Cour de justice de l’Union européenne, le 7 mars 2024, n°C-558/22

Par une décision préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur la compatibilité d’un régime national de soutien à la production d’électricité à partir de sources renouvelables avec plusieurs dispositions fondamentales du droit de l’Union.

En l’espèce, une législation nationale mettait en place un mécanisme contraignant pour les importateurs d’électricité. Si ces derniers ne pouvaient attester de l’origine renouvelable de l’électricité importée au moyen de garanties d’origine, ils étaient tenus d’acquérir, auprès de producteurs nationaux, soit des certificats verts, soit une quantité équivalente d’électricité renouvelable. Cette obligation, assortie de sanctions en cas de manquement, ne pesait pas sur les producteurs nationaux d’énergie verte.

Saisie d’un litige portant sur la légalité de ce dispositif, une juridiction nationale a sursis à statuer afin de poser plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice. Il s’agissait de déterminer si un tel mécanisme constituait une mesure d’effet équivalant à une restriction quantitative à l’importation ou à l’exportation, prohibée par les articles 34 et 35 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, ou une imposition intérieure discriminatoire au sens de l’article 110 du même traité. La compatibilité du dispositif avec les directives relatives à la promotion de l’énergie renouvelable et les règles en matière d’aides d’État était également interrogée.

À ces questions, la Cour répond que les articles 28, 30 et 110 TFUE n’interdisent pas une telle mesure. De même, elle estime que l’article 34 TFUE et les directives sectorielles ne s’y opposent pas, à condition que le dispositif national n’excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre son objectif. Enfin, la Cour juge que les articles 107 et 108 TFUE ne font pas obstacle à la mesure, pour autant que la différence de traitement qu’elle instaure se justifie par la logique interne du système de soutien mis en place.

La Cour examine ainsi la compatibilité du dispositif au regard du principe de libre circulation des marchandises (I), avant de se prononcer sur sa conformité aux règles spécifiques en matière d’énergie et d’aides d’État (II).

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I. La validation du mécanisme de soutien au nom de la libre circulation des marchandises

La Cour de justice estime que le mécanisme national, bien que susceptible d’affecter les échanges, n’est pas constitutif d’une restriction prohibée par les traités (A) car il peut se justifier par un objectif légitime de protection environnementale (B).

A. L’absence d’une restriction prohibée par les traités

La Cour considère que les articles 28, 30 et 110 TFUE « ne s’opposent pas à une mesure nationale qui, d’une part, oblige les importateurs d’électricité provenant d’un autre État membre, qui ne démontrent pas que cette électricité est produite à partir de sources renouvelables en soumettant des garanties d’origine, d’acheter auprès des producteurs nationaux soit des certificats d’attestation de l’origine renouvelable soit de l’électricité produite à partir de sources renouvelables ». L’analyse de la Cour repose sur la distinction subtile entre une mesure directement discriminatoire et une mesure indistinctement applicable qui soumet les produits nationaux et importés aux mêmes exigences de fond.

En l’occurrence, l’obligation d’achat de certificats verts ne frappe pas l’électricité importée en tant que telle, mais uniquement la part d’électricité dont le caractère renouvelable n’est pas certifié. Le système des garanties d’origine, reconnu au niveau de l’Union, offre aux importateurs un moyen de prouver la qualité écologique de leur produit et d’échapper ainsi à l’obligation. Le dispositif ne crée donc pas une discrimination directe fondée sur l’origine du produit, mais plutôt une différenciation basée sur une caractéristique objective, à savoir la source de production de l’électricité. Par conséquent, il ne saurait être qualifié d’imposition intérieure discriminatoire au sens de l’article 110 TFUE, ni de mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative prohibée par principe.

B. La justification par un objectif de protection environnementale

En validant le principe du mécanisme, la Cour admet implicitement que la promotion de l’électricité produite à partir de sources renouvelables constitue une exigence impérative d’intérêt général capable de justifier une entrave à la libre circulation des marchandises. Cette approche s’inscrit dans une jurisprudence constante qui cherche à concilier les impératifs du marché intérieur avec d’autres objectifs fondamentaux de l’Union, au premier rang desquels figure la protection de l’environnement. La mesure est conçue pour stimuler la production et la consommation d’énergie verte sur le territoire national, contribuant ainsi aux objectifs globaux fixés par l’Union.

La Cour considère également que le mécanisme n’entrave pas les exportations au sens de l’article 34 TFUE. Le dispositif n’a pas pour objet ni pour effet de restreindre spécifiquement les ventes d’électricité vers d’autres États membres. Le fait que les producteurs nationaux d’énergie verte bénéficient indirectement du système par la vente de leurs certificats ne constitue pas une restriction aux exportations. La cohérence du régime de soutien justifie que les charges qu’il impose pour financer la transition énergétique soient réparties entre les différents acteurs du marché national, y compris les importateurs.

Au-delà de l’analyse au regard des principes généraux de libre circulation, la Cour précise les conditions de validité du dispositif au regard des cadres plus spécifiques du droit de l’Union.

II. La conformité conditionnée aux exigences de proportionnalité et du droit des aides d’État

La Cour de justice subordonne la légalité définitive du dispositif national à une double vérification : celle de sa proportionnalité, qui est confiée au juge national (A), et celle de son exclusion de la qualification d’aide d’État en raison de sa logique interne (B).

A. Le renvoi au contrôle de proportionnalité du juge national

La Cour précise que le droit de l’Union « ne s’oppose pas à cette mesure nationale s’il est établi qu’elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif d’augmentation de la production d’électricité produite à partir de sources renouvelables ». En formulant cette réserve, la Cour rappelle le rôle central du principe de proportionnalité dans l’appréciation des mesures nationales susceptibles de restreindre une liberté fondamentale. Elle confie à la juridiction de renvoi le soin d’opérer ce contrôle concret.

Cette répartition des tâches est classique dans le cadre du renvoi préjudiciel : la Cour de justice fournit les critères d’interprétation du droit de l’Union, tandis que le juge national les applique aux faits de l’espèce. Le juge national devra donc vérifier si l’objectif de promotion de l’énergie verte ne pouvait être atteint par des mesures moins restrictives pour les échanges intracommunautaires. Il lui appartiendra notamment d’évaluer si la charge financière imposée aux importateurs n’est pas excessive au regard du but poursuivi, et si le système, dans son ensemble, est apte et nécessaire pour garantir la réalisation de cet objectif environnemental.

B. L’exclusion de la qualification d’aide d’État en raison de la logique du système

Enfin, la Cour examine le mécanisme au regard des articles 107 et 108 TFUE relatifs aux aides d’État. Le dispositif pourrait en effet être perçu comme octroyant un avantage sélectif aux producteurs nationaux d’électricité renouvelable, qui bénéficient d’un débouché forcé pour leurs certificats. Toutefois, la Cour écarte cette qualification, estimant que les traités « ne s’opposent pas à ladite mesure nationale pour autant que la différence de traitement […] se justifie par la nature et l’économie du système de référence dans lequel elle s’inscrit ».

Cette analyse renvoie à la jurisprudence selon laquelle une mesure qui, bien que créant un avantage, est justifiée par la logique interne du système dans lequel elle s’insère, ne constitue pas une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. La Cour reconnaît ainsi que la différence de traitement entre les producteurs d’énergie verte et les importateurs d’énergie non certifiée n’est pas un avantage arbitraire, mais un élément structurel et indispensable au fonctionnement même du régime de soutien. Le financement du système repose précisément sur cette charge imposée à l’électricité dont l’origine renouvelable n’est pas prouvée, ce qui assure la cohérence et l’efficacité du dispositif.

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Hassan KOHEN
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