Cour de justice de l’Union européenne, le 7 septembre 2017, n°C-174/16

Par un arrêt rendu sur question préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne précise la portée des droits des travailleurs en congé parental. Saisie par le Verwaltungsgericht Berlin, la Cour examine la compatibilité d’une réglementation nationale allemande avec l’accord-cadre révisé sur le congé parental. Cette réglementation prévoyait la fin automatique d’un stage de promotion sans possibilité de prorogation lorsque le fonctionnaire stagiaire se trouvait en congé parental, entraînant sa réintégration à un poste hiérarchiquement inférieur.

En l’espèce, une fonctionnaire avait été promue à un poste de direction, promotion conditionnée à l’accomplissement d’un stage de deux ans. Ayant pris un congé parental durant la majeure partie de cette période, elle fut informée à l’issue du délai de deux ans que son stage prenait fin, faute d’avoir été accompli avec succès. En conséquence, l’administration la réintégra dans ses fonctions antérieures, de niveau et de rémunération inférieurs. La fonctionnaire contesta cette décision, arguant d’une violation du droit de l’Union, notamment de la directive 2010/18/UE qui met en œuvre l’accord-cadre révisé. La juridiction allemande a alors interrogé la Cour sur la conformité de sa législation nationale avec les garanties offertes par l’accord-cadre.

Le problème de droit soulevé était de savoir si la clause 5 de l’accord-cadre révisé, qui garantit au travailleur le droit de retrouver son poste et de maintenir ses droits acquis à l’issue d’un congé parental, s’oppose à une législation nationale qui met fin à une période de stage probatoire du seul fait de l’absence du travailleur pour un tel congé, sans prévoir de mécanisme de report ou de prolongation.

La Cour de justice répond par l’affirmative, jugeant la réglementation nationale incompatible avec les objectifs et les termes de l’accord-cadre. Elle considère que priver un travailleur de la possibilité de poursuivre son stage après son congé parental constitue une atteinte directe aux droits que le législateur de l’Union a entendu protéger. La décision de la Cour établit ainsi l’incompatibilité de la mesure nationale avec les principes protecteurs du droit de l’Union (I), avant de définir les conséquences pratiques que la juridiction de renvoi doit tirer de cette non-conformité (II).

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I. L’incompatibilité d’une réglementation nationale avec les garanties attachées au congé parental

La Cour de justice fonde sa décision sur une interprétation extensive des protections offertes par l’accord-cadre, affirmant fermement le droit pour le travailleur de conserver sa situation professionnelle (A) et écartant les justifications nationales qui viseraient à restreindre cette protection (B).

A. La consécration du droit au retour au poste de travail et au maintien des droits acquis

La Cour rappelle que l’accord-cadre révisé vise à concilier les responsabilités professionnelles et familiales et à promouvoir l’égalité de traitement. Dans cette optique, la clause 5, point 1, garantit au travailleur qu’il retrouvera, à l’issue de son congé, « son poste de travail ou, en cas d’impossibilité, un travail équivalent ou similaire ». Parallèlement, le point 2 de cette même clause assure le maintien des « droits acquis ou en cours d’acquisition » jusqu’à la fin du congé. La Cour précise que ces notions doivent recevoir une interprétation autonome et uniforme dans l’Union, et qu’elles ne sauraient être interprétées de manière restrictive.

En l’espèce, le droit d’accomplir un stage en vue d’une promotion définitive est considéré comme un « droit en cours d’acquisition ». En effet, la Cour énonce que « parmi de tels droits et avantages figurent ceux découlant de dispositions qui établissent les conditions d’accès à un niveau supérieur de la hiérarchie professionnelle ». Le fait que la fonctionnaire ait pris un congé parental ne saurait la priver de la possibilité de mener ce stage à son terme. La Cour juge suffisant que la fonctionnaire ait été affectée au poste de stagiaire avant son congé pour bénéficier de cette protection, peu importe qu’elle n’ait pas effectivement commencé à exercer les fonctions. L’interprétation contraire aurait un effet dissuasif, contraire à l’effet utile de la directive.

B. Le rejet des justifications fondées sur les objectifs du stage et les besoins du service

La Cour examine ensuite les arguments avancés pour justifier la réglementation nationale. L’objectif du stage, qui est d’évaluer l’aptitude du fonctionnaire à occuper le poste de direction, ne saurait justifier une atteinte aux droits garantis par l’accord-cadre. La Cour souligne que cet objectif pourrait être atteint par des mesures moins préjudiciables, comme la suspension et la prorogation du stage. Elle estime que « les atteintes portées, en l’occurrence, à ceux-ci n’apparaissent aucunement nécessaires pour que soit atteint l’objectif ainsi poursuivi ». L’accord-cadre ne contient aucune disposition autorisant des dérogations aux droits qu’il garantit pour de tels motifs.

De même, l’argument tiré de la nécessité d’assurer le bon fonctionnement des services est écarté. La Cour rappelle que les besoins des employeurs doivent être pris en compte par les États membres lorsqu’ils définissent les modalités d’application et la durée du congé parental. Une fois ces règles fixées, un employeur ne peut s’en prévaloir pour priver un travailleur des garanties minimales prévues par l’accord-cadre. Permettre une telle justification reviendrait à vider de sa substance le droit au congé parental lui-même.

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II. L’affirmation de l’effet direct et de la primauté des dispositions de l’accord-cadre

Ayant établi l’incompatibilité de la loi nationale, la Cour précise les obligations qui en découlent pour la juridiction de renvoi. Elle impose au juge national de garantir la pleine effectivité du droit de l’Union, en écartant au besoin la norme interne (A), et détaille les modalités concrètes de rétablissement des droits de la travailleuse (B).

A. L’obligation pour le juge national de laisser la loi interne inappliquée

La Cour rappelle d’abord le principe de l’interprétation conforme. Toutefois, la juridiction de renvoi ayant indiqué qu’une telle interprétation était impossible, la Cour se tourne vers l’effet direct des dispositions de l’accord-cadre. Elle juge que la clause 5, points 1 et 2, est « inconditionnelle et suffisamment précise » pour être invoquée par un particulier à l’encontre de l’État, y compris lorsque celui-ci agit en qualité d’employeur.

En conséquence, la Cour énonce qu’il incombe au juge national « d’appliquer intégralement le droit de l’Union et de protéger les droits que celui-ci confère aux particuliers, en laissant au besoin inappliquée toute disposition contraire du droit interne ». Cette obligation de primauté constitue le corollaire nécessaire de l’effet direct et garantit que les droits issus du droit de l’Union ne restent pas lettre morte. Le juge national devient ainsi le garant de l’effectivité de l’accord-cadre, même face à une disposition législative nationale expresse et contraire.

B. Les modalités concrètes de la restitution des droits du travailleur

La Cour ne se contente pas d’un principe général et guide la juridiction de renvoi sur les mesures à prendre. Il appartiendra d’abord à l’employeur de démontrer qu’il lui était « objectivement impossible » de maintenir le poste vacant ou de le pourvoir à titre transitoire pour garantir le retour de la fonctionnaire. En l’absence d’une telle preuve, la réintégration sur le poste initial s’impose.

Si l’impossibilité est avérée, l’employeur doit proposer un poste « équivalent ou similaire ». La Cour précise que le poste précédemment occupé par la fonctionnaire, étant de rang et de rémunération inférieurs, ne saurait être qualifié d’équivalent. Le nouveau poste doit correspondre en rang, en rémunération et en nature des tâches au poste de direction initialement visé. Enfin, la Cour interdit de subordonner cette nouvelle affectation à une nouvelle procédure de sélection, car une telle exigence « serait de nature à vider de sa substance le droit » au retour et rendrait sa nomination « aléatoire ». Le stage doit alors se poursuivre sur le poste retrouvé ou le nouveau poste, pour la durée restante, afin de préserver la perspective de promotion de l’intéressée.

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Hassan KOHEN
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