Par un arrêt en date du 7 mai 1998, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé l’interprétation de la notion d’établissement stable en matière de taxe sur la valeur ajoutée et a statué sur la compatibilité avec le droit communautaire de modalités discriminatoires de remboursement de cette taxe.
En l’espèce, une société de leasing établie au Luxembourg avait donné en location des véhicules à des clients luxembourgeois et, pour une faible part, à des clients belges. Certains véhicules, bien que loués à des sociétés luxembourgeoises, étaient utilisés en Belgique par les salariés de ces dernières. La société de leasing s’acquittait de la TVA belge sur l’achat de certains véhicules en Belgique et sur les frais d’entretien et de réparation effectués dans ce même État. Saisie d’une demande de remboursement de cette taxe, l’administration fiscale belge a opposé un refus. Elle soutenait que la société disposait d’un établissement stable en Belgique en raison de la présence d’un parc de véhicules sur son territoire, ce qui l’obligeait à s’immatriculer à la TVA en Belgique et à demander la déduction par les voies déclaratives ordinaires. L’administration a également fait valoir que certaines prestations de réparation constituaient des services distincts imposables en Belgique.
Le litige a été porté devant le Rechtbank van eerste aanleg te Brussel, qui a décidé de surseoir à statuer pour poser à la Cour de justice plusieurs questions préjudicielles. Il s’agissait de déterminer, d’une part, si une entreprise qui loue des véhicules à des clients établis dans un autre État membre dispose, de ce seul fait, d’un établissement stable dans cet autre État au sens de l’article 9 de la sixième directive TVA. D’autre part, il était demandé si les articles 6 et 59 du traité CEE s’opposaient à ce qu’une législation nationale prévoie des conditions de remboursement de la TVA moins favorables pour les assujettis non-résidents que pour les résidents, notamment en ce qui concerne le taux des intérêts de retard et leur mode de calcul.
La Cour répond par la négative à la première question, considérant que la simple présence d’un parc de véhicules loués ne suffit pas à constituer un établissement stable. Concernant la seconde question, elle juge qu’une telle réglementation nationale est contraire au principe de libre prestation de services. La décision clarifie ainsi la notion d’établissement stable en la distinguant de la simple localisation des biens (I), avant de sanctionner une discrimination procédurale affectant les opérateurs transfrontaliers (II).
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I. La clarification de la notion d’établissement stable en matière de leasing de véhicules
La Cour, en s’appuyant sur une jurisprudence antérieure, propose une définition stricte de l’établissement stable qui exclut la simple présence matérielle de biens sur un territoire (A), une approche qui renforce la sécurité juridique pour les prestataires de services transfrontaliers (B).
A. Le rejet d’une conception extensive de l’établissement stable
La Cour rappelle que, selon l’article 9, paragraphe 1, de la sixième directive, le lieu d’une prestation de services est prioritairement celui où le prestataire a établi le siège de son activité économique. Le recours à un autre établissement n’est qu’une exception. Pour qu’un tel établissement soit reconnu, il doit présenter « un degré suffisant de permanence et une structure apte, du point de vue de l’équipement humain et technique, à rendre possibles, de manière autonome, les prestations de services considérées ».
En l’espèce, la société de leasing ne disposait en Belgique ni de personnel propre ni d’une structure permanente lui permettant de négocier des contrats ou de prendre des décisions de gestion. Les prestations de services, consistant en la négociation, la conclusion et la gestion des contrats, étaient entièrement réalisées depuis le siège luxembourgeois. La Cour juge que la seule présence physique des véhicules sur le territoire belge ne saurait satisfaire aux exigences de permanence et de structure autonome. Elle confirme ainsi que l’existence d’un établissement stable ne peut se déduire de la simple localisation des moyens matériels utilisés pour la prestation.
B. La consécration d’une solution garantissant la sécurité juridique
En retenant une interprétation stricte de l’établissement stable, la Cour de justice offre une solution prévisible et cohérente avec les objectifs de la sixième directive. Elle avait déjà souligné, notamment dans son arrêt *Hamann* du 15 mars 1989, que pour la location de moyens de transport, biens mobiles par nature, il est nécessaire de privilégier un critère de rattachement simple et praticable pour éviter les difficultés de contrôle et les conflits de compétence fiscale. Le siège de l’activité du prestataire constitue ce critère prioritaire.
La présente décision s’inscrit dans la continuité de l’arrêt *Aro Lease* du 17 juillet 1997, en affirmant que « la mise à la disposition matérielle des clients de véhicules dans le cadre de contrats de leasing, pas plus que le lieu d’utilisation de ceux-ci, ne saurait être considérée comme un critère sûr, simple et praticable […] qui puisse fonder l’existence d’un établissement stable ». Cette solution empêche les États membres d’imposer des obligations déclaratives et fiscales à des entreprises étrangères sur la seule base de la présence de leurs biens sur leur sol, favorisant ainsi la libre circulation des services au sein du marché intérieur.
Après avoir précisé le critère de localisation de la prestation de service, la Cour s’est attachée à examiner les modalités de restitution de la taxe qui en découlaient.
II. La sanction d’une différence de traitement discriminatoire dans les modalités de remboursement
La Cour de justice constate que la législation belge instaure une discrimination contraire à l’article 59 du traité CEE (A), réaffirmant ainsi l’exigence de non-discrimination dans la mise en œuvre des procédures fiscales communautaires (B).
A. L’identification d’une discrimination fondée sur le lieu d’établissement
La juridiction de renvoi interrogeait la Cour sur une réglementation nationale qui, en cas de remboursement tardif de la TVA, accordait aux assujettis non-résidents des intérêts moratoires à un taux inférieur et seulement après une mise en demeure formelle, tandis que les assujettis résidents bénéficiaient de plein droit d’un taux d’intérêt supérieur. Pour apprécier l’existence d’une discrimination, la Cour rappelle qu’il faut comparer des situations similaires.
Le gouvernement belge soutenait que les situations n’étaient pas comparables. Cependant, la Cour rejette cette argumentation en précisant que la comparaison pertinente doit être effectuée entre l’assujetti non-résident exerçant une activité économique régulière et un assujetti résident se trouvant dans une situation analogue, c’est-à-dire qui exerce également une activité régulière et demande le remboursement d’un excédent de TVA. Or, dans ce cas de figure, l’assujetti résident bénéficiait de conditions plus favorables. La Cour conclut donc qu’une telle différence de traitement, qui désavantage l’opérateur établi dans un autre État membre, constitue une discrimination prohibée par l’article 59 du traité.
B. Le rappel de l’exigence de non-discrimination dans la mise en œuvre du droit à restitution
En jugeant la réglementation belge contraire au traité, la Cour rappelle que si les États membres conservent une compétence pour définir les modalités procédurales de remboursement de la TVA, cette compétence doit s’exercer dans le respect des principes fondamentaux du droit communautaire, au premier rang desquels figure le principe de non-discrimination. La huitième directive, qui harmonise les modalités de remboursement pour les assujettis non-résidents, vise précisément à garantir l’application effective du droit à déduction, lequel est un élément essentiel de la neutralité du système commun de TVA.
La décision souligne qu’une différence de traitement dans les conditions financières du remboursement, telle qu’un taux d’intérêt inférieur ou l’exigence d’une formalité supplémentaire comme la mise en demeure, crée une charge financière et administrative qui pénalise les prestataires de services transfrontaliers. Une telle réglementation est de nature à les dissuader d’exercer leurs activités dans d’autres États membres et constitue donc une restriction à la libre prestation de services. Cette solution garantit que les droits que les assujettis tirent du droit communautaire ne soient pas vidés de leur substance par des règles de procédure nationales discriminatoires.