Par l’arrêt soumis à commentaire, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur l’interprétation de l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2003/86/CE relative au droit au regroupement familial.
En l’espèce, un réfugié avait déposé une demande de regroupement familial pour un membre de sa famille. Cette demande a été rejetée par les autorités nationales compétentes au motif qu’elle avait été introduite au-delà d’un délai de trois mois suivant la date d’octroi du statut de réfugié. La législation nationale prévoyait en effet que le bénéfice des dispositions plus favorables au regroupement familial, réservées aux réfugiés, était subordonné au respect de ce délai.
Saisie d’un recours contre cette décision de rejet, une juridiction nationale a décidé de surseoir à statuer et de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne. La juridiction de renvoi cherchait à savoir si la directive 2003/86/CE, et plus spécifiquement son article 12, s’opposait à une réglementation nationale qui conditionne le bénéfice du régime favorable des réfugiés à l’introduction d’une demande dans un délai de trois mois, et qui autorise le rejet de la demande pour tardiveté, tout en laissant ouverte la possibilité d’une nouvelle demande sous un autre régime.
La question de droit soumise à la Cour était donc de déterminer si l’autonomie procédurale des États membres leur permettait de sanctionner par un rejet l’introduction tardive d’une demande de regroupement familial sous le régime plus favorable des réfugiés, sans porter une atteinte disproportionnée à l’objectif de la directive.
À cette question, la Cour de justice répond qu’une telle réglementation nationale n’est pas, en principe, contraire à la directive. Elle assortit toutefois cette compatibilité de principe de trois conditions cumulatives et strictes. La réglementation doit prévoir une exception au délai en cas de circonstances particulières rendant le retard excusable, garantir que les demandeurs sont pleinement informés des conséquences d’un rejet et des démarches à suivre, et s’assurer que les réfugiés continuent de bénéficier des autres conditions favorables prévues par la directive.
La solution de la Cour de justice admet ainsi la validité d’une règle procédurale nationale fixant un délai (I), mais elle encadre cette faculté de manière rigoureuse afin de préserver l’effectivité du droit au regroupement familial pour les réfugiés (II).
I. La validation de principe d’un délai national pour l’exercice du droit au regroupement familial
La Cour reconnaît la faculté pour les États membres d’instaurer des délais procéduraux pour l’accès au régime spécifique du regroupement familial (A), y compris pour le régime plus favorable applicable aux réfugiés (B).
A. La reconnaissance d’une autonomie procédurale pour les États membres
La directive 2003/86/CE vise à établir des règles communes en matière de regroupement familial, mais elle n’harmonise pas toutes les modalités procédurales de sa mise en œuvre. En l’absence de dispositions expresses, les États membres conservent une autonomie procédurale pour organiser les démarches administratives, sous réserve de ne pas porter atteinte à l’effet utile de la directive. L’instauration d’un délai de trois mois pour déposer une demande relève de cette marge de manœuvre.
Dans son arrêt, la Cour admet qu’un État membre puisse « rejeter une demande de regroupement familial introduite pour un membre de la famille d’un réfugié […] au motif que cette demande a été introduite plus de trois mois après l’octroi du statut de réfugié ». Cette position consacre le droit pour un État d’édicter des règles de procédure destinées à assurer une bonne administration et un traitement diligent des dossiers. Un tel délai peut être justifié par des objectifs de sécurité juridique et de prévisibilité, tant pour les administrations que pour les demandeurs.
B. L’application du délai au régime dérogatoire des réfugiés
Le chapitre V de la directive 2003/86/CE prévoit des conditions plus favorables pour le regroupement familial des réfugiés, tenant compte de leur situation de vulnérabilité. La Cour estime que l’instauration d’un délai pour accéder à ce régime dérogatoire n’est pas en soi contraire à l’esprit de ces dispositions. Le délai ne remet pas en cause l’existence du droit, mais en organise l’exercice dans le temps.
La Cour opère une distinction entre le respect d’une condition procédurale et la négation du droit lui-même. Le fait de manquer une échéance administrative n’équivaut pas à une suppression pure et simple du droit au regroupement familial, dès lors que la réglementation nationale, comme en l’espèce, « offr[e] la possibilité d’introduire une nouvelle demande dans le cadre d’un autre régime ». Le délai agit comme un aiguillage procédural, orientant les demandes tardives vers le régime de droit commun, sans fermer définitivement la porte au regroupement.
Toutefois, cette validation de principe du délai procédural n’est pas inconditionnelle. La Cour prend soin de la subordonner au respect de plusieurs exigences cumulatives qui garantissent que l’autonomie procédurale de l’État ne vide pas de sa substance le droit au regroupement familial.
II. L’encadrement strict du délai par la préservation de l’effet utile du droit
La Cour subordonne la validité du délai national à des garanties tenant à la situation individuelle du demandeur (A) ainsi qu’à la préservation des avantages matériels liés au statut de réfugié (B).
A. Les garanties tenant à la situation individuelle du demandeur
La Cour impose tout d’abord que le délai ne soit pas appliqué de manière aveugle et automatique. Elle exige que la réglementation nationale « prévoit qu’un tel motif de refus ne peut pas être retenu dans des situations dans lesquelles des circonstances particulières rendent objectivement excusable l’introduction tardive de la première demande ». Cette condition introduit une soupape de sécurité indispensable, imposant à l’autorité nationale un examen au cas par cas. Des difficultés liées à l’obtention de documents, à la situation dans le pays d’origine de la famille ou à des problèmes de santé pourraient constituer de telles circonstances.
Ensuite, la Cour met l’accent sur le droit à l’information. La réglementation doit s’assurer « que les personnes concernées sont pleinement informées des conséquences de la décision de rejet de leur première demande et des mesures qu’il leur appartient de prendre pour faire valoir efficacement leur droit au regroupement familial ». Cette exigence de transparence est fondamentale. Elle vise à garantir que le réfugié comprend la portée de la décision de rejet et connaît précisément les autres voies qui lui sont ouvertes, afin que le délai ne se transforme pas en un piège procédural.
B. La préservation des avantages matériels attachés au statut de réfugié
Enfin, et de manière cruciale, la Cour sanctuarise le cœur du régime favorable des réfugiés. Elle précise que même en cas de demande tardive et de basculement vers un autre régime, la réglementation doit garantir « que les regroupants reconnus comme réfugiés continuent de bénéficier des conditions plus favorables pour l’exercice du droit au regroupement familial applicables aux réfugiés, énoncées aux articles 10 et 11 ou à l’article 12, paragraphe 2, de ladite directive ».
Ces articles prévoient notamment que les États membres ne peuvent pas exiger du réfugié la preuve qu’il dispose d’un logement, d’une assurance maladie et de ressources stables pour subvenir aux besoins de sa famille. En imposant le maintien de ces exemptions, la Cour s’assure que la sanction de la tardiveté reste purement procédurale. Elle empêche que le non-respect du délai de trois mois ne serve de prétexte pour imposer au réfugié des conditions matérielles qu’il serait, en raison de sa situation, souvent incapable de remplir. La portée du délai est ainsi limitée, préservant l’essentiel de la protection spécifique accordée par le législateur de l’Union.