Par un arrêt dont la portée est significative pour l’articulation des procédures civiles européennes et nationales, la Cour de justice de l’Union européenne est venue préciser les contours des voies de recours ouvertes à un défendeur défaillant dans le cadre de la reconnaissance transfrontalière des décisions de justice. En l’espèce, à la suite d’une décision rendue par défaut dans un État membre, un défendeur, après l’expiration du délai de recours ordinaire, a tenté de se prévaloir d’une procédure nationale de relevé de forclusion devant les juridictions d’un autre État membre. Cette situation a conduit la juridiction nationale saisie à interroger la Cour, par la voie du renvoi préjudiciel, sur l’interprétation de deux règlements européens fondamentaux. Il s’agissait, d’une part, de déterminer si une demande de relevé de forclusion pouvait être qualifiée de « recours » au sens du règlement (CE) n° 44/2001, lequel organise les motifs de refus de reconnaissance d’une décision. D’autre part, la question se posait de savoir si les dispositions spécifiques du règlement (CE) n° 1393/2007, relatives à la situation du défendeur non averti à temps pour se défendre, préemptaient l’application des règles procédurales nationales en la matière. La Cour de justice devait ainsi se prononcer sur l’étendue des garanties procédurales offertes au défendeur et sur la primauté du cadre temporel fixé par le droit de l’Union. À ces interrogations, les juges européens répondent par une double clarification. Ils consacrent premièrement une acception large de la notion de recours en y incluant la demande de relevé de forclusion, affirmant que « la notion de « recours », figurant à l’article 34, point 2, du règlement (CE) n o 44/2001 […], doit être interprétée en ce sens qu’elle inclut également la demande tendant au relevé de la forclusion ». Secondement, ils confirment le caractère exclusif du mécanisme européen, jugeant que l’article 19, paragraphe 4, du règlement (CE) n° 1393/2007 « doit être interprété en ce sens qu’il exclut l’application des dispositions du droit national relatives au régime des demandes tendant au relevé de la forclusion ». La solution retenue par la Cour conduit ainsi à une interprétation extensive des garanties offertes au défendeur (I), tout en affirmant de manière stricte l’autonomie et l’exclusivité du cadre procédural européen (II).
I. L’interprétation extensive des garanties procédurales du défendeur
La Cour de justice adopte une lecture finaliste des textes européens afin de renforcer les droits de la défense, en assimilant la demande de relevé de forclusion à un recours au sens du règlement (A), ce qui consacre une conception autonome et protectrice de cette notion (B).
A. L’assimilation de la demande de relevé de forclusion à un « recours »
La première clarification apportée par la Cour consiste à intégrer une procédure spécifique de droit national dans le champ d’application d’une notion cadre du droit européen. En jugeant que « la notion de « recours » […] inclut également la demande tendant au relevé de la forclusion », la Cour opère une interprétation fonctionnelle plutôt que formelle. Elle ne s’attache pas à la dénomination de la procédure en droit interne mais à son objet, qui est de permettre au défendeur de contester une décision rendue par défaut après l’expiration des délais ordinaires. Cette démarche assure l’effectivité du droit à un recours effectif, garanti par l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Considérer autrement aurait créé une rupture d’égalité entre les justiciables européens, selon que leur droit national prévoit ou non une telle voie de droit sous la qualification formelle de « recours ». La solution garantit ainsi que le motif de non-reconnaissance d’un jugement, fondé sur la violation des droits de la défense, puisse être invoqué de manière cohérente dans tout l’espace judiciaire européen.
B. La consécration d’une notion autonome au service des droits de la défense
En définissant ainsi la notion de « recours », la Cour réaffirme sa jurisprudence constante sur le développement de concepts autonomes du droit de l’Union. Ces concepts permettent d’assurer une application uniforme des règlements et d’éviter les divergences d’interprétation liées aux spécificités des ordres juridiques nationaux. La valeur de cette approche est double. D’une part, elle offre une protection accrue au défendeur qui n’a pu se défendre en temps utile, en lui ouvrant une voie de contestation qui aurait pu lui être fermée sur la base d’une lecture restrictive des textes. D’autre part, elle renforce la confiance mutuelle entre les systèmes judiciaires des États membres, en assurant que la reconnaissance des décisions est soumise à un socle commun de garanties procédurales. La portée de cette interprétation est donc considérable, car elle impose aux juridictions nationales d’examiner au fond toute demande visant à remettre en cause une décision par défaut, dès lors que cette demande poursuit la finalité d’un recours, et ce, indépendamment de sa qualification en droit interne.
II. L’affirmation stricte de l’exclusivité du cadre procédural européen
Après avoir élargi la porte d’entrée des recours, la Cour en encadre rigoureusement l’exercice en affirmant la primauté du régime harmonisé par le règlement sur la signification et la notification (A), consacrant par là même un système européen autosuffisant et dérogatoire au droit commun national (B).
A. L’effet exclusif du mécanisme de relevé de forclusion du règlement
Le second apport de la décision est de confirmer le caractère impératif et exclusif du cadre procédural institué par le règlement n° 1393/2007. La Cour juge que ce texte « exclut l’application des dispositions du droit national relatives au régime des demandes tendant au relevé de la forclusion ». Cette exclusion est radicale : dès lors que le règlement européen prévoit une procédure spécifique de relevé de forclusion à son article 19, paragraphe 4, avec ses propres conditions de recevabilité et ses propres délais, les justiciables ne peuvent plus se prévaloir des dispositions nationales, potentiellement plus favorables ou soumises à des conditions différentes. Le règlement crée ainsi un régime complet et harmonisé qui se substitue aux législations des États membres dans son champ d’application. Cette solution répond à un objectif de sécurité juridique et de prévisibilité. Les parties à un litige transfrontalier doivent pouvoir connaître avec certitude les règles de procédure applicables, sans avoir à naviguer entre les dispositions européennes et un ensemble disparate de règles nationales.
B. La portée d’un système harmonisé et autosuffisant
En affirmant la préemption du droit national, la Cour confère sa pleine portée au principe de primauté du droit de l’Union dans le domaine de la coopération judiciaire civile. La valeur de cette position est de garantir l’intégrité de l’espace judiciaire européen en le dotant de règles de procédure unifiées et cohérentes. L’harmonisation n’est pas seulement matérielle, elle est aussi temporelle et procédurale. La portée de cette jurisprudence est claire : les États membres sont privés de leur compétence pour régir les demandes de relevé de forclusion dans les situations couvertes par le règlement n° 1393/2007. Si un défendeur laisse expirer le délai prévu par la communication de l’État membre concerné en application de l’article 19, il ne pourra être relevé de sa forclusion sur aucun autre fondement juridique national. La Cour établit ainsi un équilibre entre la protection des droits du défendeur, assurée par une interprétation large de la notion de recours, et l’exigence de célérité et d’efficacité de la justice, garantie par un cadre procédural strict, unique et prévisible.