La Cour de justice de l’Union européenne, par une décision du 7 septembre 2022, examine la conformité d’une législation linguistique nationale avec le droit primaire. Un État membre impose aux établissements d’enseignement supérieur d’assurer leurs programmes exclusivement dans la langue officielle sur l’ensemble du territoire. Plusieurs parlementaires contestent alors ces dispositions devant leur juridiction constitutionnelle afin d’obtenir un contrôle de validité par rapport aux normes supérieures. Ils invoquent à cet égard une atteinte caractérisée à la liberté d’établissement des investisseurs étrangers souhaitant s’implanter durablement dans cet État. La juridiction de renvoi sollicite alors une interprétation des articles quarante-neuf et cinquante-six du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Elle s’interroge sur la validité d’une telle mesure au regard de la protection nécessaire de l’identité nationale et linguistique. La Cour juge que cette obligation constitue une restriction mais demeure justifiable sous réserve du respect strict du principe de proportionnalité. Cette solution conduit à analyser la qualification de l’entrave avant d’étudier les exigences complexes liées à sa justification.
I. La qualification d’une restriction à l’établissement justifiée par l’identité nationale
A. L’identification d’une entrave à la liberté d’établissement
La Cour rappelle que l’organisation de cours d’enseignement supérieur contre rémunération constitue une activité économique relevant pleinement de la liberté d’établissement. Elle précise que « doivent être considérées comme des restrictions à la liberté d’établissement toutes les mesures qui interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l’exercice de la liberté ». L’obligation de dispenser les programmes dans la seule langue officielle rend l’installation des ressortissants étrangers beaucoup plus onéreuse et complexe. Ces derniers doivent en effet supporter des coûts d’adaptation significatifs pour leur personnel administratif ainsi que pour l’ensemble du corps enseignant. L’entrave est ainsi caractérisée dès lors que la mesure nationale dissuade les opérateurs d’autres États membres de développer leur activité.
B. La légitimité de l’objectif de protection de la langue officielle
La restriction identifiée peut être admise si elle répond à une raison impérieuse d’intérêt général reconnue par le droit communautaire. Le juge européen reconnaît que « l’Union respecte également l’identité nationale de ses États membres, dont fait aussi partie la protection de la langue officielle ». La promotion d’une langue nationale constitue un objectif légitime justifiant en principe une atteinte proportionnée aux libertés fondamentales de circulation. L’importance de l’enseignement est soulignée pour la réalisation d’une politique globale de défense de la pratique linguistique courante. Le droit de l’Union n’interdit donc pas aux États de valoriser leur propre patrimoine linguistique à travers le système éducatif. Cette reconnaissance de l’intérêt général impose néanmoins de vérifier l’équilibre des moyens mis en œuvre par le législateur national.
II. Les exigences de proportionnalité dans la mise en œuvre de l’obligation linguistique
A. La nécessité d’une application cohérente et systématique de la mesure
La mesure nationale doit être propre à garantir la réalisation de l’objectif sans toutefois excéder ce qui est strictement nécessaire. Le juge européen estime qu’une législation favorisant la pratique de la langue officielle par la population universitaire est apte à atteindre son but. Cependant, elle souligne que « ladite réglementation ne saurait être considérée comme étant de nature à garantir cet objectif que si elle répond véritablement au souci de l’atteindre ». La cohérence du dispositif est vérifiée par l’examen des dérogations prévues pour certains établissements bénéficiant d’un statut juridique particulier. L’existence d’exceptions limitées pour des programmes de coopération internationale ne prive pas la réglementation de sa logique interne. La validité du dispositif repose ainsi sur la faculté d’adapter ces contraintes linguistiques aux spécificités de certains enseignements.
B. L’obligation d’aménager des exceptions proportionnées aux formations spécifiques
Une réglementation exigeant l’usage exclusif de la langue officielle sans aucune possibilité de dérogation serait considérée comme manifestement excessive. Le juge précise qu’une telle mesure « sans tenir compte des motifs susceptibles de justifier que différents programmes d’enseignement supérieur soient offerts dans d’autres langues » serait invalide. Des exceptions doivent impérativement permettre l’usage d’autres langues pour les formations internationales ou les enseignements de cultures étrangères. La marge d’appréciation des États membres ne permet pas de porter une atteinte disproportionnée aux libertés garanties par les traités. La validité de la loi dépend donc de la présence de clauses de sauvegarde assurant une flexibilité suffisante du système universitaire.