Cour de justice de l’Union européenne, le 7 juin 2018, n°C-83/17

La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt rendu le vingt septembre deux mille dix-huit, précise l’interprétation du Protocole de la Haye relatif aux obligations alimentaires. Cette décision traite du conflit entre la loi de la résidence habituelle du créancier et la loi du for saisie par ce dernier. Un enfant de nationalité allemande a résidé avec ses deux parents en Allemagne avant de s’installer sur le territoire autrichien avec sa mère. Une action en justice fut intentée en Autriche afin d’obtenir le versement d’une pension alimentaire incluant une période rétroactive correspondant au séjour en Allemagne. Le Bezirksgericht Fünfhaus a rejeté la demande concernant les arriérés au motif que les conditions posées par le droit allemand n’étaient pas remplies. Le Landesgericht für Zivilrechtssachen Wien a confirmé cette solution en refusant d’appliquer la loi autrichienne à titre subsidiaire pour cette période passée. L’Oberster Gerichtshof, saisi du litige en dernier ressort, s’interroge sur la possibilité de mobiliser la loi du for quand le créancier réside dans l’État de saisine. La question posée à la juridiction européenne est de savoir si l’impossibilité d’obtenir des aliments inclut le non-respect de conditions légales spécifiques du droit normalement applicable. La Cour de justice répond par l’affirmative tout en subordonnant l’application de la loi du for à l’existence d’un lien de compétence juridictionnelle suffisant.

**I. L’admission de la loi du for comme rattachement subsidiaire**

*A. La dissociation temporelle entre résidence habituelle et loi du for*

La règle générale de l’article 3 du Protocole désigne la loi de l’État de la résidence habituelle du créancier pour régir l’obligation alimentaire. En cas de changement de résidence, la loi de la nouvelle résidence s’applique uniquement à compter du changement, laissant la période antérieure soumise à la loi précédente. L’article 4, paragraphe 2, prévoit toutefois que la loi du for s’applique si le créancier ne peut obtenir d’aliments selon la loi de sa résidence. La juridiction précise que « la circonstance que l’État du for correspond à l’État de la résidence habituelle ne fait pas obstacle à l’application de cette disposition ». Cette solution garantit l’effet utile de la règle subsidiaire lorsque les deux lois applicables ne coïncident pas pour la période litigieuse considérée. Le juge européen valide ainsi la substitution de la loi autrichienne à la loi allemande pour des faits s’étant déroulés avant l’installation du créancier.

*B. La condition impérative d’un lien de compétence juridictionnelle*

L’application de la loi du for ne doit pas conduire à une imprévisibilité totale pour le débiteur qui subirait un changement de loi arbitraire. La Cour exige l’existence d’un lien suffisant entre la loi désignée et la situation familiale concernée par la demande de versement des subsides. Ce lien nécessaire « existe lorsque la loi du for correspond à la loi de l’État membre dont les juridictions étaient compétentes pour connaître des litiges ». Le Règlement numéro quatre de deux mille neuf sert de référence pour déterminer si la juridiction saisie pouvait légitimement statuer sur la période passée. Cette exigence préserve l’équilibre entre la protection du créancier vulnérable et la sécurité juridique du débiteur face à une loi qu’il ne pouvait anticiper. L’interprétation stricte du rattachement assure que la loi choisie présente une proximité réelle avec le contexte du litige soumis aux magistrats nationaux.

**II. La conception large de la carence du droit désigné à titre principal**

*A. L’assimilation des obstacles procéduraux à l’absence de droit au fond*

La seconde question porte sur la portée des termes désignant le cas où le créancier « ne peut pas obtenir d’aliments » en vertu de la loi principale. Le droit allemand subordonne le paiement d’arriérés à une mise en demeure préalable que l’enfant n’avait pas effectuée avant son départ pour l’Autriche. La Cour juge que cette expression vise aussi la situation où le créancier échoue « au motif qu’il ne remplit pas certaines conditions imposées par cette loi ». L’impossibilité n’est donc pas limitée à l’absence totale de créance alimentaire prévue par la législation nationale de l’État de la résidence habituelle. Elle s’étend aux défaillances résultant du non-respect de formalités techniques ou de délais spécifiques prévus par les textes pour la mise en œuvre du droit. Cette position écarte une lecture restrictive qui aurait privé le créancier de tout recours dès lors qu’une négligence procédurale est constatée.

*B. La consécration de la faveur au créancier d’aliments vulnérable*

L’objectif du Protocole de la Haye est de pallier le risque qu’une personne dans le besoin demeure sans assistance financière en raison de conflits législatifs. La Cour de justice rappelle que ce système de rattachement en cascade est conçu pour favoriser systématiquement l’obtention d’une pension alimentaire effective. En permettant l’application de la loi du for plus clémente, le juge européen renforce la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant mineur demandeur. Cette interprétation large correspond à la volonté de garantir la prévisibilité de la loi applicable en assurant que la loi désignée possède une pertinence concrète. La solution finale permet ainsi de compenser les rigueurs d’un droit national par l’application d’une loi plus protectrice liée à la résidence actuelle. L’arrêt confirme que la finalité sociale du droit des aliments prime sur la simple application mécanique des règles de conflit de lois traditionnelles.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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