Cour de justice de l’Union européenne, le 7 mai 2015, n°C-445/13

Un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, rendu en grande chambre le 6 octobre 2021, apporte des précisions sur l’appréciation de l’usage sérieux d’une marque. En l’espèce, une société a sollicité l’enregistrement du signe verbal « VOSS » en tant que marque de l’Union européenne pour des boissons. Une autre entreprise a formé opposition à cette demande, en se fondant sur une marque verbale antérieure de l’Union, « VOSS », enregistrée pour des produits similaires. Le déposant a alors exigé la preuve d’un usage sérieux de cette marque antérieure par son titulaire.

La procédure a débuté devant l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle, dont la division d’opposition a partiellement accueilli l’opposition. Saisie d’un recours, la chambre de recours de ce même office a ensuite annulé cette décision, estimant que l’usage sérieux n’était pas prouvé. Elle a jugé que la forme sous laquelle la marque était utilisée, notamment avec l’adjonction du terme « WATER » et une présentation spécifique, en altérait le caractère distinctif. Le Tribunal de l’Union européenne, saisi à son tour, a annulé la décision de la chambre de recours. Il a considéré que l’usage de la marque sous cette forme modifiée ne portait pas atteinte à son caractère distinctif. Un pourvoi a donc été formé devant la Cour de justice contre l’arrêt du Tribunal.

L’appelant soutenait que le Tribunal avait commis une erreur de droit en jugeant que l’usage d’un signe composite valait usage sérieux de la marque verbale enregistrée. Il affirmait que les modifications apportées altéraient le caractère distinctif de la marque, la rendant méconnaissable aux yeux du consommateur. Le titulaire de la marque antérieure prétendait au contraire que la marque demeurait l’élément dominant du signe utilisé et que son usage était donc tout à fait sérieux.

La question de droit posée à la Cour était donc de déterminer dans quelles conditions l’usage d’une marque sous une forme qui diffère de celle enregistrée peut être qualifié de sérieux. Plus précisément, il s’agissait de savoir si l’adjonction d’un élément descriptif à une marque verbale altère nécessairement le caractère distinctif de cette dernière.

La Cour de justice rejette le pourvoi et valide le raisonnement tenu par le Tribunal. Elle juge que l’usage d’une marque sous une forme qui diffère de son enregistrement est possible, à la condition que ces différences n’altèrent pas son caractère distinctif. La Cour estime en l’occurrence que l’adjonction d’un terme descriptif comme « WATER » à la marque verbale ne modifie pas la perception du signe par le consommateur, lequel continue d’identifier l’origine commerciale du produit grâce à l’élément verbal principal.

Cet arrêt confirme une conception souple de la notion d’usage sérieux, fondée sur une appréciation pragmatique de la perception du consommateur (I), tout en s’inscrivant dans une continuité jurisprudentielle qui en délimite la portée (II).

I. La consolidation d’une approche souple de l’usage sérieux

La décision de la Cour de justice réaffirme la possibilité pour le titulaire d’une marque de la faire évoluer, à condition de ne pas en altérer la substance distinctive. Elle conforte ainsi le principe d’un usage valable malgré certaines variations du signe (A) et précise la méthode d’appréciation de l’absence d’altération de son caractère distinctif (B).

A. Le principe d’un usage valable malgré les variations du signe

Le droit des marques de l’Union impose au titulaire d’une marque d’en faire un usage sérieux dans la vie des affaires pour les produits ou services pour lesquels elle est enregistrée. Cette exigence vise à éviter que des monopoles ne soient maintenus sur des signes qui ne sont plus exploités, encombrant ainsi inutilement le registre. Toutefois, le législateur a prévu que l’usage de la marque « sous une forme qui diffère de celle sous laquelle elle a été enregistrée par des éléments n’altérant pas le caractère distinctif » vaut usage sérieux.

La Cour de justice interprète cette disposition de manière pragmatique, reconnaissant les nécessités de la vie commerciale. Les entreprises adaptent constamment la présentation de leurs marques pour des raisons de marketing ou pour se conformer aux caractéristiques de différents supports. Une vision trop rigide de l’usage paralyserait cette adaptation et irait à l’encontre des réalités économiques. L’arrêt commenté s’inscrit dans cette logique en validant une exploitation commerciale qui, bien que n’étant pas strictement identique à la forme enregistrée, en conserve l’essence.

B. L’appréciation de l’absence d’altération du caractère distinctif

Pour déterminer si le caractère distinctif est altéré, la Cour se livre à une analyse concrète de la perception du signe par le public pertinent. Elle rappelle que le point central est de savoir si le consommateur d’attention moyenne perçoit toujours la marque enregistrée comme l’indicateur de l’origine du produit. Dans la présente affaire, la Cour approuve le Tribunal d’avoir jugé que l’ajout du mot « WATER » à la marque verbale antérieure ne modifiait pas le caractère distinctif de cette dernière.

La juridiction estime que cet ajout sera perçu par le public comme une simple information sur la nature du produit, à savoir de l’eau. Le terme « VOSS » demeure ainsi l’élément qui attire l’attention et remplit la fonction de marque. La Cour énonce à ce sujet que « l’adjonction d’un élément dépourvu de caractère distinctif, tel qu’un terme descriptif, à une marque verbale enregistrée ne saurait, en principe, suffire à altérer le caractère distinctif de cette dernière ». Cette approche confirme que l’analyse doit être globale et non purement formelle, en se concentrant sur le maintien de la fonction essentielle de la marque.

II. La portée mesurée d’une solution pragmatique

Si la solution retenue par la Cour de justice est favorable à la vie des affaires (A), elle ne constitue pas un revirement mais s’inscrit plutôt dans le cadre d’une jurisprudence bien établie, ce qui en précise la portée (B).

A. Une solution favorable à la vie des affaires

La décision commentée offre une sécurité juridique appréciable aux titulaires de marques. Elle leur garantit une certaine flexibilité dans l’exploitation de leurs signes, sans craindre de perdre leurs droits pour des modifications mineures. En validant l’usage d’une marque verbale accompagnée d’un qualificatif descriptif, la Cour prend acte d’une pratique commerciale courante. Cette approche permet aux entreprises de faire évoluer leur communication tout en capitalisant sur la renommée de leurs marques enregistrées.

La valeur de cet arrêt réside ainsi dans son réalisme économique. Une solution contraire aurait contraint les titulaires à multiplier les dépôts pour chaque variation de leur marque, ce qui aurait engendré des coûts importants et une complexité administrative superflue. La souplesse consacrée par la Cour favorise donc une gestion plus rationnelle des portefeuilles de marques. Elle incite à protéger le cœur du signe distinctif, tout en autorisant des adaptations périphériques dictées par le marché.

B. La confirmation d’une jurisprudence bien établie

L’arrêt du 6 octobre 2021 ne constitue pas une innovation majeure, mais plutôt une décision de confirmation. Il applique à un cas d’espèce des principes déjà solidement ancrés dans la jurisprudence de la Cour. Depuis plusieurs années, celle-ci juge de manière constante que l’important est la perception du signe par le consommateur et le maintien de sa fonction d’identification d’origine. La Cour réitère en effet que « la condition de l’usage sérieux vise à garantir que la marque remplit effectivement sa fonction essentielle qui est de garantir l’identité d’origine du produit ou du service ».

La portée de cet arrêt est donc avant tout pédagogique. Il illustre clairement la méthode d’analyse que doivent suivre les offices de propriété intellectuelle et les juridictions nationales. En rejetant le pourvoi, la Cour envoie un signal clair : l’appréciation de l’usage sérieux ne doit pas céder à un formalisme excessif. Il s’agit d’un arrêt d’espèce, dont la solution est étroitement liée aux faits, notamment au caractère purement descriptif de l’élément ajouté. Il ne saurait être interprété comme autorisant toute modification, mais il consolide une ligne jurisprudentielle pragmatique et équilibrée.

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Hassan KOHEN
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