Cour de justice de l’Union européenne, le 7 novembre 2013, n°C-90/12

Par un arrêt en manquement, la Cour de justice de l’Union européenne a été amenée à se prononcer sur les modalités de mise en œuvre d’un règlement communautaire en matière de services aériens. En l’espèce, la Commission européenne a initié une procédure à l’encontre de la République de Pologne au motif que cet État membre n’avait pas instauré de procédure non discriminatoire et transparente pour la répartition des droits de trafic aérien, en méconnaissance des obligations découlant du règlement (CE) n° 847/2004. Suite à une lettre de mise en demeure du 4 juin 2010 restée sans effet concret, un avis motivé a été adressé le 28 janvier 2011, invitant l’État membre à se conformer dans un délai de deux mois. La République de Pologne a reconnu ne pas avoir pris les mesures requises mais a soutenu ne pas y être tenue, arguant que l’obligation d’instaurer une telle procédure était subordonnée à la conclusion d’accords internationaux prévoyant une limitation des droits de trafic, ce qu’elle affirmait ne pas avoir fait. La Commission a alors saisi la Cour de justice, estimant pour sa part que l’obligation d’adopter ces dispositions était inconditionnelle et préventive.

Le problème de droit soumis à la Cour consistait donc à déterminer si l’obligation pour un État membre d’instaurer la procédure de répartition des droits de trafic aérien prévue par l’article 5 du règlement n° 847/2004 est conditionnée par la conclusion préalable d’un accord limitant ces droits, ou si elle revêt un caractère inconditionnel.

À cette question, la Cour de justice répond que l’adoption de la procédure prévue par le règlement constitue une obligation inconditionnelle pour les États membres. Elle juge que la procédure de répartition doit nécessairement être instaurée préalablement à toute application, indépendamment de la conclusion effective d’un accord international. La Cour constate par conséquent le manquement de la République de Pologne à ses obligations. Cette solution, qui consacre une lecture stricte de l’obligation de transposition (I), réaffirme avec force la primauté des exigences de sécurité juridique et de pleine effectivité du droit de l’Union (II).

I. La consécration du caractère inconditionnel de l’obligation de transposition

La Cour fonde sa décision sur une interprétation littérale et systémique des dispositions du règlement, rejetant l’argumentation de l’État membre qui en proposait une lecture conditionnelle (A) pour affirmer une exigence de mise en œuvre préventive et autonome (B).

A. Le rejet de l’interprétation conditionnelle de l’État membre

La République de Pologne soutenait que l’obligation d’instaurer la procédure de répartition des droits de trafic était conditionnée à une situation factuelle précise, à savoir l’existence d’un accord international limitant ces droits. Son argumentation reposait sur l’emploi de la conjonction « lorsque » à l’article 5 du règlement, qui marquerait selon elle le point de départ d’une obligation non permanente. L’État considérait ainsi qu’en l’absence de tels accords, il n’était « pas tenu d’instaurer la procédure prévue à cet article 5 ». Cette thèse visait à justifier l’inaction législative par l’absence d’objet concret, l’État s’estimant en conformité avec les objectifs du règlement en s’abstenant de conclure des accords restrictifs.

La Cour écarte cette analyse en se livrant à une exégèse rigoureuse du texte. Elle juge que la conjonction « lorsque » n’a pas pour objet de poser une condition à l’existence de l’obligation d’adopter la procédure, mais bien de définir le champ d’application de cette procédure une fois celle-ci établie. La Cour souligne qu’« il ressort du libellé de l’article 5 du règlement n° 847/2004 que la répartition des droits de trafic entre des transporteurs aériens de l’Union doit être assurée selon une procédure non discriminatoire et transparente ». En d’autres termes, le texte ne subordonne pas l’existence de la règle à son application, mais présuppose au contraire son existence pour que son application soit possible le moment venu.

B. Une lecture téléologique et systémique du règlement

Au-delà de l’analyse littérale, la Cour assoit son raisonnement sur une interprétation combinée des articles 5 et 6 du règlement. L’article 6 impose aux États membres de notifier « sans délai » à la Commission les procédures qu’« ils appliqueront ». L’emploi du futur et l’exigence d’une notification immédiate démontrent, selon la Cour, que le législateur de l’Union a entendu imposer une obligation d’action préventive. La procédure doit exister et être connue avant même que la nécessité de son application ne se matérialise. La Cour en déduit que la procédure « doit être adoptée dans les meilleurs délais et, à la suite de cette adoption, être notifiée sans délai à la Commission, indépendamment de la conclusion ultérieure effective d’un accord visé audit article 5 ».

Cette interprétation est également guidée par la finalité du règlement, qui est d’assurer un accès égalitaire et non discriminatoire des transporteurs de l’Union aux liaisons internationales. Pour que cet objectif soit atteint, les règles du jeu doivent être claires, prévisibles et transparentes pour tous les opérateurs économiques. Conditionner l’édiction de ces règles à l’issue de négociations internationales introduirait une incertitude juridique incompatible avec les buts poursuivis par le législateur européen. En affirmant le caractère inconditionnel de l’obligation, la Cour assure la pleine effectivité du cadre réglementaire.

II. La portée de l’arrêt au regard des principes du droit de l’Union

En jugeant le recours fondé, la Cour ne se contente pas de régler un différend technique sur le transport aérien. Elle rappelle des principes fondamentaux de l’ordre juridique de l’Union, en particulier l’impératif de sécurité juridique (A) et l’autonomie de l’obligation de transposition par rapport au contexte national (B).

A. La réaffirmation de l’exigence de sécurité juridique

L’arrêt met en lumière l’importance de la sécurité juridique dans l’application du droit de l’Union. La position défendue par la République de Pologne, si elle avait été acceptée, aurait créé une situation précaire pour les transporteurs aériens. Ces derniers n’auraient eu aucune visibilité sur les critères d’attribution des droits de trafic avant l’issue des négociations d’un accord international. Une telle approche aurait permis à un État membre d’adopter des règles au cas par cas, au gré des circonstances, ouvrant la voie à l’arbitraire et à la discrimination.

En exigeant que la procédure soit non seulement adoptée mais également notifiée « sans délai », la Cour garantit la prévisibilité et la transparence du cadre normatif. Les opérateurs économiques doivent pouvoir connaître à l’avance les règles qui leur seront applicables. La Cour précise ainsi que « l’instauration et la publication des procédures en cause doivent intervenir avant que ne débute la négociation d’accords ayant pour effet de limiter l’utilisation des droits de trafic ». Cette solution assure que la répartition des droits, lorsqu’elle s’avère nécessaire, s’effectuera sur la base de critères objectifs, connus de tous et contrôlables, ce qui constitue le fondement même d’un marché intérieur équitable.

B. L’indifférence du contexte factuel national dans l’obligation de transposition

Enfin, la Cour profite de ce litige pour rappeler une jurisprudence constante et essentielle relative aux obligations des États membres. Face à l’argument selon lequel l’absence d’accords restrictifs constituait la meilleure manière de se conformer au droit de l’Union, la Cour oppose un refus catégorique. Elle rappelle que « l’inexistence dans un État membre déterminé d’une certaine activité visée par une réglementation du droit de l’Union ne saurait libérer cet État de son obligation de prendre des mesures législatives ou réglementaires afin d’assurer une transposition adéquate de cette réglementation ».

Cette affirmation a une portée considérable qui dépasse le seul cas d’espèce. Elle signifie que l’obligation de transposer une norme de l’Union est une obligation de résultat, formelle et absolue, qui ne dépend pas des circonstances de fait propres à chaque État membre. Un État ne peut se prévaloir de sa situation interne, qu’elle soit juridique ou factuelle, pour se soustraire à ses devoirs de membre de l’Union. Le droit de l’Union doit être appliqué de manière uniforme sur tout le territoire de l’Union, et cette uniformité commande que le cadre juridique soit complet dans chaque État, que l’occasion de l’appliquer se soit présentée ou non. Cet arrêt constitue donc un rappel à l’ordre sévère quant à la diligence attendue des États dans l’exécution de leurs obligations européennes.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture