Cour de justice de l’Union européenne, le 7 juillet 2016, n°C-46/15

Dans l’arrêt soumis à l’analyse, la Cour de justice de l’Union européenne précise les conditions dans lesquelles un opérateur économique peut justifier de ses capacités techniques lors d’une procédure de passation de marché public. En l’espèce, un pouvoir adjudicateur avait établi des règles spécifiques pour la preuve des prestations antérieures réalisées auprès de clients privés. Un soumissionnaire s’est vraisemblablement vu écarter pour ne pas avoir respecté ces exigences formelles, notamment l’authentification de la signature d’un client privé. Saisie d’une question préjudicielle par une juridiction nationale, la Cour était amenée à interpréter la compatibilité de telles exigences avec la directive 2004/18/CE. Le problème de droit portait sur la latitude d’un pouvoir adjudicateur à imposer des formalités probatoires plus strictes que celles prévues par le droit de l’Union, particulièrement l’exigence d’une certification notariée pour des prestations privées, et sur la possibilité pour un particulier d’invoquer la directive en l’absence de transposition nationale. La Cour répond que la disposition en cause est d’effet direct, qu’un pouvoir adjudicateur peut refuser une simple déclaration unilatérale, mais qu’il ne peut exiger, sous peine d’exclusion, l’authentification de la signature d’un certificat privé. Il conviendra d’analyser la confirmation par la Cour du pouvoir de contrôle du pouvoir adjudicateur (I), avant d’étudier la censure des exigences qu’elle juge disproportionnées (II).

I. La prérogative du pouvoir adjudicateur dans l’appréciation des capacités techniques : un encadrement nécessaire

La décision reconnaît une marge de manœuvre au pouvoir adjudicateur pour vérifier les capacités des soumissionnaires, tout en la situant fermement dans le cadre des garanties offertes par le droit de l’Union. Cette reconnaissance passe par l’affirmation de l’invocabilité de la directive (A) qui justifie ensuite la légitimité d’un contrôle de la valeur probante des documents fournis (B).

A. L’affirmation de l’effet direct de la directive comme garantie des droits du soumissionnaire

La Cour rappelle d’emblée un principe fondamental du droit de l’Union en jugeant que la disposition en cause « remplit les conditions pour conférer aux particuliers, en l’absence de transposition en droit interne, des droits que ceux-ci peuvent invoquer devant les juridictions nationales ». En confirmant l’effet direct de l’article 48, paragraphe 2, de la directive, elle assure que les opérateurs économiques ne peuvent être privés des garanties prévues par le législateur européen du fait de l’inertie ou d’une transposition incorrecte par un État membre. Cette solution classique permet de placer le soumissionnaire sous la protection directe de la norme européenne, qui vise à assurer une concurrence effective et non faussée. La Cour précise toutefois que cette invocabilité est dirigée contre un pouvoir adjudicateur, qu’il soit une entité publique ou un organisme privé agissant sous contrôle public avec des prérogatives exorbitantes. Cette précision délimite le champ d’application de l’effet direct vertical et renforce la sécurité juridique pour les participants aux marchés publics.

B. La légitimité du rejet des preuves unilatérales sous condition

Après avoir consolidé les droits du soumissionnaire, la Cour examine les prérogatives du pouvoir adjudicateur. Elle juge que la directive « ne s’oppose pas à l’application de règles […] qui ne permettent pas à un opérateur économique de prouver ses capacités techniques au moyen d’une déclaration unilatérale ». Cette position valide la démarche d’un pouvoir adjudicateur cherchant à obtenir des preuves fiables et objectives, une simple affirmation du candidat pouvant manquer de la force probante requise. Le pouvoir de vérification est ainsi reconnu comme essentiel pour garantir que le futur cocontractant dispose réellement des compétences nécessaires à la bonne exécution du marché. Néanmoins, la Cour assortit immédiatement cette faculté d’une condition importante, en précisant que le refus de la déclaration unilatérale est possible « sauf s’il apporte la preuve de l’impossibilité ou de la difficulté sérieuse d’obtenir une certification de l’acheteur privé ». Cette nuance est capitale car elle introduit une soupape de flexibilité et protège l’opérateur économique face à un ancien client non coopératif.

Si le pouvoir adjudicateur dispose d’une marge d’appréciation pour s’assurer de la fiabilité des preuves, cette prérogative n’est pas sans limites et doit s’exercer dans le respect des principes fondamentaux du droit de l’Union.

II. La prohibition des exigences probatoires disproportionnées : une application du principe de proportionnalité

La Cour de justice censure fermement les entraves qui ne sont pas justifiées par l’objectif de vérification des capacités. Elle proscrit ainsi le formalisme excessif que constitue l’exigence d’une signature authentifiée (A), réaffirmant par là même la nécessité d’une égalité de traitement entre les opérateurs économiques (B).

A. L’illicéité de l’exigence d’une signature authentifiée comme formalisme excessif

Le cœur de la décision réside dans la condamnation d’une exigence purement formelle et excessivement contraignante. La Cour juge en effet que la directive « s’oppose à l’application de règles […] qui imposent, sous peine d’exclusion de la candidature du soumissionnaire, que la certification de l’acheteur privé porte une signature authentifiée par un notaire, un avocat ou par toute autre entité compétente ». Cette solution constitue une application directe du principe de proportionnalité. L’exigence d’une telle authentification représente une charge administrative et financière significative pour le soumissionnaire, sans pour autant apporter une garantie substantiellement supérieure quant à la véracité de l’attestation, surtout dans le cadre de relations commerciales privées où cette pratique est inhabituelle. En liant cette exigence à une sanction aussi radicale que l’exclusion, le pouvoir adjudicateur crée une barrière à l’entrée non justifiée par un impératif de bonne administration. La Cour sanctionne donc un formalisme qui fausse la concurrence au lieu de la garantir.

B. La portée de la solution : un renforcement de l’égalité de traitement des opérateurs économiques

Au-delà du cas d’espèce, cette décision revêt une portée importante pour la protection des soumissionnaires, notamment les petites et moyennes entreprises. En invalidant une clause qui avantage indirectement les opérateurs habitués aux marchés publics et à leurs lourdeurs administratives, la Cour promeut une concurrence plus équitable. Elle rappelle que les procédures de passation ne doivent pas créer d’obstacles artificiels pénalisant les candidats ayant principalement une clientèle privée. La solution assure que l’évaluation des capacités techniques se concentre sur la substance des prestations antérieures plutôt que sur le respect de rituels administratifs étrangers aux usages commerciaux courants. En définitive, cet arrêt clarifie la répartition des contraintes entre l’opérateur économique, qui doit fournir une preuve crédible de ses compétences, et le pouvoir adjudicateur, qui ne peut ériger des exigences formelles disproportionnées au risque de violer les principes d’égalité de traitement et de libre accès à la commande publique.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture