Par un arrêt du 7 mars 2013, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé la portée de l’exonération de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à la gestion des fonds communs de placement. En l’espèce, une société spécialisée dans le conseil boursier avait conclu un contrat avec une société de placement de capitaux, aux termes duquel elle s’engageait à lui fournir des recommandations pour l’achat et la vente d’actifs détenus par un fonds d’investissement. La société de conseil considérait que ses prestations devaient bénéficier de l’exonération de taxe, ce que l’administration fiscale contestait au motif qu’il ne s’agissait pas d’une activité de gestion. Saisie d’un pourvoi, la juridiction de renvoi, le Bundesfinanzhof, a interrogé la Cour sur le point de savoir si de telles prestations de conseil pouvaient relever de la notion de « gestion de fonds communs de placement » au sens de l’article 13, B, sous d), point 6, de la sixième directive. La Cour répond que les prestations de conseil en placement de valeurs mobilières fournies par un tiers à une société de placement de capitaux relèvent bien de cette notion, dès lors qu’elles présentent un caractère spécifique et essentiel à l’activité de gestion, et ce même en l’absence d’un mandat de délégation formel.
L’analyse de la Cour consacre ainsi une conception fonctionnelle de la gestion de fonds, dépassant une approche purement formelle (I), pour faire du principe de neutralité fiscale la véritable clef d’interprétation de l’exonération (II).
I. L’extension de la notion de « gestion » aux prestations de conseil externalisées
La Cour de justice étend le bénéfice de l’exonération de TVA aux services de conseil en s’appuyant sur une approche fonctionnelle de la notion de gestion (A), tout en jugeant indifférent le cadre réglementaire dans lequel cette prestation est fournie (B).
A. La consécration d’une approche fonctionnelle
Pour déterminer si un service externalisé peut être qualifié de « gestion », la Cour rappelle sa jurisprudence antérieure selon laquelle il convient d’examiner la nature des prestations fournies. Celles-ci doivent, « pour être qualifiés d’‘opérations exonérées’ […] former un ensemble distinct, apprécié de façon globale et constituer des éléments spécifiques et essentiels pour la gestion de fonds communs de placement ». En l’espèce, les recommandations d’achat et de vente d’actifs, même si elles ne sont pas directement exécutées par le prestataire tiers, présentent un lien intrinsèque avec l’activité d’une société de placement. Ce service de conseil est en effet au cœur de l’activité de placement collectif des capitaux recueillis auprès du public, qui constitue la raison d’être de ces organismes.
Le fait que la société de placement conserve le pouvoir de décision final en validant les recommandations ne suffit pas à disqualifier la prestation de conseil. La Cour estime que la gestion peut se décomposer en divers services distincts, qui restent éligibles à l’exonération s’ils sont indispensables à l’activité globale. Par conséquent, la Cour juge que le conseil en investissement constitue une fonction spécifique et essentielle, peu important qu’il ne modifie pas par lui-même la situation juridique ou financière du fonds. Cette interprétation large dépasse la simple lettre de l’annexe II de la directive 85/611, laquelle n’est de toute façon pas exhaustive.
B. L’indifférence du cadre réglementaire de la délégation
La juridiction de renvoi s’interrogeait sur l’importance du cadre juridique dans lequel la prestation est fournie, notamment au regard de l’article 5 octies de la directive 85/611 qui encadre la délégation par les sociétés de gestion. La Cour écarte cet argument en dissociant entièrement le régime fiscal de la régularité de l’opération au regard d’autres branches du droit de l’Union. Elle réaffirme avec force que « le principe de neutralité fiscale s’oppose, en matière de perception de TVA, à une différenciation entre opérations licites et opérations illicites ».
L’éligibilité à l’exonération ne dépend donc pas du respect des règles prudentielles ou d’agrément relatives aux activités de gestion de portefeuille. Que la prestation de conseil ait été fournie en exécution d’un mandat de délégation formel ou en dehors d’un tel cadre est sans incidence sur sa nature fiscale. Cette solution assure une application uniforme de la taxe et empêche que des distinctions fondées sur des réglementations sectorielles ne viennent perturber la logique du système commun de TVA. Cette approche se justifie par la finalité même du principe de neutralité fiscale, qui guide l’ensemble du raisonnement de la Cour.
II. L’affirmation du principe de neutralité fiscale comme clef de voûte de l’exonération
Le principe de neutralité fiscale est mobilisé à double titre par la Cour pour justifier sa solution : il doit garantir une concurrence non faussée entre les différents modes d’organisation des sociétés de gestion (A) et préserver l’égalité de traitement entre l’investissement direct et l’investissement collectif (B).
A. La garantie de la neutralité concurrentielle entre modes d’organisation
Soumettre les services de conseil externalisés à la TVA aurait pour conséquence de créer une distorsion de concurrence. Les sociétés de placement qui disposent de ressources internes pour l’analyse et la recommandation d’investissements ne supporteraient pas de coût de TVA, tandis que celles qui, pour des raisons d’efficacité ou d’expertise, choisissent de recourir à des prestataires tiers verraient leurs coûts augmenter. Une telle différence de traitement fiscal irait à l’encontre de la neutralité du système.
La Cour rappelle ainsi que « les opérateurs doivent pouvoir choisir le modèle d’organisation qui, du point de vue strictement économique, leur convient le mieux, sans courir le risque de voir leurs opérations exclues de l’exonération ». L’interprétation de l’article 13, B, sous d), point 6, de la sixième directive doit donc permettre aux sociétés de gestion d’externaliser certaines fonctions essentielles, comme le conseil, sans être pénalisées fiscalement. La solution retenue assure ainsi que la TVA ne vient pas influencer les choix économiques et structurels des entreprises concernées.
B. La préservation de la neutralité à l’égard du choix de l’investisseur
Au-delà de la seule organisation des sociétés de gestion, la Cour replace l’exonération dans son contexte plus large, qui est de favoriser l’investissement par l’intermédiaire d’organismes de placement collectif. Elle souligne que « l’objectif de l’exonération […] est de faciliter aux petits investisseurs le placement dans des titres au moyen d’organismes de placement collectif en excluant les coûts de la TVA ». Le but est d’assurer la neutralité du système commun de taxe quant au choix entre le placement direct en titres, non soumis à la TVA pour l’investisseur final, et celui réalisé par le biais d’un fonds.
Assujettir à la TVA une prestation aussi essentielle que le conseil en investissement reviendrait à augmenter le coût global de la gestion du fonds, coût qui serait in fine répercuté sur les porteurs de parts. Cela créerait une charge fiscale indirecte sur l’épargne collective, en contradiction avec l’objectif poursuivi par le législateur de l’Union. La portée de l’arrêt est donc de consolider cet objectif, en veillant à ce que l’externalisation de fonctions clés ne vienne pas rompre la neutralité fiscale voulue entre les différentes formes de placement en valeurs mobilières.