La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 7 novembre 2018, un arrêt relatif à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services. La décision porte sur la conformité d’une législation nationale instaurant un monopole public pour la gestion technique d’un système de paiement mobile centralisé. Un État membre a confié à une entité publique unique le droit exclusif de conclure des contrats pour le stationnement et la vente de droits routiers. L’institution européenne a contesté cette organisation en invoquant une entrave injustifiée aux échanges au sein du marché intérieur des services. Elle soutient que cette réglementation méconnaît les exigences de la directive relative aux services ainsi que les principes fondamentaux du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. L’État défendeur invoque pour sa part la nature de service d’intérêt économique général pour justifier le retrait de cette activité au jeu de la concurrence.
Une procédure précontentieuse a été ouverte par l’envoi d’une mise en demeure suivie d’un avis motivé adressé aux autorités nationales concernées. Celles-ci ont soutenu que le système visait à pallier l’incapacité du marché à assurer une couverture uniforme et interopérable du territoire. Faute d’une réponse satisfaisante, l’institution a introduit un recours en manquement devant la Cour de justice pour violation du droit de l’Union. Le litige oppose la volonté de régulation étatique des services de paiement mobile aux impératifs de libéralisation portés par les institutions européennes.
La question posée aux juges porte sur la possibilité pour un État de soustraire une activité économique à la concurrence par l’instauration d’un monopole. Il convient de déterminer si l’exercice d’un pouvoir d’appréciation étatique peut valablement fonder une restriction disproportionnée aux libertés de circulation.
La Cour constate que l’État a manqué à ses obligations en maintenant un système excluant les autres prestataires de services de paiement. Elle retient l’existence de mesures moins contraignantes permettant d’atteindre les objectifs d’intérêt général sans pour autant instaurer un monopole exclusif.
I. La qualification de service d’intérêt économique général au soutien de l’intervention étatique
A. Le large pouvoir d’appréciation dans la définition de l’intérêt général
La Cour reconnaît aux États membres un large pouvoir discrétionnaire pour définir l’étendue et l’organisation des services d’intérêt économique général. Ce pouvoir d’appréciation « ne peut être remis en cause par la Commission qu’en cas d’erreur manifeste » selon les termes employés par les juges. En l’espèce, le système national visait à garantir l’accessibilité uniforme des services de stationnement et de transport public sur l’ensemble du territoire national. La juridiction estime que les éléments fournis par l’institution requérante ne suffisent pas à démontrer une erreur manifeste dans la qualification opérée.
Le fait qu’un service soit déjà fourni par des opérateurs privés ne prive pas l’État de sa capacité à agir. Il peut intervenir si le marché ne permet pas de répondre aux objectifs de continuité et d’accès qu’il a lui-même définis. Le service de paiement mobile tend ici à être accessible à toute la population indépendamment de la rentabilité liée à la région desservie. Cette mission particulière de service public justifie une approche spécifique de la part des autorités nationales pour structurer l’offre de paiement électronique.
B. L’inclusion des nouveaux monopoles dans le champ d’application de la directive services
L’arrêt précise que l’exclusion du champ d’application de la directive concerne uniquement les services réservés ou les monopoles déjà existants. Les dispositions de la directive s’appliquent dès lors que les activités sont ouvertes à la concurrence ou qu’un nouveau monopole est instauré. La Cour rejette l’argumentation de l’État qui prétendait échapper au contrôle de la législation européenne par la création récente de ce régime d’exclusivité. Elle souligne que l’article premier de la directive « ne vise à exclure du champ d’application que les services d’intérêt économique général ou les monopoles existants ».
Cette interprétation stricte garantit l’effet utile du droit de l’Union face aux velléités de fermeture des marchés nationaux par les autorités publiques. Une lecture extensive des exceptions permettrait aux États de contourner les règles de libéralisation en créant de nouveaux privilèges exclusifs. La Cour affirme ainsi sa compétence pour contrôler la régularité des interventions étatiques même lorsqu’elles visent des missions d’intérêt économique général. Une telle analyse conduit nécessairement à examiner la compatibilité des mesures de restriction avec les principes de nécessité et de proportionnalité.
II. L’incompatibilité de l’exclusivité monopolistique avec les libertés de circulation
A. Le constat du caractère disproportionné de l’exigence d’exclusivité
L’instauration d’un monopole public constitue une restriction majeure à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services au sein de l’Union. Pour être licite, une telle mesure doit être propre à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi sans aller au-delà du nécessaire. La Cour relève que la réglementation nationale « n’est pas de nature à satisfaire à la condition tenant à l’absence de mesures moins contraignantes ». L’existence d’un système de concessions fondé sur une procédure ouverte à la concurrence aurait permis d’atteindre les objectifs d’uniformisation recherchés.
L’État a admis lui-même la possibilité de recourir à des mécanismes moins restrictifs pour assurer la gestion technique de la plateforme mobile. Ce défaut de proportionnalité suffit à caractériser le manquement de l’État à ses obligations juridiques découlant du droit dérivé européen. La juridiction rappelle que d’autres mesures moins contraignantes auraient permis d’atteindre le même résultat sans évincer totalement les opérateurs privés. L’exigence de proportionnalité impose de préférer systématiquement la mesure la moins restrictive possible pour les libertés garanties par les traités.
B. L’insuffisance de la mission de service public pour justifier l’entrave
Les entreprises chargées de la gestion d’un service d’intérêt économique général restent soumises aux règles du traité, sauf si leur application fait échec à la mission. L’État membre doit démontrer que les conditions d’application de cette dérogation sont réunies pour justifier l’atteinte portée aux libertés de circulation. La Cour observe que le gouvernement n’a pas indiqué les raisons pour lesquelles la mission « nécessitait la création d’un monopole en conférant des droits exclusifs ». L’absence de justification précise empêche la juridiction d’exercer son contrôle sur la nécessité économique du régime d’exclusivité mis en place.
Le manquement à l’article 56 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne est donc établi parallèlement à la violation de la directive. La décision souligne ainsi la primauté des principes de libre prestation face à des régimes monopolistiques dont la nécessité n’est pas rigoureusement démontrée. La mission de service public ne saurait servir de prétexte à une exclusion injustifiée des opérateurs économiques du marché intérieur. Les juges concluent que l’État n’a pas apporté les preuves suffisantes pour valider son choix d’une organisation totalement centralisée et exclusive.