Par un arrêt en date du 7 mars 2019, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur l’interprétation des dispositions relatives au statut douanier des marchandises. En l’espèce, une société établie au Portugal avait fait l’objet d’une inspection par les autorités douanières. Celles-ci ont constaté que l’entreprise détenait dans ses locaux des marchandises livrées et facturées par des fournisseurs situés dans des pays tiers, sans que les documents attestant de leur mise en libre pratique sur le territoire douanier de l’Union ne puissent être présentés pour une partie de ces biens. Les autorités douanières ont alors procédé à la liquidation des droits de douane, considérant que ces marchandises avaient été introduites irrégulièrement. L’entreprise a acquitté les sommes réclamées avant de contester la décision de l’administration. Le litige fut porté devant le Supremo Tribunal Administrativo, lequel a décidé de surseoir à statuer et de poser une question préjudicielle à la Cour de justice. Il s’agissait de savoir si des marchandises se trouvant sur le territoire de l’Union, mais dont l’origine tierce est établie par des factures, doivent être présumées communautaires en l’absence de preuve contraire apportée par l’administration, ou si cette situation renverse la charge de la preuve au détriment de l’opérateur économique. La Cour juge que de telles marchandises relèvent de l’exception à la présomption de statut communautaire, imposant à l’opérateur de prouver leur mise en libre pratique. La solution de la Cour clarifie ainsi le champ d’application de la présomption du statut communautaire des marchandises, tout en confirmant les strictes obligations de traçabilité qui pèsent sur les opérateurs économiques.
Il convient donc d’analyser la portée de la présomption du statut communautaire telle qu’interprétée par la Cour (I), avant d’examiner la confirmation des obligations incombant à l’opérateur économique qui en découle (II).
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I. La portée limitée de la présomption du statut communautaire
La Cour de justice, par cet arrêt, précise l’articulation entre le principe général de présomption du statut communautaire et ses exceptions. Elle rappelle que la simple introduction physique des marchandises sur le territoire douanier constitue un fait déclenchant un régime de surveillance spécifique qui écarte la présomption (A), ce qui fait de la mise en libre pratique le seul mode d’acquisition du statut communautaire pour de tels biens (B).
A. Le renversement de la présomption pour les marchandises introduites sur le territoire douanier
L’article 313, paragraphe 1, du règlement d’application du code des douanes pose un principe de commodité probatoire : « toutes les marchandises qui se trouvent sur le territoire douanier de la Communauté sont réputées marchandises communautaires, sauf s’il est établi qu’elles ne possèdent pas le statut communautaire ». Cependant, cette présomption est assortie d’exceptions, notamment celle de son paragraphe 2, point a), qui vise « les marchandises introduites sur le territoire douanier de la Communauté conformément à l’article 37 du code ». Or, cet article 37 soumet toute marchandise introduite à une surveillance douanière dès son entrée et ce, jusqu’à la détermination de son statut. La Cour établit un lien direct entre l’origine tierce des marchandises, prouvée par les factures, et la qualification d’« introduction sur le territoire ».
Elle considère ainsi que des marchandises, « qui ont été livrées et facturées par des sociétés établies dans des pays tiers à une société établie sur le territoire douanier de l’Union afin d’y être utilisées, doivent être considérées comme ayant été introduites sur ce territoire, au sens de l’article 37 du code des douanes ». En conséquence, elles tombent sous le coup de l’exception. La présomption de statut communautaire est donc renversée. Il ne revient plus aux autorités douanières de prouver le caractère non communautaire, mais à l’opérateur détenant les marchandises de démontrer qu’elles ont acquis ce statut. La facturation depuis un pays tiers devient un indice suffisant pour enclencher cette inversion de la charge de la preuve, plaçant les biens sous un régime de suspicion légitime jusqu’à preuve du contraire.
B. La centralité de la mise en libre pratique comme fait générateur du statut communautaire
Dès lors que la présomption de statut communautaire est écartée, la seule voie pour qu’une marchandise originaire d’un pays tiers acquière ce statut est la mise en libre pratique, conformément à l’article 79 du code des douanes. Cette procédure implique l’accomplissement des formalités d’importation et le paiement des droits de douane et taxes exigibles. La Cour est particulièrement claire sur ce point en concluant que « le statut de marchandises communautaires n’étant reconnu qu’aux marchandises pour lesquelles est produite la preuve qu’elles ont été soumises aux procédures de mise en libre pratique sur le territoire douanier de l’Union ».
Cette affirmation ancre la preuve du statut communautaire dans une démarche active de l’importateur. Le statut n’est pas un état de fait découlant de la simple présence sur le territoire, mais le résultat d’une procédure juridique formalisée. L’absence de documents probants, tels qu’une déclaration d’importation en bonne et due forme, équivaut à une absence de mise en libre pratique. La Cour refuse ainsi de considérer que la procédure aurait pu être accomplie par un autre opérateur en amont de la chaîne logistique sans que l’entreprise contrôlée n’en détienne la preuve. La responsabilité de la preuve pèse sur celui qui détient les marchandises au moment du contrôle.
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II. La confirmation des obligations de l’opérateur économique
La décision renforce la responsabilité des opérateurs économiques dans la chaîne d’approvisionnement internationale. Elle met en lumière l’importance de l’obligation de documentation et de traçabilité (A) comme corollaire de la liberté de circulation, et consolide par là-même un mécanisme essentiel à la protection de l’intégrité du marché intérieur (B).
A. La portée de l’obligation de documentation et de traçabilité
En faisant peser la charge de la preuve sur l’opérateur, la Cour réaffirme implicitement la portée des articles 14 et 16 du code des douanes. Ces dispositions imposent à toute personne intéressée aux opérations de fournir aux autorités tous les documents et informations nécessaires aux contrôles, et de les conserver pour une durée minimale. L’arrêt illustre que cette obligation n’est pas théorique : elle est le fondement sur lequel repose la capacité d’un opérateur à justifier la situation régulière de ses marchandises.
La possession d’une facture émanant d’un fournisseur établi dans un pays tiers agit comme un signal d’alerte. Elle doit systématiquement être accompagnée des documents douaniers afférents. L’opérateur ne peut se contenter de l’acquisition physique et comptable des biens ; il doit s’assurer de leur conformité douanière. Cette exigence de diligence s’applique non seulement à l’importateur initial mais également à tous les acquéreurs successifs sur le territoire de l’Union, qui doivent être en mesure de prouver le statut communautaire des marchandises qu’ils détiennent. La décision rappelle ainsi que la fluidité des échanges intracommunautaires repose sur une traçabilité documentaire rigoureuse en amont.
B. La consolidation d’une solution protectrice de l’intégrité du marché intérieur
Sur le fond, la solution retenue par la Cour est une mesure de sauvegarde pour l’union douanière. Admettre la thèse inverse aurait créé une faille majeure dans le système de contrôle. Il aurait suffi d’introduire des marchandises en fraude, puis de les acheminer vers un opérateur économique pour que celles-ci bénéficient d’une présomption de régularité, rendant la détection de la fraude extrêmement difficile pour les autorités. Une telle approche aurait encouragé les introductions irrégulières et fragilisé la perception des ressources propres de l’Union.
L’arrêt s’inscrit dans la logique de l’article 202 du code des douanes, qui lie la naissance de la dette douanière à l’introduction irrégulière d’une marchandise. L’incapacité à prouver une introduction régulière et une mise en libre pratique laisse présumer une introduction irrégulière. La décision de la Cour n’est donc pas novatrice en soi, mais elle constitue une clarification pédagogique et ferme. Elle rappelle aux acteurs économiques que la participation au marché intérieur implique des responsabilités précises et que la charge de la preuve de la conformité douanière leur incombe dès lors que l’origine tierce d’un produit est avérée.