Dans une décision rendue sur questions préjudicielles, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé l’articulation entre le droit cambiaire national et les impératifs de protection des consommateurs issus du droit de l’Union. En l’espèce, un établissement financier octroyait des crédits à la consommation garantis par l’émission de billets à ordre en blanc par les emprunteurs. En cas de défaillance de ces derniers, l’établissement complétait les billets et engageait des poursuites en paiement sur le seul fondement de ces titres, sans produire les contrats de crédit sous-jacents. Confrontées à une législation nationale qui, en principe, limite l’examen du juge au rapport cambiaire en l’absence de contestation du débiteur, des juridictions polonaises ont interrogé la Cour sur la compatibilité d’une telle pratique avec le droit de l’Union. Elles cherchaient notamment à savoir si le juge national, face à un consommateur passif, se devait d’examiner d’office le contrat de crédit fondamental pour y déceler d’éventuelles clauses abusives, même lorsque l’action est fondée exclusivement sur un billet à ordre. La question posée à la Cour était donc de déterminer si les exigences de protection édictées par les directives européennes imposent au juge de dépasser le cadre formel du droit cambiaire pour contrôler la substance d’un contrat de crédit à la consommation, même en l’absence de toute initiative du débiteur. La Cour répond par l’affirmative, en jugeant que si l’usage d’un billet à ordre en blanc n’est pas proscrit, sa validité est conditionnée à la transparence de l’opération et que le juge national a l’obligation de contrôler d’office le caractère non abusif des clauses du rapport fondamental, en écartant au besoin les règles de procédure nationales qui y feraient obstacle.
La solution de la Cour clarifie ainsi les conditions d’utilisation d’une telle garantie (I), tout en consacrant le rôle primordial du juge national comme rempart contre les déséquilibres contractuels (II).
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I. La validité conditionnée de la garantie par billet à ordre en blanc
La Cour de justice admet que le recours à un billet à ordre pour garantir un crédit à la consommation n’est pas en soi contraire au droit de l’Union (A), mais elle subordonne strictement cette validité au respect des obligations d’information et d’équilibre imposées par les directives consuméristes (B).
A. L’admission de principe du billet à ordre comme sûreté consumériste
La Cour constate que les directives européennes n’harmonisent pas l’ensemble des mécanismes de sûreté et n’interdisent donc pas explicitement l’utilisation d’un billet à ordre, même en blanc, pour garantir le remboursement d’un crédit. Elle juge ainsi que les dispositions des directives « ne s’opposent pas à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui, afin de garantir le paiement de la créance issue d’un contrat de crédit à la consommation, conclu entre un professionnel et un consommateur, permet de stipuler dans ce contrat une obligation pour l’emprunteur d’émettre un billet à ordre en blanc ». Cette position reconnaît une marge d’appréciation aux États membres quant aux instruments juridiques de garantie, pourvu que le niveau de protection visé par le droit de l’Union soit atteint.
L’analyse de la Cour se fonde sur l’idée que le danger pour le consommateur ne réside pas dans l’instrument cambiaire lui-même, mais dans les conditions de son émission et de son utilisation par le professionnel. La simple existence de cet outil juridique n’est pas jugée attentatoire aux droits du consommateur. En revanche, l’attention est portée sur l’accord contractuel qui impose cette garantie, lequel relève pleinement du champ d’application de la directive sur les clauses abusives.
B. La subordination de la validité au respect des exigences de transparence et d’équilibre
L’admission de principe est immédiatement tempérée par une condition essentielle : la stipulation contractuelle imposant la signature du billet à ordre, ainsi que l’accord cambiaire définissant les modalités pour le compléter, doivent être conformes aux exigences de bonne foi, d’équilibre et de transparence. La Cour insiste sur l’importance cruciale de l’information précontractuelle. Elle souligne qu’il incombe au juge national de vérifier si « le consommateur a reçu toutes les informations susceptibles d’avoir une incidence sur la portée de ses obligations et lui permettant d’évaluer, notamment, les conséquences procédurales de la garantie des créances ».
Cette exigence de transparence est fondamentale. Le consommateur doit comprendre qu’en signant un tel titre, il s’expose à une procédure de recouvrement simplifiée et potentiellement plus rigoureuse, où la discussion sur le contrat de base est rendue plus difficile. Une clause qui ne présenterait pas clairement cette conséquence pourrait créer un déséquilibre significatif au détriment du consommateur et être ainsi qualifiée d’abusive. La validité de la garantie cambiaire est donc fonctionnelle, dépendante d’un contrôle de fond sur la loyauté de sa mise en place.
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II. L’office renforcé du juge national comme garant de la protection du consommateur
Pour assurer l’effectivité de ce contrôle, la Cour réaffirme avec force l’obligation pour le juge national de procéder à un examen d’office étendu au rapport de droit fondamental (A), consacrant la primauté de cette obligation sur les règles de procédure nationales qui pourraient y faire obstacle (B).
A. L’obligation d’un contrôle d’office étendu au rapport fondamental
Le cœur de la décision réside dans l’affirmation selon laquelle la nature cambiaire de l’action ne saurait paralyser les devoirs du juge en matière de protection du consommateur. Même lorsque le professionnel fonde sa demande uniquement sur le billet à ordre et que le consommateur reste passif, le juge n’est pas dispensé de son rôle de gardien de l’ordre public de protection. La Cour estime que si le juge a des doutes sur le bien-fondé de la créance, « cette juridiction doit examiner d’office si les stipulations convenues entre les parties présentent un caractère abusif ».
Cet examen doit porter non seulement sur la clause du contrat de crédit imposant le billet à ordre, mais sur l’ensemble du rapport fondamental. L’obligation d’examiner d’office le respect des exigences d’information de la directive sur le crédit à la consommation est également rappelée. Le formalisme du droit cambiaire, qui tend à rendre l’obligation de paiement abstraite et détachée de sa cause, cède ainsi le pas devant l’exigence d’un contrôle substantiel et effectif des droits du consommateur.
B. La primauté du droit de l’Union sur les règles de procédure nationales
Afin que ce contrôle d’office ne demeure pas théorique, la Cour précise les moyens dont le juge dispose. Elle affirme que le juge doit pouvoir « exiger du professionnel qu’il produise l’écrit constatant ces stipulations, de telle sorte que ladite juridiction soit en mesure de s’assurer du respect des droits que les consommateurs tirent de ces directives ». Le refus ou l’incapacité du professionnel de produire le contrat de crédit et l’accord cambiaire peut donc faire échec à sa demande en paiement, même si le billet à ordre est formellement régulier.
Plus fondamentalement, la Cour rappelle qu’en cas de conflit, les règles de procédure nationales, même celles relatives au principe dispositif qui limite le juge aux demandes des parties, doivent être écartées si elles empêchent d’assurer la pleine effectivité du droit de l’Union. Faisant application d’une jurisprudence constante, elle enjoint aux juridictions nationales de laisser « au besoin inappliquées toutes dispositions ou jurisprudence nationales qui s’opposent à un tel examen ». Le juge national se voit ainsi confier une mission impérative de protection, qui transcende les cadres procéduraux internes pour garantir la suprématie et l’utilité pratique du droit européen de la consommation.