Cour de justice de l’Union européenne, le 7 septembre 2006, n°C-108/05

Par l’arrêt commenté, la Cour de justice des Communautés européennes précise les conditions d’acquisition du caractère distinctif d’une marque par l’usage au sein d’un territoire linguistiquement hétérogène. En l’espèce, une entreprise avait sollicité l’enregistrement d’une marque verbale auprès d’un office national de la propriété intellectuelle. L’enregistrement fut refusé au motif que le terme composant la marque était descriptif des produits ou services visés dans l’une des langues officielles de cet État membre. La législation européenne sur les marques permet de surmonter un tel obstacle si le déposant démontre que sa marque, initialement dépourvue de caractère distinctif, en a acquis un par l’usage qui en a été fait.

Saisie d’un recours formé par l’entreprise déposante, la juridiction nationale de renvoi a sursis à statuer. Elle a interrogé la Cour de justice sur l’étendue géographique de la preuve de l’acquisition de ce caractère distinctif. Il s’agissait de déterminer si l’acquisition du caractère distinctif par l’usage, permettant de surmonter un motif de refus d’enregistrement, doit être démontrée sur l’ensemble du territoire de l’État membre ou uniquement dans la partie de ce territoire où le motif de refus est avéré. La question posée revenait donc à définir le périmètre territorial pertinent pour l’administration de cette preuve lorsque le défaut de distinctivité n’affecte qu’une fraction du territoire concerné.

À cette question, la Cour de justice répond que la preuve de l’acquisition du caractère distinctif par l’usage doit couvrir l’intégralité de la zone géographique dans laquelle le motif de refus trouve à s’appliquer. Ainsi, lorsque ce motif ne concerne qu’une zone linguistique spécifique, le caractère distinctif acquis par l’usage doit être établi pour l’ensemble de cette même zone. La solution adoptée conditionne donc la validité de l’enregistrement à une démonstration territorialement circonscrite au problème d’origine, établissant un principe de parallélisme strict entre l’obstacle et le remède.

I. L’exigence d’une acquisition du caractère distinctif sur l’ensemble du territoire concerné par le motif de refus

La Cour établit un principe clair en liant l’étendue territoriale de la preuve de l’usage à celle du motif de refus (A), avant de détailler l’application de cette règle dans le cas spécifique des zones linguistiques (B).

A. La consécration d’un parallélisme entre le territoire du motif de refus et celui de la preuve

La décision énonce une règle générale d’une grande logique juridique en matière de droit des marques. Le juge européen affirme que « l’enregistrement d’une marque ne saurait être admis sur le fondement de cette disposition que s’il est démontré que cette marque a acquis par l’usage un caractère distinctif dans toute la partie du territoire de l’État membre ou, dans le cas du Benelux, dans toute la partie du territoire de celui-ci dans laquelle il existe un motif de refus ». Cette formulation établit une symétrie nécessaire entre la portée géographique du défaut initial de la marque et l’étendue de la preuve requise pour y remédier.

Le raisonnement sous-jacent est que l’usage doit avoir permis à la marque de remplir sa fonction essentielle d’identification d’origine précisément là où elle en était incapable. Si une marque est descriptive, et donc non distinctive, dans une région donnée, c’est dans cette même région que le public pertinent doit avoir appris, par l’effet de l’usage, à associer ce signe à une entreprise déterminée. La solution évite ainsi qu’une preuve de notoriété acquise dans une partie du territoire où le signe était déjà arbitraire ne vienne valider l’enregistrement pour une autre partie du territoire où il reste purement descriptif pour le public.

Cette approche générale trouve une application spécifique et rigoureuse dans le contexte des zones linguistiques.

B. L’application du principe aux zones linguistiques

La Cour transpose son principe général à la situation particulière d’un État membre ou du Benelux comportant plusieurs aires linguistiques. Pour une marque verbale, le caractère descriptif est intimement lié à la signification du ou des mots dans une langue donnée. Le motif de refus ne se matérialise donc que dans la zone où cette langue est comprise par les consommateurs. La Cour en tire la conséquence logique en précisant qu’« il doit être établi que la marque a acquis par l’usage un caractère distinctif dans toute cette zone linguistique ». Le territoire pertinent pour la preuve est ainsi défini par des frontières linguistiques plutôt que purement administratives.

La Cour précise également le critère d’appréciation au sein de cette zone. Il convient de vérifier si « les milieux intéressés, ou à tout le moins une fraction significative de ceux-ci, identifient grâce à la marque le produit ou le service en question comme provenant d’une entreprise déterminée ». Cette exigence assure que l’acquisition du caractère distinctif est effective et non marginale. Elle impose au déposant de fournir des éléments concrets, tels que des sondages ou des enquêtes d’opinion, qui attestent d’un changement de perception de la marque auprès d’une part substantielle du public de la zone linguistique concernée.

En définissant ainsi une exigence probatoire stricte, la Cour dessine un cadre contraignant pour les titulaires de marques, dont il convient d’apprécier la portée.

II. La portée d’une solution protectrice de la fonction essentielle de la marque

Cette décision renforce de manière significative la charge de la preuve qui pèse sur le déposant (A), mais cette rigueur se justifie par la volonté de préserver l’unité du droit des marques au sein du marché intérieur (B).

A. Le renforcement de la charge probatoire pesant sur le déposant

En pratique, la solution retenue par la Cour rend plus difficile l’enregistrement de marques verbales dans les États membres multilingues. Le déposant ne peut plus se contenter de prouver une notoriété générale ou concentrée dans les principaux centres économiques de l’État. Il doit désormais apporter la preuve d’une reconnaissance effective de sa marque sur l’ensemble d’une zone linguistique, y compris dans ses parties les moins peuplées ou commercialement moins actives. Cette obligation peut engendrer des coûts considérables en termes de collecte de preuves et de campagnes de communication ciblées.

Cette exigence peut être perçue comme une contrainte forte pour les entreprises, qui doivent adapter leurs stratégies de marque et d’investissement aux réalités linguistiques d’un territoire. Une marque qui obtient un grand succès dans une région pourrait se voir refuser la protection sur l’ensemble du territoire national faute de pouvoir démontrer une perception similaire dans une autre région linguistique où le terme est commun. La décision privilégie une conception stricte de la fonction de la marque au détriment d’une approche potentiellement plus souple et pragmatique.

Toutefois, cette rigueur s’avère justifiée par la nécessité de garantir l’unité du droit des marques sur le marché intérieur.

B. La préservation de l’unité du droit des marques au sein d’un État membre

La portée de cet arrêt est fondamentale, car il vient consolider le principe du caractère unitaire de la marque nationale. En refusant qu’une marque puisse être valable dans une partie d’un État membre et dépourvue de caractère distinctif dans une autre, la Cour prévient la fragmentation du droit au sein d’un même territoire juridique. Une solution contraire aurait conduit à une situation où la protection conférée par une marque nationale aurait une portée géographique variable, créant une insécurité juridique tant pour son titulaire que pour les concurrents.

La décision garantit que tous les consommateurs d’un État membre bénéficient du même niveau d’information et de protection. Si un terme est descriptif pour un groupe linguistique, il doit rester librement utilisable par tous les opérateurs économiques s’adressant à ce groupe, sauf si la preuve est faite que le public concerné ne le perçoit plus comme tel. En ce sens, l’arrêt protège la concurrence en maintenant dans le domaine public des signes qui n’ont pas encore acquis une fonction de marque pour le public pertinent. Il réaffirme que la marque est avant tout un indicateur d’origine et que cette fonction doit être assurée uniformément sur le territoire pour lequel la protection est demandée.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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