En l’espèce, un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne a été rendu, portant sur l’interprétation de la directive 2000/78/CE relative à l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail. Cette décision examine la compatibilité d’une clause de convention collective avec le principe de non-discrimination en fonction de l’âge. Les faits à l’origine du litige concernent la situation du personnel navigant d’une compagnie aérienne. Une convention collective applicable au sein de cette entreprise prévoyait que le passage à une catégorie d’emploi supérieure, et donc à une meilleure rémunération, était conditionné par l’accomplissement de trois années d’ancienneté exclusivement au sein de ladite compagnie. Cette disposition excluait la prise en compte de l’expérience professionnelle matériellement identique acquise par les salariés auprès d’autres compagnies aériennes appartenant pourtant au même groupe.
Le comité d’entreprise a engagé une action devant les juridictions autrichiennes afin de contester cette clause. En première instance, la juridiction a jugé que l’ancienneté devait s’entendre comme celle acquise au sein du groupe. La compagnie aérienne a interjeté appel de cette décision. La juridiction d’appel, estimant que la clause pouvait constituer une discrimination indirecte fondée sur l’âge, a décidé de surseoir à statuer et de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne. Il s’agissait de déterminer si le droit de l’Union, et plus particulièrement la directive 2000/78, s’oppose à une disposition de convention collective qui, pour le classement des salariés et la détermination de leur rémunération, ne prend en compte que l’expérience acquise au sein de l’entreprise qui les emploie, à l’exclusion de l’expérience identique acquise dans une autre entité du même groupe.
La Cour de justice a répondu que la directive 2000/78 ne s’oppose pas à une telle disposition. Elle a estimé qu’une telle clause, bien qu’instaurant une différence de traitement, ne se fonde pas sur un critère lié, directement ou indirectement, à l’âge des salariés. Par conséquent, elle n’entre pas dans le champ d’application de l’interdiction de la discrimination fondée sur l’âge.
Il convient donc d’analyser la portée de cette interprétation restrictive du critère de discrimination (I), avant d’en examiner les conséquences sur la reconnaissance de l’expérience professionnelle au sein d’un groupe de sociétés (II).
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**I. Une interprétation restrictive du critère de discrimination fondée sur l’âge**
La Cour de justice adopte une approche formaliste pour déterminer si la clause litigieuse instaure une discrimination fondée sur l’âge, en se concentrant sur la nature du critère utilisé (A) et en écartant ses effets potentiels sur les travailleurs plus âgés (B).
**A. L’appréciation du critère objectif de différenciation**
La Cour examine la clause de la convention collective au regard de l’article 2, paragraphe 2, sous b), de la directive 2000/78, qui définit la discrimination indirecte. Cette disposition vise une pratique « apparemment neutre » susceptible d’entraîner un désavantage particulier pour des personnes d’un âge donné. L’analyse de la Cour se concentre sur la nature même du critère de différenciation retenu par la convention collective, à savoir l’identité de l’employeur auprès duquel l’expérience professionnelle a été acquise.
Dans son raisonnement, la Cour juge que ce critère n’est pas fondé sur l’âge. Elle énonce que « la clause litigieuse de la convention collective de Tyrolean Airways instaure une différence de traitement fondée sur l’âge, au sens des dispositions combinées des articles 1er et 2, paragraphe 2, sous b), de la directive 2000/78 ». En effet, la distinction opérée par la clause ne concerne pas l’âge du salarié au moment de son recrutement, mais uniquement le fait que son expérience antérieure ait été acquise au sein de la compagnie elle-même ou d’une autre entité, fût-elle membre du même groupe. Le critère est donc l’origine de l’expérience et non l’âge de celui qui la détient.
**B. Le rejet du lien indirect avec l’âge des salariés**
La juridiction de renvoi autrichienne avait soulevé la possibilité que la clause entraîne un désavantage particulier pour les travailleurs plus âgés, qui sont statistiquement plus susceptibles d’avoir eu une carrière au sein de plusieurs entreprises, y compris au sein du même groupe. La Cour de justice écarte cette approche en refusant de considérer le lien entre le critère de la clause et l’âge comme étant suffisamment pertinent pour constituer une discrimination indirecte.
La Cour précise que le critère retenu n’est « ni indissociablement […] ni indirectement lié à l’âge des salariés ». Elle admet que son application puisse, dans certains cas, avoir pour conséquence un avancement de carrière plus tardif pour les salariés concernés, mais elle juge cet effet insuffisant pour qualifier la mesure de discriminatoire. La décision repose sur l’idée que tout salarié, quel que soit son âge, qui serait recruté après avoir travaillé pour une autre compagnie du groupe subirait le même traitement. La Cour refuse ainsi de prendre en considération les conséquences concrètes et statistiquement probables de la mesure pour une catégorie de la population active, privilégiant une analyse abstraite du critère lui-même.
Cette approche formaliste a pour conséquence de valider une distinction fondée sur le parcours professionnel du salarié, ce qui interroge sur la notion de groupe de sociétés en droit du travail.
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**II. La validation d’une distinction fondée sur l’identité de l’employeur au sein d’un groupe**
En jugeant la clause conforme au droit de l’Union, la Cour de justice confère une primauté à l’autonomie juridique de chaque employeur (A), tout en limitant la portée du principe d’égalité de traitement à l’échelle d’un groupe d’entreprises (B).
**A. La primauté de la personnalité juridique de l’employeur**
La décision réaffirme implicitement un principe fondamental du droit des sociétés, selon lequel chaque société membre d’un groupe conserve sa personnalité juridique distincte. Par conséquent, chaque entreprise est libre, dans le cadre de la négociation collective, de définir ses propres règles en matière de conditions de travail et de rémunération, y compris en ce qui concerne la valorisation de l’ancienneté. La Cour considère que le fait que des compagnies appartiennent à un même groupe et que les compétences y soient « matériellement identiques » ne suffit pas à créer une obligation de traitement uniforme pour les salariés.
Cette solution consacre la liberté contractuelle des partenaires sociaux au niveau de chaque entreprise. Elle implique qu’en l’absence de dispositions conventionnelles contraires (par exemple, un accord de groupe), l’expérience acquise auprès d’une autre société du groupe est assimilable à une expérience acquise auprès d’un employeur tiers. La réalité économique du groupe, au sein duquel les salariés peuvent être amenés à se mouvoir, s’efface ainsi derrière la fiction juridique de l’autonomie de chaque entité.
**B. Une portée limitée du principe d’égalité de traitement à l’échelle du groupe**
En validant la clause, la Cour de justice limite considérablement la portée du principe d’égalité de traitement entre des salariés exerçant des fonctions identiques et possédant une expérience équivalente, mais ayant des parcours différents au sein d’un même groupe. La solution aboutit à une situation où deux salariés, disposant de la même expérience globale, peuvent percevoir des rémunérations différentes uniquement en raison de la chronologie de leur carrière respective au sein des filiales du groupe.
Si cette décision se justifie par une application stricte du texte de la directive, qui ne vise que les discriminations fondées sur des motifs limitativement énumérés, elle peut paraître insatisfaisante au regard de l’objectif général d’égalité de traitement en matière d’emploi. Elle met en lumière une potentielle lacune dans la protection des salariés au sein des groupes d’entreprises, où la mobilité interne peut se voir freinée ou pénalisée par des dispositions de ce type. La décision invite ainsi à une réflexion sur l’opportunité d’une reconnaissance plus étendue de l’expérience professionnelle acquise à l’échelle d’un groupe, soit par la négociation collective, soit par une éventuelle évolution législative.