Un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne vient préciser les conditions d’éligibilité des dépenses au Fonds européen agricole pour le développement rural. En l’espèce, un bénéficiaire avait sollicité le cofinancement d’une opération de développement rural au titre du Feader. Après avoir obtenu une décision d’octroi de l’aide, il a présenté une demande de paiement qui incluait cependant des dépenses exposées avant même ladite décision. L’autorité nationale compétente a par conséquent rejeté l’intégralité de sa demande au motif que certaines de ces dépenses étaient antérieures à l’approbation formelle du projet. Saisie du litige, la juridiction de renvoi a interrogé la Cour de justice sur la compatibilité d’une telle réglementation et d’une telle sanction avec le droit de l’Union. Il s’agissait de déterminer, d’une part, si un État membre peut légalement restreindre le cofinancement aux seules dépenses postérieures à la décision d’octroi. Il convenait de savoir, d’autre part, si la présence de dépenses inéligibles justifiait le rejet total de la demande de paiement. La Cour répond par l’affirmative à la première question, mais elle module sa réponse sur la seconde. Elle juge que si les États membres disposent d’une marge d’appréciation pour définir la période d’éligibilité, la sanction du rejet intégral apparaît en revanche disproportionnée en l’absence d’une intention frauduleuse.
Il convient donc d’analyser la confirmation de la marge de manœuvre des États membres dans la fixation du point de départ de l’éligibilité des dépenses (I), avant d’examiner la censure de la sanction du rejet intégral au nom du principe de proportionnalité (II).
I. La validation de la discrétion nationale dans la détermination de la période d’éligibilité
La Cour de justice reconnaît en premier lieu la faculté pour les États membres d’aménager les conditions temporelles de l’aide, consacrant ainsi leur autonomie administrative dans la gestion des fonds européens.
A. La reconnaissance d’une faculté d’encadrement temporel des dépenses
La Cour établit clairement que le droit de l’Union n’impose pas un point de départ unique pour l’éligibilité des dépenses. Elle juge en effet que l’article 71 du règlement (CE) n° 1698/2005 « ne s’oppose pas à une réglementation nationale […] en vertu de laquelle seules sont éligibles pour la participation du Fonds […] les dépenses exposées postérieurement à l’adoption de la décision d’octroi d’une telle aide ». Cette interprétation confère aux autorités nationales une latitude importante pour la mise en œuvre des programmes de développement rural. En l’absence de disposition expresse contraire dans le règlement, les États membres restent donc libres de définir des critères stricts afin d’assurer une gestion rigoureuse et prévisible des deniers publics. La décision de lier l’éligibilité à un acte administratif formel, tel que la décision d’octroi, relève ainsi d’un choix de politique de gestion qui n’est pas en soi contraire aux objectifs du règlement.
B. La consécration de l’autonomie administrative des États membres
Cette solution renforce le principe de subsidiarité dans l’application du droit de l’Union en matière de fonds structurels. La Cour reconnaît que les autorités de gestion nationales sont les mieux placées pour déterminer les modalités administratives assurant la bonne exécution des programmes de développement. Permettre de limiter l’éligibilité aux dépenses postérieures à la décision d’octroi vise à garantir que le cofinancement n’est accordé qu’à des projets dont la viabilité et la conformité ont été formellement validées. Une telle règle offre une sécurité juridique tant pour l’administration, qui dispose d’un critère clair et objectif, que pour le bénéficiaire, qui connaît précisément le moment à partir duquel ses dépenses peuvent être prises en charge. La Cour valide donc une approche prudente de la gestion des fonds, qui privilégie la prévention des irrégularités en amont.
II. La sanction de la disproportion manifeste dans le traitement des demandes de paiement
Si la Cour admet la liberté des États dans la définition des règles d’éligibilité, elle en contrôle cependant rigoureusement les conséquences, en particulier les sanctions attachées à leur non-respect.
A. L’illégalité du rejet intégral d’une demande de paiement pour une inéligibilité partielle
La Cour opère une distinction fondamentale entre la définition d’une règle d’éligibilité et la sanction de sa violation. Elle considère que le principe de proportionnalité s’oppose à une sanction automatique et totale. La décision énonce en effet que le droit de l’Union « s’oppose à une réglementation nationale […] qui prévoit le rejet dans son intégralité de la demande de paiement […] lorsque certaines dépenses effectuées au profit de cette opération ont été exposées antérieurement à l’adoption de la décision d’octroi ». Une telle sanction est jugée excessive lorsque l’irrégularité ne concerne qu’une partie des dépenses et ne résulte pas d’une manœuvre frauduleuse. Le rejet ne saurait donc porter que sur les dépenses inéligibles, le solde de la demande devant être honoré si les autres conditions sont remplies. La Cour impose ainsi un examen au cas par cas plutôt qu’une application mécanique d’une sanction radicale.
B. La protection du bénéficiaire de bonne foi et le renforcement de la sécurité juridique
Cette position vise manifestement à protéger le bénéficiaire qui commet une erreur administrative sans intention de frauder. La Cour précise que le rejet intégral n’est pas justifié « dès lors que le bénéficiaire de l’aide n’a pas délibérément effectué une fausse déclaration dans sa demande de paiement ». Cette nuance est capitale car elle subordonne la sévérité de la sanction à l’existence d’un élément intentionnel. La décision établit un juste équilibre entre la nécessité de garantir le respect des règles d’utilisation des fonds européens et le droit des bénéficiaires à ne pas être pénalisés de manière disproportionnée pour des erreurs matérielles. En définitive, la Cour renforce la sécurité juridique pour les porteurs de projets, qui ne risquent plus de perdre l’intégralité d’un cofinancement pour une inéligibilité mineure et involontaire. Elle contraint ainsi les autorités nationales à adopter des sanctions plus modulées et équitables.