Par la décision commentée, la Cour de justice de l’Union européenne interprète les dispositions du règlement (CEE) n° 1191/69 encadrant l’intervention des États membres dans le domaine des transports publics. En l’espèce, une autorité publique avait octroyé une compensation financière à une entreprise de transport pour l’exécution d’obligations de service public. Cette compensation a été contestée par un concurrent, qui y voyait une aide d’État illégale faussant la concurrence sur le marché des transports. Saisie d’un renvoi préjudiciel par une juridiction nationale, la Cour était appelée à clarifier les conditions dans lesquelles de telles compensations peuvent être jugées conformes au droit de l’Union. La question posée aux juges portait essentiellement sur la faculté pour les États d’imposer des sujétions de service public et, corrélativement, sur les modalités de calcul des compensations financières destinées à en couvrir les charges. La Cour de justice juge que le règlement autorise l’imposition de telles obligations ainsi que leur compensation, mais à la condition expresse que les coûts qui en découlent puissent être clairement déterminés. Dans le cas contraire, les aides sont incompatibles, et il revient au juge national d’en tirer toutes les conséquences. Ainsi, la Cour encadre l’autonomie des États membres en matière de service public (I), tout en renforçant le contrôle juridictionnel sur les aides d’État (II).
I. L’encadrement de l’autonomie des États membres en matière de service public
La décision de la Cour de justice reconnaît la faculté pour les États d’intervenir dans l’organisation des transports publics tout en soumettant cette prérogative à des conditions strictes. Elle légitime ainsi le principe de la compensation des obligations de service public (A) avant d’en préciser la conditionnalité rigoureuse (B).
A. La légitimation des obligations de service public et de leur compensation
La Cour confirme tout d’abord que le droit de l’Union ne fait pas obstacle à l’interventionnisme étatique dans le secteur des transports. Elle énonce clairement que le règlement « autorise les États membres à imposer des obligations de service public à une entreprise publique chargée d’assurer le transport public de passagers ». Ce faisant, elle reconnaît la légitimité pour une puissance publique de définir des missions d’intérêt général, telles que le maintien de lignes non rentables ou l’application de tarifs sociaux, qui ne seraient pas assurées par les seules forces du marché.
Cette faculté d’imposer des contraintes serait toutefois illusoire si elle n’était pas assortie d’une contrepartie financière. La Cour admet donc logiquement que le règlement « prévoit, pour les charges qui découlent de telles obligations, l’octroi d’une compensation ». La compensation n’est pas une simple subvention ; elle constitue le corollaire nécessaire de la sujétion imposée à l’entreprise. Sans elle, l’obligation de service public s’analyserait en une charge anormale et spéciale pesant sur l’opérateur, susceptible de porter atteinte à sa viabilité économique.
B. La conditionnalité stricte de la compensation financière
Si le principe de la compensation est admis, ses modalités sont en revanche strictement encadrées afin d’éviter toute surcompensation constitutive d’une aide d’État déguisée. La Cour pose une limite claire en affirmant que le règlement « s’oppose à l’octroi d’indemnités compensatrices […] lorsqu’il n’est pas possible de déterminer le montant des coûts imputables à l’activité » de service public. La solution est sans équivoque : l’aide devient incompatible dès lors que son calcul repose sur des bases opaques ou forfaitaires.
Cette exigence impose aux entreprises bénéficiaires et aux autorités publiques une rigueur comptable particulière. Elle suppose la tenue de comptes séparés permettant d’isoler avec précision les coûts et les recettes liés à l’exécution des missions de service public. Toute compensation excédant le déficit net généré par ces obligations est présumée fausser la concurrence en dotant l’entreprise d’un avantage économique indu. La Cour lie donc la validité de l’aide à la transparence de sa méthode de calcul. Cette exigence de rigueur comptable trouve son prolongement dans le rôle dévolu au juge national.
II. Le renforcement du contrôle juridictionnel sur les aides d’État
Au-delà de l’interprétation du règlement, la décision a pour effet de consolider les mécanismes de contrôle des aides publiques. Elle valorise une exigence de transparence comptable qui facilite le contrôle (A) et réaffirme la responsabilité du juge national dans la sanction des incompatibilités (B).
A. La promotion d’une exigence de transparence comptable
En conditionnant la légalité de la compensation à la possibilité d’identifier précisément les coûts qu’elle couvre, la Cour fait de la transparence une condition substantielle de la compatibilité des aides. Le critère retenu n’est pas seulement formel ; il a une portée pratique considérable. Il vise à garantir une saine concurrence entre les opérateurs, qu’ils soient publics ou privés, en s’assurant que les fonds publics ne servent qu’à compenser des contraintes réelles et non à subventionner l’activité concurrentielle de l’entreprise.
Cette approche pragmatique fournit aux concurrents et aux juridictions un outil d’analyse efficace. L’impossibilité pour une entreprise de présenter une comptabilité analytique claire et détaillée devient un indice majeur de l’existence d’une aide illégale. La charge de la preuve est ainsi implicitement orientée : il appartient à l’entreprise bénéficiaire de démontrer que la compensation reçue ne dépasse pas ce qui est strictement nécessaire. La solution promeut une gestion saine et transparente des deniers publics.
B. La responsabilité du juge national dans la sanction de l’incompatibilité
Enfin, la Cour rappelle le rôle central du juge national dans l’application du droit de l’Union. Après avoir constaté l’incompatibilité de certaines mesures, « il appartient à celle-ci d’en tirer toutes les conséquences, conformément au droit national ». La Cour de justice donne l’interprétation authentique du droit de l’Union, mais elle laisse aux juridictions nationales le soin d’en assurer l’effet utile dans l’ordre juridique interne. Ce renvoi au droit national n’est pas un blanc-seing.
Conformément au principe de l’autonomie procédurale, le juge national doit utiliser les voies de droit existantes pour sanctionner l’illégalité. Ces conséquences peuvent être multiples et significatives, allant de l’annulation des actes administratifs octroyant l’aide à l’obligation pour l’entreprise de rembourser les sommes indûment perçues. La décision souligne ainsi que le contrôle des aides d’État n’est pas le seul monopole de la Commission européenne, mais qu’il s’exerce aussi de manière décentralisée par les juges des États membres.