critère de fixation du cours
A. Le dépassement des divergences linguistiques
La version néerlandaise de la directive utilisait un verbe suggérant une idée de maintien dans le temps pour qualifier la manipulation de marché. Cependant, la Cour rappelle que l’interprétation uniforme du droit de l’Union impose une lecture comparée de toutes les versions linguistiques nationales. Elle souligne que les versions française, anglaise ou italienne emploient des termes évoquant simplement l’action de fixer ou d’assurer un prix déterminé. « L’article 1er, point 2, sous a), second tiret, de la directive 2003/6 n’exige pas que le cours conserve pendant une certaine durée un niveau anormal ». La fixation résulte donc de l’atteinte d’un résultat chiffré, peu importe la brièveté de la cotation artificielle ainsi générée par l’opérateur.
B. L’indifférence du facteur temporel dans la qualification
L’existence d’une manipulation est consommée dès lors qu’une opération conduit à établir un cours ne reflétant pas les forces réelles du marché. La juridiction précise que la prohibition s’applique même si le comportement incriminé n’a engendré « qu’une unique transaction et, par voie de conséquence, une unique cotation ». Cette approche extensive permet de saisir des stratégies de trading ou des interventions ponctuelles destinées à déclencher frauduleusement des mécanismes automatiques. L’anormalité du niveau de prix s’apprécie au moment même de l’exécution de l’ordre sans considération pour la stabilité ultérieure de la valeur. Cette interprétation stricte de la lettre du texte assure une sécurité juridique aux autorités de régulation chargées de surveiller les transactions.
II. La finalité protectrice de l’intégrité des marchés financiers
A. La préservation de la confiance des investisseurs
La solution retenue par les juges s’appuie sur la volonté de renforcer la confiance des investisseurs dans la transparence des marchés européens. Cette confiance repose sur le principe d’égalité entre les acteurs et la protection contre les utilisations illicites d’informations ou de manœuvres. « Les objectifs ainsi poursuivis par ladite directive seraient compromis si des comportements pouvaient échapper à la prohibition » au seul motif de leur durée. L’intégrité du marché exige que chaque transaction contribue à la formation d’un prix juste fondé sur des éléments économiques réels et transparents. En sanctionnant les fluctuations artificielles instantanées, la Cour protège les investisseurs dont les ordres automatiques sont vulnérables aux comportements opportunistes.
B. L’efficacité de la répression des abus de marché
L’efficacité de la lutte contre les abus de marché impose de ne pas laisser de zones d’ombre fondées sur des critères temporels arbitraires. Si une durée minimale était exigée, les opérateurs pourraient multiplier les manipulations de très courte durée pour échapper aux sanctions des autorités nationales. La Cour de justice garantit ainsi que la notion de manipulation de marché reste évolutive pour « couvrir les nouveaux comportements qui constituent de fait des manipulations ». La portée de l’arrêt est significative car elle valide une approche fonctionnelle de la règle de droit centrée sur le résultat économique. Cette décision de principe harmonise la répression des abus au sein de l’Union européenne en évitant toute disparité d’interprétation entre les États.