Cour de justice de l’Union européenne, le 7 octobre 2014, n°C-399/12

Par un arrêt en date du 26 novembre 2013, la Cour de justice de l’Union européenne, réunie en grande chambre, a statué sur la portée de l’article 218, paragraphe 9, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. En l’espèce, le Conseil de l’Union européenne avait adopté une décision établissant la position que les États membres devaient adopter au sein de l’Organisation internationale de la vigne et du vin, une organisation dont l’Union n’est pas membre mais dont les recommandations sont prises en compte par le droit de l’Union, notamment en matière de pratiques œnologiques et de méthodes d’analyse. Un État membre a alors formé un recours en annulation contre cette décision.

Cet État soutenait que l’article 218, paragraphe 9, du traité ne pouvait servir de base juridique à la décision attaquée. Il arguait, d’une part, que cette disposition ne s’applique que lorsque l’Union est elle-même partie à l’accord international créant l’instance concernée. D’autre part, il affirmait que les recommandations de ladite organisation ne constituaient pas des « actes ayant des effets juridiques » au sens de cette même disposition, car elles sont dépourvues de caractère contraignant en droit international. Le Conseil, soutenu par la Commission, a défendu la validité de la décision, estimant que la compétence de l’Union dans le domaine agricole et les effets juridiques produits par les recommandations dans l’ordre juridique interne de l’Union justifiaient le recours à la procédure de l’article 218, paragraphe 9, du traité.

La question de droit soulevée était donc de savoir si l’article 218, paragraphe 9, du traité permet au Conseil d’adopter une position au nom de l’Union dans une instance créée par un accord international auquel l’Union n’est pas partie, lorsque cette instance adopte des actes qui, sans être contraignants en droit international, sont destinés à produire des effets juridiques dans l’ordre juridique de l’Union.

La Cour de justice a répondu par l’affirmative et a rejeté le recours. Elle a jugé, d’une part, que le libellé de la disposition ne fait pas obstacle à ce que l’Union adopte une position dans une instance créée par un accord auquel elle n’est pas partie, dès lors que le domaine concerné relève d’une compétence de l’Union. D’autre part, elle a considéré que les recommandations en cause avaient bien des effets juridiques au sens de l’article, car elles ont vocation à « influencer de manière déterminante le contenu de la réglementation adoptée par le législateur de l’Union » dans le domaine concerné, en raison de leur incorporation prévue par le droit de l’Union lui-même.

Cette décision étend de manière significative la capacité d’action extérieure de l’Union en clarifiant les conditions d’application de l’article 218, paragraphe 9, du traité (I), ce qui a pour conséquence de renforcer la primauté de la position de l’Union dans les domaines de compétence partagée (II).

I. L’interprétation extensive des conditions d’application de l’article 218, paragraphe 9, du TFUE

La Cour adopte une approche téléologique de l’article 218, paragraphe 9, du traité, en affirmant la capacité d’action de l’Union indépendamment de sa qualité de membre de l’organisation internationale (A) et en retenant une conception large de la notion d’« actes ayant des effets juridiques » (B).

A. L’affirmation de l’action extérieure de l’Union indépendamment de sa participation formelle à un accord international

La Cour écarte l’argument selon lequel l’Union doit être partie à un accord international pour pouvoir établir une position en son nom au sein de l’instance créée par cet accord. Elle juge que le texte de l’article 218, paragraphe 9, du traité, qui mentionne « un accord » sans autre précision, ne s’oppose pas à une telle démarche. Le critère déterminant réside plutôt dans la compétence matérielle de l’Union. En l’espèce, l’organisation commune des marchés vitivinicoles relevant de la politique agricole commune, une compétence de l’Union, celle-ci est fondée à agir.

La Cour souligne ainsi que « l’absence de participation de l’Union à l’accord international en cause ne l’empêche pas d’exercer cette compétence en établissant, dans le cadre de ses institutions, une position à prendre en son nom dans l’instance créée par cet accord ». Cette solution pragmatique garantit l’efficacité de l’action extérieure de l’Union et assure la cohérence entre ses politiques internes et sa représentation sur la scène internationale. Elle s’inscrit dans la lignée d’une jurisprudence constante visant à préserver les compétences de l’Union et à affirmer son identité propre sur la scène internationale. L’expression de la position de l’Union est alors assurée par les États membres qui, en vertu du principe de coopération loyale, agissent conjointement dans l’intérêt de l’Union.

B. La conception matérielle des « actes ayant des effets juridiques »

La Cour de justice précise également la notion d’« actes ayant des effets juridiques ». Elle rejette une interprétation formaliste qui limiterait cette catégorie aux seuls actes contraignants en droit international. Pour la Cour, il suffit que les actes en question soient destinés à produire des effets juridiques dans l’ordre juridique de l’Union. En l’espèce, plusieurs règlements de l’Union font explicitement référence aux recommandations de l’organisation internationale en matière de pratiques œnologiques et de méthodes d’analyse, soit en les rendant directement applicables, soit en obligeant la Commission à s’y fonder.

La Cour considère que de tels actes « ont vocation à influencer de manière déterminante le contenu de la réglementation adoptée par le législateur de l’Union dans le domaine de l’organisation commune des marchés vitivinicoles ». Par conséquent, leur adoption au niveau international affecte directement l’acquis de l’Union, justifiant que cette dernière définisse en amont une position commune. Cette interprétation fonctionnelle permet à l’Union de maîtriser l’évolution de son propre droit, en intervenant au stade de l’élaboration de normes internationales qui, bien que relevant du droit souple, sont intégrées dans son ordre juridique et y acquièrent une portée normative.

La solution retenue par la Cour, en validant une interprétation extensive des conditions d’application de la procédure, consolide la capacité de l’Union à parler d’une seule voix sur la scène internationale, y compris dans des domaines relevant de sa compétence partagée.

II. La consolidation de la compétence externe de l’Union dans les domaines de compétence partagée

En validant le recours à l’article 218, paragraphe 9, du traité dans de telles circonstances, la Cour renforce la primauté de l’action de l’Union dans les domaines de compétence partagée où elle a déjà légiféré (A) et confirme le rôle des États membres en tant qu’acteurs de la mise en œuvre de la position de l’Union (B).

A. La préemption de l’action autonome des États membres par l’exercice de la compétence de l’Union

La politique agricole étant une compétence partagée entre l’Union et ses États membres, l’intervention de l’Union sur la scène internationale dans ce domaine pourrait sembler concurrencer l’action des États. Cependant, en l’espèce, le législateur de l’Union a déjà largement réglementé le secteur vitivinicole, créant une organisation commune de marché très détaillée. L’arrêt confirme que, lorsque l’Union a fait un usage aussi extensif de sa compétence interne, sa compétence externe s’en trouve renforcée, même en l’absence de participation formelle à une organisation internationale.

En permettant au Conseil de fixer une position contraignante pour les États membres, la Cour applique en substance le principe de préemption. L’action externe des États membres est encadrée afin d’éviter que des positions divergentes ne viennent compromettre les objectifs de la politique commune et l’intégrité de l’acquis de l’Union. Cette solution est cohérente avec la jurisprudence AETR, selon laquelle la compétence externe de l’Union peut devenir exclusive lorsque son exercice est nécessaire pour mettre en œuvre une politique commune ou lorsque des règles communes sont affectées. L’arrêt étend cette logique à la coordination des positions dans des instances où l’Union n’est pas formellement représentée.

B. L’instrumentalisation des États membres pour l’expression de la position de l’Union

La décision du Conseil, validée par la Cour, établit une position que « les États membres qui sont également membres de l’OIV » doivent exprimer en « agissant conjointement dans l’intérêt de l’Union ». Ce mécanisme illustre parfaitement le devoir de coopération loyale découlant de l’article 4, paragraphe 3, du Traité sur l’Union européenne. Les États membres, en raison de leur appartenance à l’organisation internationale, deviennent les vecteurs de la position de l’Union. Ils n’agissent plus en leur nom propre mais en tant que fiduciaires de l’intérêt commun défini au niveau de l’Union.

Cette solution pragmatique permet à l’Union de surmonter les obstacles liés à sa non-participation à certaines organisations internationales. Elle assure une représentation unifiée et cohérente de ses intérêts sur la scène mondiale. L’arrêt confirme ainsi que les États membres sont tenus de mettre en œuvre la politique externe de l’Union, même lorsque celle-ci est définie en dehors du cadre strict d’un accord international auquel l’Union serait partie. La souveraineté des États membres dans leur action diplomatique se trouve ainsi limitée par leur appartenance à une Union dont les compétences matérielles priment sur les modalités formelles de représentation.

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Hassan KOHEN
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