Par un arrêt du 7 septembre 2017, la Cour de justice de l’Union européenne, saisie d’une question préjudicielle par le tribunal des finances de Düsseldorf, est venue préciser le champ d’application d’une exonération fiscale en matière de taxation de l’électricité. En l’espèce, une entreprise du secteur de la sidérurgie, qui exploite une aciérie pour produire de la fonte brute par un procédé de réduction chimique, a sollicité le bénéfice d’une exonération de la taxe sur l’électricité. Cette demande portait sur l’électricité consommée pour le fonctionnement de turbosoufflantes, lesquelles compriment l’air ambiant qui, une fois réchauffé, est injecté dans un haut-fourneau pour permettre la réaction de réduction chimique du minerai de fer.
L’autorité douanière compétente a rejeté cette demande d’exonération, ainsi que la réclamation subséquente, au motif que l’électricité n’était pas directement utilisée pour le processus de réduction chimique, mais pour des installations auxiliaires. L’entreprise a alors formé un recours devant la juridiction allemande, soutenant que la production d’air comprimé constituait une étape indispensable du procédé et devait donc être couverte par l’exonération. Face à cette difficulté d’interprétation du droit national, qui transpose une directive de l’Union, la juridiction de renvoi a interrogé la Cour de justice. Il s’agissait de déterminer si l’article 2, paragraphe 4, sous b), troisième tiret, de la directive 2003/96/CE doit être interprété en ce sens que l’électricité utilisée pour actionner des turbosoufflantes dans le cadre d’un processus de production de fonte brute relève de la notion d’« électricité utilisée principalement pour la réduction chimique ».
À cette question, la Cour répond par la négative. Elle juge que cette électricité n’entre pas dans le champ de l’exonération prévue par la directive. La solution retenue par la Cour repose sur une interprétation stricte de la dérogation fiscale, guidée par la finalité immédiate de l’utilisation de l’électricité (I), ce qui a pour effet de consolider les objectifs de la directive en délimitant clairement la frontière entre le processus industriel principal et ses activités préparatoires (II).
I. Une interprétation stricte de l’exonération fiscale fondée sur la finalité de l’utilisation de l’électricité
La Cour de justice opère une analyse rigoureuse de la notion d’« électricité utilisée principalement pour la réduction chimique ». Pour écarter l’exonération, elle s’appuie d’abord sur le caractère indirect du lien entre l’électricité consommée et le processus chimique (A), avant de fonder son raisonnement sur le principe de traitement analogue entre l’électricité et les autres produits énergétiques (B).
A. Le rejet d’un lien indirect ou préparatoire avec le processus de réduction chimique
La Cour examine en premier lieu le libellé de la disposition litigieuse. Elle considère que si les termes ne permettent pas à eux seuls de trancher, « le sens ordinaire des termes “électricité utilisée […] pour la réduction chimique” […] suggère qu’un rapport éloigné entre une utilisation de l’électricité et la réduction chimique est insuffisant ». L’analyse de la Cour se concentre ainsi sur la finalité directe de la consommation d’électricité. Dans le cas d’espèce, l’électricité sert à actionner des moteurs électriques qui compriment de l’air. Cette opération est certes indispensable au déclenchement de la réduction chimique dans le haut-fourneau, mais elle constitue une étape mécanique distincte et en amont du processus chimique lui-même.
Le raisonnement de l’autorité douanière, selon lequel l’électricité utilisée dans des installations auxiliaires ne saurait être considérée comme directement affectée au processus de réduction, est ainsi implicitement validé. La Cour refuse d’adopter une approche purement fonctionnelle qui consisterait à inclure dans le champ de l’exonération toutes les étapes nécessaires à la réalisation du processus chimique. Elle établit une distinction entre l’utilisation de l’électricité comme force motrice pour une phase préparatoire et son utilisation au cœur même de la réaction chimique. Cette interprétation littérale et téléologique est ensuite renforcée par un argument de cohérence systémique.
B. L’argument décisif du traitement analogue entre électricité et produits énergétiques
L’argument central de la Cour repose sur une lecture combinée des différentes exemptions prévues par la directive et de ses objectifs. Le considérant 22 de la directive énonce que « l’électricité utilisée de la même manière [que les produits énergétiques à double usage] doit bénéficier d’un traitement analogue ». Or, la directive prévoit une exonération pour les produits énergétiques à « double usage », c’est-à-dire ceux utilisés à la fois comme combustible et pour des usages autres. L’utilisation pour la réduction chimique est considérée comme un tel double usage.
La Cour procède alors à une substitution hypothétique : « à supposer que la turbosoufflante ait fonctionné non pas grâce à l’électricité, mais plutôt grâce à un produit énergétique, tel que le gazole, ce dernier ne relèverait pas de la notion de produit énergétique de “double usage” ». En effet, un tel produit serait utilisé uniquement comme carburant pour produire une force motrice, et non pour un double usage. Il serait donc soumis à taxation. Permettre l’exonération de l’électricité dans la même situation reviendrait à rompre le « traitement analogue voulu par le législateur de l’Union entre les produits énergétiques et l’électricité » et à créer une distorsion en faveur de l’électricité. Cette analyse comparative s’avère décisive pour refuser l’exonération et préserver la logique interne de la directive.
Cette interprétation restrictive, fondée sur la finalité immédiate de la consommation et le parallélisme avec les autres produits énergétiques, a une portée significative en ce qu’elle vient consolider les objectifs poursuivis par le législateur de l’Union.
II. La portée de la décision : la consolidation des objectifs de la directive au détriment d’une approche fonctionnelle
En adoptant une définition stricte de l’exonération, la Cour de justice réaffirme la primauté des objectifs de la directive 2003/96/CE (A). Ce faisant, elle trace une ligne de démarcation claire entre le processus de production principal et les activités qui lui sont simplement auxiliaires, apportant ainsi une sécurité juridique notable (B).
A. La primauté des objectifs de marché intérieur et de politique environnementale
La directive 2003/96/CE poursuit un double objectif : assurer le bon fonctionnement du marché intérieur dans le secteur de l’énergie et promouvoir les politiques environnementales de l’Union. L’arrêt commenté s’inscrit pleinement dans cette double perspective. En refusant d’étendre l’exonération à l’électricité utilisée pour une étape préparatoire, la Cour évite de créer un avantage compétitif injustifié pour l’électricité par rapport aux produits énergétiques fossiles. Comme elle le souligne, une interprétation large « aurait pour effet de favoriser l’utilisation de l’électricité au détriment des produits énergétiques, ce qui serait, en définitive, contraire au double objectif poursuivi par la directive ».
Cette solution garantit une application uniforme de la taxation et prévient les distorsions de concurrence entre les opérateurs économiques selon la source d’énergie qu’ils choisissent pour alimenter leurs équipements auxiliaires. De plus, en limitant la portée d’une exonération fiscale, la Cour assure l’assiette de la taxe, laquelle est présentée par la directive comme « un des instruments disponibles pour atteindre les objectifs de Kyoto ». La décision privilégie ainsi la cohérence du système fiscal européen et ses finalités environnementales sur une conception extensive de l’exonération qui aurait pu être défendue par les industries concernées.
B. La clarification de la frontière entre processus principal et activités auxiliaires
Au-delà de son apport à la réalisation des objectifs de la directive, l’arrêt présente un intérêt pratique majeur en clarifiant la notion d’utilisation « pour » un processus industriel. Il établit que, pour bénéficier de l’exonération, l’électricité doit être consommée dans le cadre du processus principal visé par la dérogation, et non pour des activités préparatoires ou de soutien, même si celles-ci sont techniquement indispensables. La Cour distingue ainsi l’électricité qui participe directement à la transformation de la matière, comme dans les procédés d’électrolyse, de celle qui sert uniquement de force motrice à des équipements en amont.
Cette jurisprudence offre une grille de lecture claire aux entreprises et aux administrations fiscales nationales pour l’application de cette exonération, mais aussi potentiellement pour d’autres régimes fiscaux similaires. En l’espèce, l’électricité utilisée pour faire fonctionner les turbosoufflantes est qualifiée d’énergie motrice pour un équipement mécanique, et non d’électricité consommée pour la réduction chimique. La solution est sévère pour l’opérateur économique, qui voit une part significative de sa consommation d’énergie exclue de l’exonération, mais elle a le mérite de la prévisibilité. Elle contraint les acteurs industriels à une analyse précise de leurs flux énergétiques pour distinguer ce qui relève du cœur de leur processus de ce qui relève du fonctionnement de leurs installations.