Cour de justice de l’Union européenne, le 7 mars 2018, n°C-651/16

Par un arrêt du 7 mars 2018, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé la portée du principe de libre circulation des travailleurs. La décision a été rendue sur une question préjudicielle posée par la Cour suprême de Lettonie. En l’espèce, une ressortissante lettonne avait sollicité l’octroi d’une allocation de maternité. Pour le calcul de cette prestation, la législation nationale prévoyait une période de référence de douze mois. Or, durant cette période, l’intéressée avait travaillé pendant onze mois au service d’une institution de l’Union européenne, n’étant affiliée au régime letton de sécurité sociale que pour un seul mois. L’agence nationale de sécurité sociale a calculé le montant de son allocation en assimilant les onze mois d’activité au sein de l’institution européenne à une période d’inactivité, leur appliquant une base de cotisation forfaitaire et substantiellement inférieure à son revenu réel. La requérante a contesté ce calcul, qui réduisait considérablement le montant de sa prestation. Saisie en première instance, la juridiction administrative de district lui a donné raison. Cependant, la cour administrative régionale, en appel, a infirmé cette décision, estimant que la réglementation européenne sur la coordination des systèmes de sécurité sociale n’était pas applicable. La Cour suprême de Lettonie a alors interrogé la Cour de justice sur la compatibilité d’une telle réglementation nationale avec l’article 45 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne relatif à la libre circulation des travailleurs. La Cour de justice a jugé que le droit de l’Union s’opposait à une législation nationale qui, pour le calcul d’une allocation de maternité, pénalise une personne ayant exercé son droit à la libre circulation pour travailler au sein d’une institution de l’Union.

L’arrêt affirme que le traitement défavorable d’une période d’activité exercée pour une institution de l’Union constitue une restriction à la libre circulation des travailleurs (I), une restriction que des considérations d’ordre économique ne sauraient justifier (II).

I. La caractérisation d’une restriction à la libre circulation des travailleurs

La Cour établit d’abord que la situation de la requérante relève bien du champ d’application de la libre circulation des travailleurs, dont elle étend la protection (A). Elle démontre ensuite que le mode de calcul de la prestation, en assimilant une période d’emploi à une période d’inactivité, constitue une mesure dissuasive prohibée (B).

A. L’application étendue de la libre circulation aux anciens agents des institutions de l’Union

La Cour de justice rappelle avec clarté que la qualité de travailleur au sens du droit de l’Union ne se perd pas du seul fait d’occuper un emploi au sein d’une organisation internationale. Elle confirme qu’un « ressortissant de l’Union travaillant dans un État membre autre que son État d’origine et qui a accepté un emploi dans une organisation internationale relève également du champ d’application de cette disposition ». Cette solution, déjà établie, est ici appliquée à un travailleur ayant été au service d’une institution de l’Union elle-même. En quittant son État membre d’origine pour exercer une activité professionnelle, même au profit de l’Union, le citoyen exerce une liberté fondamentale garantie par le Traité. La Cour s’assure ainsi que le régime de protection attaché à l’article 45 TFUE bénéficie à ceux qui participent à la vie institutionnelle de l’Union, évitant un paradoxe où servir l’Union serait moins protecteur que de travailler pour une entreprise privée dans un autre État membre.

Cette approche extensive du champ d’application de la libre circulation permet ensuite à la Cour d’examiner si la mesure nationale porte atteinte à cette liberté.

B. L’assimilation de la période d’activité européenne à une période d’inactivité constitutive d’une mesure dissuasive

La Cour constate que la réglementation nationale, bien que neutre en apparence, crée un désavantage direct pour les travailleurs ayant exercé leur mobilité. Elle rappelle que « des dispositions qui empêchent ou dissuadent un ressortissant d’un État membre de quitter son État d’origine pour exercer son droit à la libre circulation constituent des entraves à cette liberté ». En l’espèce, le mécanisme de calcul de l’allocation de maternité aboutit précisément à un tel effet dissuasif. En traitant les onze mois de travail pour une institution de l’Union comme une période de non-emploi et en leur appliquant une base de calcul forfaitaire très faible, la législation lettone pénalise financièrement la travailleuse. Le montant de sa prestation est substantiellement inférieur à celui qu’elle aurait perçu si elle avait accompli toute sa carrière en Lettonie. La Cour en déduit que cette conséquence négative est susceptible de décourager un travailleur d’accepter un emploi en dehors de son État d’origine, y compris au sein d’une institution de l’Union. Cette entrave étant caractérisée, elle ne peut être admise que si elle est objectivement justifiée.

II. Le rejet des justifications fondées sur l’autonomie des systèmes nationaux de sécurité sociale

La Cour examine les arguments présentés pour justifier cette entrave et les écarte. Elle rejette la justification fondée sur la nécessité de préserver l’équilibre financier du système de sécurité sociale (A), réaffirmant ainsi la primauté de la libre circulation sur la simple autonomie des États membres dans l’organisation de leur protection sociale (B).

A. L’insuffisance de la justification tirée de l’équilibre financier du système

Le gouvernement letton soutenait que sa réglementation visait à garantir la stabilité de son système de sécurité sociale, financé par les cotisations nationales. La Cour de justice rappelle que si la nécessité de préserver l’équilibre financier d’un système de sécurité sociale peut, en principe, constituer une raison impérieuse d’intérêt général, les autorités nationales doivent en apporter la preuve concrète. Elle exige que la mesure soit non seulement propre à garantir la réalisation de l’objectif, mais aussi proportionnée. À ce titre, la Cour souligne qu’il incombe à l’État membre de fournir « des preuves appropriées ou une analyse de l’aptitude et de la proportionnalité de la mesure restrictive ». Une telle démonstration doit reposer sur des « données sérieuses, convergentes et de nature probante ». Or, en l’espèce, la Cour constate que le gouvernement letton s’est contenté « d’affirmations tout à fait générales », sans étayer son argumentation. En l’absence de toute preuve démontrant un risque réel pour l’équilibre financier de son système, la justification est jugée insuffisante et ne peut donc être retenue.

Le rejet de cet argument économique permet à la Cour de rappeler un principe fondamental de l’articulation entre droit de l’Union et compétences nationales.

B. La primauté du respect de la libre circulation sur la compétence nationale en matière sociale

La Cour rappelle en préambule que les États membres conservent leur compétence pour aménager leurs systèmes de sécurité sociale. Toutefois, elle réaffirme aussitôt que « dans l’exercice de cette compétence, ils doivent respecter le droit de l’Union, et notamment les dispositions du traité relatives à la libre circulation des travailleurs ». La décision illustre parfaitement cette hiérarchie des normes. L’autonomie des États membres dans le domaine social ne peut servir de prétexte pour introduire des discriminations indirectes à l’encontre des travailleurs mobiles. En censurant la réglementation lettone, la Cour assure la pleine effectivité de l’article 45 TFUE. Elle garantit qu’un travailleur ne soit pas, « sans justification objective, traité de façon plus défavorable que celui qui a effectué toute sa carrière dans un seul État membre ». Cette solution assure la cohérence du projet européen en empêchant qu’un citoyen qui choisit de mettre ses compétences au service des institutions de l’Union soit pénalisé à son retour dans le système de protection sociale de son État d’origine.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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