Cour de justice de l’Union européenne, le 7 septembre 2023, n°C-135/22

L’arrêt soumis au commentaire, rendu par une haute juridiction de l’Union européenne, se prononce sur le contentieux de l’accès aux documents des institutions. En l’espèce, un particulier avait sollicité la communication d’un document relatif à des observations formulées par une institution de l’Union dans le cadre de l’élaboration d’un texte par une organisation internationale. Face au refus qui lui fut opposé, fondé sur la nécessité de protéger le processus décisionnel de l’institution, le requérant a saisi le Tribunal de l’Union européenne d’une demande d’annulation de cette décision de refus. Par un premier jugement, le Tribunal a rejeté le recours, considérant que le refus de communication était justifié. Le requérant a alors formé un pourvoi devant la Cour de justice, soutenant que le Tribunal avait commis une erreur de droit en validant l’analyse de l’institution. Il arguait notamment que le processus décisionnel n’était plus en cours et que la protection accordée par les textes ne pouvait plus être invoquée. La question de droit soumise à la Cour consistait donc à déterminer si l’exception au principe de transparence, tenant à la protection du processus décisionnel, pouvait être valablement opposée à une demande de communication d’un document alors même que la position de l’institution avait déjà été arrêtée et communiquée à des tiers. Par son arrêt, la Cour de justice rejette le pourvoi et confirme l’appréciation du Tribunal, validant ainsi la décision de refus de l’institution. Elle estime que la divulgation du document était susceptible de porter une atteinte concrète et effective au processus décisionnel de l’institution concernée. Cette solution conduit à préciser les contours de l’équilibre à trouver entre l’impératif de transparence et la protection des délibérations internes (I), tout en confirmant une conception extensive de la notion de processus décisionnel (II).

I. La nécessaire conciliation entre transparence et protection des délibérations

L’arrêt rappelle avec force que si le principe de transparence constitue un pilier du fonctionnement démocratique de l’Union, il doit se concilier avec la sauvegarde de l’efficacité de l’action administrative. Cette pondération justifie que le droit d’accès aux documents soit encadré par des exceptions précises.

A. Le droit d’accès aux documents, un principe fondamental

Le droit d’accès aux documents des institutions est consacré par les traités et mis en œuvre par le règlement (CE) n° 1049/2001. La jurisprudence constante de la Cour de justice rappelle que « l’ouverture permet aux citoyens de participer de plus près au processus décisionnel et garantit que l’administration jouit d’une plus grande légitimité et est plus efficace et plus responsable à l’égard du citoyen dans un système démocratique ». C’est sur ce fondement que le requérant entendait obtenir la communication des observations formulées, afin de pouvoir examiner la position défendue par l’institution dans une négociation internationale. Le droit à la transparence vise en effet à permettre un contrôle citoyen sur l’ensemble de l’activité des institutions, y compris dans leurs relations avec des entités extérieures à l’Union. La Cour ne remet nullement en cause ce principe cardinal. Elle s’attache plutôt à vérifier si les conditions de sa limitation étaient, en l’espèce, réunies.

B. La protection du processus décisionnel, une exception légitime

La Cour confirme l’analyse du Tribunal selon laquelle l’institution était en droit de refuser la communication du document litigieux. Elle s’appuie pour cela sur l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 1049/2001. Ce texte dispose que l’accès à un document est refusé « si sa divulgation porte gravement atteinte au processus décisionnel de l’institution ». En l’occurrence, la Cour admet que même si la position de l’institution avait été formellement arrêtée, le processus de négociation au sein de l’organisation internationale n’était pas achevé. La divulgation des observations aurait ainsi exposé l’institution à des « pressions extérieures susceptibles de compliquer la défense de ses intérêts ». L’arrêt consacre l’existence d’un espace de délibération interne qui doit être préservé pour garantir la sérénité et l’autonomie des institutions, y compris lorsque celles-ci interagissent sur la scène internationale.

La confirmation du bien-fondé du refus de communication repose sur une interprétation large de l’exception protégeant le processus décisionnel, dont la portée mérite d’être analysée.

II. La consécration d’une interprétation extensive de la notion de processus décisionnel

En validant l’appréciation des juges du fond, la Cour de justice admet que la protection du processus décisionnel peut perdurer au-delà de l’adoption formelle d’une position interne. Cette approche pragmatique emporte des conséquences significatives sur la portée du contrôle exercé par les citoyens.

A. La persistance de la protection après l’adoption d’une position

L’argument central du pourvoi reposait sur l’idée que, la position de l’institution ayant été finalisée et transmise, le processus décisionnel interne était achevé et ne pouvait donc plus justifier un refus de communication. La Cour écarte ce raisonnement en adoptant une vision globale et dynamique du processus en question. Elle estime que celui-ci ne s’arrête pas à la simple adoption d’un acte interne, mais se poursuit tant que l’objectif final, en l’occurrence la conclusion des travaux au sein de l’organisation internationale, n’est pas atteint. La divulgation du document, même après la formalisation de la position de l’institution, était de nature à « affecter la capacité de cette dernière à négocier et à défendre sa position de manière flexible ». Cette interprétation extensive permet de couvrir l’ensemble d’un processus complexe, incluant ses phases externes et relationnelles.

B. La portée de la solution : un renforcement de l’autonomie institutionnelle au détriment du contrôle citoyen

La solution retenue par la Cour de justice a le mérite de préserver la marge de manœuvre des institutions européennes dans des contextes de négociation délicats. Elle leur garantit une sphère de confidentialité jugée indispensable à l’efficacité de leur action. Toutefois, cette décision pourrait être interprétée comme un recul pour le principe de transparence. En permettant aux institutions d’invoquer la protection de leur processus décisionnel jusqu’à l’aboutissement final d’une négociation externe, elle retarde considérablement le moment où le public peut exercer son droit de regard. Le risque est que cette jurisprudence soit utilisée pour justifier des refus de communication dans de nombreux domaines où l’Union est engagée dans des pourparlers internationaux, limitant ainsi la capacité des citoyens et des organisations de la société civile à comprendre et à influencer les positions défendues en leur nom. L’équilibre entre l’efficacité administrative et le contrôle démocratique demeure ainsi un enjeu central et délicat du droit de l’Union.

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Hassan KOHEN
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