Par un arrêt du 7 septembre 2006, la Cour de justice des Communautés européennes s’est prononcée sur l’interprétation de plusieurs règlements relatifs aux restitutions à l’exportation pour les produits agricoles. En l’espèce, une société exportatrice a déclaré pour l’exportation deux lots de poulets congelés en 1997 et 1998, sollicitant le bénéfice de restitutions. Lors d’un contrôle, les autorités douanières allemandes ont prélevé des échantillons et ont constaté la présence de fractures ouvertes sur certains poulets, ce qui a conduit au refus total de l’octroi des restitutions. Saisie d’un recours, la juridiction de première instance a partiellement réformé cette décision pour l’un des envois, estimant que la moitié de la marchandise était conforme. Les deux parties ont alors formé un pourvoi devant le Bundesfinanzhof. Cette juridiction a sursis à statuer et a posé plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice.
La juridiction de renvoi interrogeait ainsi la Cour sur les critères d’appréciation de la « qualité saine, loyale et marchande » des produits agricoles destinés à l’exportation, et plus précisément sur l’applicabilité des normes de commercialisation internes à la Communauté. Elle s’interrogeait également sur l’articulation de ces normes avec les dispositions générales du code des douanes, notamment la fiction selon laquelle le résultat d’un examen partiel vaut pour l’ensemble d’un lot, et sur les conséquences procédurales d’un contrôle douanier potentiellement irrégulier en raison de la taille insuffisante des échantillons prélevés. En réponse, la Cour de justice a jugé que les normes de qualité et de tolérance applicables à la commercialisation des volailles au sein de la Communauté servent bien de référence pour déterminer la « qualité saine, loyale et marchande » ouvrant droit à restitution. Elle précise cependant que la fiction de la qualité uniforme prévue par le code des douanes est écartée lorsque le contrôle est vicié par une taille d’échantillon insuffisante, renvoyant alors au juge national le soin d’apprécier l’ensemble des preuves et le comportement des parties.
La Cour clarifie ainsi les conditions de fond de l’octroi des restitutions (I), avant de préciser les conséquences d’une irrégularité dans le contrôle douanier (II).
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I. La clarification des conditions de fond de l’octroi des restitutions
L’arrêt apporte une précision essentielle sur la notion de « qualité saine, loyale et marchande » en confirmant l’application des normes de commercialisation internes (A), une solution justifiée par la recherche de cohérence du système des restitutions (B).
A. La confirmation du critère de commercialisation sur le territoire communautaire
La Cour de justice énonce clairement que pour apprécier la qualité d’un produit destiné à l’exportation, il convient de se référer aux normes qui régissent sa commercialisation au sein même de la Communauté. Elle rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle l’exigence d’une « qualité saine, loyale et marchande » est une condition objective pour l’octroi d’une restitution, et qu’un produit qui « ne pourrait pas être commercialisé sur le territoire communautaire ‘dans des conditions normales’ ne remplirait pas ces exigences de qualité ». Par conséquent, les dispositions du règlement n° 1538/91, qui définissent les standards de qualité pour la viande de volaille, y compris les tolérances pour certains défauts comme les fractures, sont jugées applicables.
L’argument tiré de l’article 1er du règlement n° 1906/90, qui exclut de son champ d’application la viande de volaille destinée à l’exportation, est écarté. La Cour opère une distinction téléologique : cette exclusion vise les transactions commerciales entre opérateurs communautaires et ceux de pays tiers, mais ne saurait faire obstacle à ce que les mêmes normes de qualité servent de critère pour une « opération interne de la Communauté », à savoir l’octroi d’une subvention. La « qualité saine, loyale et marchande » doit donc « être appréciée sur la base des exigences de la réglementation communautaire, dont font partie les articles 6 et 7 du règlement n° 1538/91 ». Cette approche pragmatique est guidée par un objectif de rationalité du droit communautaire.
B. La recherche de la cohérence du système des restitutions à l’exportation
En liant l’éligibilité aux restitutions au respect des normes de qualité internes, la Cour prévient une contradiction majeure. Elle juge qu' »une interprétation qui permettrait de subventionner les exportations des produits ne répondant pas aux conditions de commercialisation à l’intérieur de la Communauté démontrerait une incohérence du système communautaire des restitutions à l’exportation ». En effet, l’octroi d’aides financières pour l’exportation de produits jugés impropres à la commercialisation sur le marché intérieur serait contraire à la finalité même de la politique agricole commune, qui vise à soutenir la production de denrées de qualité.
La solution retenue assure donc que les fonds communautaires ne sont pas utilisés pour écouler sur les marchés mondiaux des marchandises de qualité inférieure. Cette position renforce la crédibilité de la politique agricole et protège l’image des produits européens. Par ailleurs, la Cour prend soin de distinguer les normes relatives à la qualité intrinsèque du produit, telles que l’absence de fractures ouvertes, de celles qui visent l’information du consommateur, comme l’étiquetage. Seules les premières sont pertinentes pour déterminer le droit à restitution, ce qui démontre une analyse fine et proportionnée des critères applicables. Après avoir défini le standard de qualité applicable, la Cour se penche sur les modalités de sa vérification et les suites d’un contrôle défaillant.
II. Les conséquences procédurales d’un contrôle douanier irrégulier
L’arrêt tire des conséquences importantes de l’irrégularité du contrôle mené par les autorités nationales. Il conduit à neutraliser la fiction juridique du code des douanes lorsque le prélèvement est défaillant (A), ce qui engendre une redéfinition de la charge de la preuve et des pouvoirs du juge national (B).
A. La neutralisation de la fiction de l’article 70 du code des douanes
La juridiction de renvoi s’interrogeait sur l’application de l’article 70 du code des douanes, qui pose le principe que les résultats d’un examen partiel « sont valables pour l’ensemble des marchandises de cette déclaration ». La Cour juge que cette disposition générale s’applique bien en matière de restitutions agricoles, faute de dérogation expresse. Toutefois, elle en subordonne l’effet à la régularité de l’examen lui-même. Or, en l’espèce, les autorités douanières n’avaient pas prélevé le nombre minimal d’échantillons requis par l’article 7 du règlement n° 1538/91 pour pouvoir valablement apprécier le respect des marges de tolérance.
La Cour en déduit logiquement que si les conditions de l’examen ne sont pas remplies, la fiction ne peut produire ses effets. Elle affirme que la fiction « ne s’applique pas lorsque la taille de l’échantillon prélevé n’est pas suffisante au regard de l’article 7 du règlement n° 1538/91 ». En d’autres termes, on ne peut extrapoler les résultats d’un contrôle partiel si ce contrôle n’a pas été mené dans le respect des règles spécifiques qui garantissent sa représentativité. Cette solution protège l’opérateur économique contre les conséquences d’un contrôle superficiel ou non conforme, qui pourrait lui être injustement défavorable. Cette mise à l’écart de la fiction légale conduit la Cour à redéfinir la charge de la preuve et les pouvoirs du juge national.
B. Le renvoi au juge national pour l’appréciation des responsabilités partagées
Face à l’impossibilité d’appliquer la fiction de l’article 70 et à l’incertitude factuelle qui en découle, la Cour ne tranche pas le litige mais fournit au juge national une méthode de résolution. Elle met en lumière une forme de « coopération entre l’exportateur et l’autorité douanière nationale », chacun ayant des droits et des obligations. L’opérateur peut assister au contrôle et demander un examen supplémentaire, tandis que l’autorité douanière doit appliquer d’office la réglementation et veiller au respect de la qualité. La défaillance du contrôle vicie donc la procédure.
Dès lors, il appartient à la juridiction nationale « d’établir les faits en tenant compte de tous les éléments de preuve », y compris les échantillons disponibles et les comptes rendus de contrôle. Plus encore, si les faits ne peuvent être établis avec certitude, le juge doit « apprécier le comportement de l’exportateur et celui de l’autorité douanière en établissant dans quelle mesure chacun a, ou non, exercé ses droits et rempli ses obligations et de tirer les conséquences appropriées quant au droit à la restitution ». Cette solution, d’une grande portée pratique, déplace le litige du terrain de la preuve stricte vers celui de l’équité et de la responsabilité procédurale, invitant le juge national à une appréciation in concreto de la situation.