Cour de justice de l’Union européenne, le 7 juin 2007, n°C-254/05

Par un arrêt rendu en manquement, la Cour de justice des Communautés européennes a sanctionné un État membre pour avoir imposé des conditions restrictives à la commercialisation de systèmes de détection d’incendie sur son territoire. En l’espèce, la réglementation nationale exigeait que des détecteurs d’incendie, pourtant légalement fabriqués ou commercialisés dans un autre État de l’Union, soient conformes à une norme technique belge spécifique. De surcroît, ces produits devaient obtenir un agrément délivré par un organisme de certification national, impliquant des tests et des vérifications faisant double emploi avec des contrôles déjà effectués dans l’État membre d’origine. La Commission européenne, gardienne des traités, a introduit un recours en manquement contre cet État, considérant que ces exigences constituaient une violation de ses obligations. Le problème de droit soulevé portait sur le point de savoir si des mesures nationales imposant une certification, une conformité à des normes techniques propres et des contrôles redondants à des produits légalement commercialisés dans un autre État membre constituaient une entrave à la libre circulation des marchandises prohibée par l’article 28 du traité instituant la Communauté européenne. La Cour de justice répond par l’affirmative, jugeant que de telles exigences nationales constituent bien une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative à l’importation, injustifiée au regard du droit communautaire. La solution met en lumière la tension classique entre l’achèvement du marché intérieur et les prérogatives réglementaires des États membres. Il convient ainsi d’analyser la caractérisation d’une entrave injustifiée à la libre circulation des marchandises (I), avant d’examiner la portée du contrôle exercé par la Cour sur les réglementations techniques nationales (II).

I. La caractérisation d’une entrave injustifiée à la libre circulation des marchandises

La Cour de justice fonde sa décision sur une conception extensive de la notion d’entrave, conformément à sa jurisprudence constante (A), tout en appliquant de manière implicite mais rigoureuse le principe de proportionnalité pour écarter toute justification potentielle de la mesure litigieuse (B).

A. L’identification d’une mesure d’effet équivalent

La Cour constate que la réglementation nationale constitue une entrave aux échanges intracommunautaires. En effet, le dispositif critiqué subordonne l’accès au marché national à des conditions techniques et administratives spécifiques. La décision relève que l’État membre a manqué à ses obligations « en exigeant que les systèmes de détection automatique d’incendie […] légalement fabriqués ou commercialisés dans un autre État membre » respectent trois conditions cumulatives. Ces exigences comprennent la conformité à une norme nationale, l’obtention d’un agrément par un organisme national spécifique et la réalisation de tests faisant « double emploi avec des contrôles déjà effectués ». Une telle réglementation entre dans la catégorie des mesures d’effet équivalent à des restrictions quantitatives, définies comme toute réglementation commerciale des États membres susceptible d’entraver, directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire. En obligeant les opérateurs économiques à adapter leurs produits et à supporter des frais supplémentaires, qualifiés de « disproportionnés », pour accéder à un seul marché national, la réglementation restreint l’accès des produits provenant d’autres États membres et fausse la concurrence.

B. Le rejet d’une justification par la protection de la sécurité publique

Bien que la protection de la sécurité publique, notamment contre les risques d’incendie, constitue une exigence impérative pouvant justifier une entrave à la libre circulation, la Cour écarte implicitement cette justification. La décision ne conteste pas la légitimité de l’objectif poursuivi par l’État membre, mais elle sanctionne le caractère disproportionné des moyens employés. Le principe de reconnaissance mutuelle, exige qu’un produit légalement fabriqué et commercialisé dans un État membre, et offrant un niveau de protection équivalent, soit admis sur le marché de tout autre État membre. Or, en l’espèce, l’État mis en cause n’a pas démontré que les exigences de sa propre norme technique et les tests supplémentaires étaient indispensables pour garantir la sécurité des personnes. Le fait que les contrôles fassent « double emploi » avec ceux déjà réalisés dans l’État d’origine démontre que la mesure n’est pas nécessaire. L’État membre aurait dû se contenter des garanties offertes par les procédures de l’État d’origine, sauf à prouver leur insuffisance manifeste, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

II. La portée du contrôle sur les réglementations techniques nationales

Cet arrêt réaffirme avec fermeté le rôle de la Cour en tant que gardienne du marché intérieur, en exerçant un contrôle strict sur les marges de manœuvre nationales (A). Par conséquent, il renforce la sécurité juridique pour les opérateurs économiques et l’effectivité du principe de libre circulation (B).

A. L’exercice d’un contrôle de proportionnalité rigoureux

La décision illustre la méthode de contrôle appliquée par la Cour en matière d’entraves techniques au commerce. Elle ne se limite pas à constater l’existence d’une restriction, mais examine si cette dernière est objectivement nécessaire et proportionnée à l’objectif recherché. En qualifiant les frais d’agrément de « disproportionnés » et les tests de « double emploi », la Cour procède à une analyse concrète des effets de la législation nationale. Elle rappelle ainsi aux États membres que l’invocation d’une exigence impérative, telle que la sécurité publique, ne leur confère pas un pouvoir discrétionnaire absolu. Il leur incombe de prouver que leur réglementation est la moins restrictive possible pour le commerce intracommunautaire et que des alternatives moins contraignantes, comme la reconnaissance des contrôles effectués dans d’autres États, n’existent pas. Cette jurisprudence limite ainsi les tendances protectionnistes qui peuvent se dissimuler derrière des justifications techniques.

B. Le renforcement de l’effectivité de la libre circulation

Au-delà de la sanction d’un État membre spécifique, la portée de cet arrêt réside dans le rappel de l’effet direct de l’article 28 du traité. Il confirme que les opérateurs économiques sont en droit de commercialiser leurs produits dans toute l’Union, pourvu qu’ils respectent la réglementation d’un État membre, sans se voir imposer des barrières techniques injustifiées par les autres. En condamnant une pratique qui fragmente le marché intérieur, la Cour assure la réalisation de l’un des objectifs fondamentaux de la construction européenne. Cette solution, bien que classique, constitue une décision d’espèce qui s’inscrit dans un courant jurisprudentiel bien établi visant à démanteler les obstacles non tarifaires. Elle offre une prévisibilité et une sécurité juridique essentielles aux entreprises, qui peuvent s’appuyer sur le principe de reconnaissance mutuelle pour déployer leurs activités à l’échelle du continent, favorisant ainsi une concurrence saine et une plus grande offre pour les consommateurs.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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