Cour de justice de l’Union européenne, le 7 septembre 2023, n°C-169/22

Par la présente décision, la Cour de justice de l’Union européenne précise les conditions de remboursement des aides versées au titre du Fonds européen agricole pour le développement rural. La Cour clarifie l’interprétation de deux mécanismes distincts mais complémentaires du droit des aides agricoles.

En l’espèce, un bénéficiaire d’une aide avait perdu l’usage de terres louées suite à la résiliation de son bail. Cette résiliation résultait de la faillite du bailleur, lequel était déjà en procédure d’insolvabilité au moment de la conclusion du contrat. L’exploitation avait ensuite été transférée à une autre personne, qui avait repris les engagements afférents à l’aide avant de cesser définitivement son activité agricole. L’autorité nationale compétente avait alors demandé le remboursement de la totalité de l’aide versée.

Saisie d’un litige relatif à cette demande de remboursement, la juridiction nationale a sursis à statuer. Elle a adressé à la Cour de justice deux questions préjudicielles portant sur l’interprétation du règlement (CE) n° 1974/2006. Il s’agissait de déterminer, d’une part, si la perte du bien loué dans de telles circonstances pouvait constituer un cas de force majeure justifiant le non-remboursement de l’aide. D’autre part, la Cour était interrogée sur l’étendue de l’obligation de remboursement incombant au repreneur de l’engagement en cas de cessation de son activité.

La Cour de justice répond par la négative à la première question, jugeant que « la perte du droit d’utiliser les biens loués en raison de la résiliation du contrat de bail portant sur ces biens, consécutive à la faillite du bailleur, lequel faisait l’objet d’une procédure d’insolvabilité lors de la conclusion de ce contrat, ne constitue pas un “cas de force majeure ou de circonstances exceptionnelles” ». Sur la seconde question, elle affirme que le dernier bénéficiaire est en principe tenu de rembourser l’intégralité de l’aide perçue au titre de l’engagement, sauf exception dûment encadrée.

Cette décision conduit à examiner la conception restrictive de la force majeure retenue par la Cour (I), avant d’analyser la portée du principe de responsabilité intégrale du cessionnaire de l’engagement (II).

I. Une conception stricte de la force majeure excluant les risques contractuels prévisibles

La Cour de justice adopte une interprétation rigoureuse de la notion de force majeure, la distinguant nettement des aléas économiques et contractuels qui incombent à un opérateur diligent.

A. Le refus d’assimiler la faillite du bailleur à un événement imprévisible et irrésistible

La Cour écarte la qualification de force majeure en se fondant sur le caractère prévisible de la situation ayant conduit à la perte du bien. En l’espèce, le bailleur faisait déjà l’objet d’une procédure d’insolvabilité au moment de la conclusion du contrat de bail. Cet élément factuel est déterminant dans le raisonnement des juges. Il ôte à la faillite subséquente et à la résiliation du bail leur caractère d’événement imprévisible. Un opérateur économique normalement prudent et diligent, placé dans les mêmes circonstances, aurait dû identifier le risque lié à la situation financière précaire de son cocontractant.

La solution retenue rappelle que la force majeure suppose la réunion de critères objectifs et stricts. L’événement invoqué doit être extérieur à la sphère d’activité du bénéficiaire, irrésistible dans ses effets et imprévisible dans sa survenance. La défaillance d’un partenaire commercial, lorsqu’elle est précédée d’indices manifestes, ne saurait satisfaire à cette dernière condition. La Cour refuse ainsi de faire supporter par le budget de l’Union les conséquences d’un manque de diligence dans la gestion des relations contractuelles privées.

B. La confirmation d’une jurisprudence constante sur la charge du risque économique

Cette décision s’inscrit dans une ligne jurisprudentielle bien établie qui tend à faire peser sur les bénéficiaires d’aides publiques la charge des risques inhérents à leur activité. Le régime des aides au développement rural n’a pas pour objet d’assurer les opérateurs contre les aléas du marché ou les mauvaises décisions de gestion. En considérant que la faillite du bailleur n’était pas un cas de force majeure, la Cour réaffirme que le bénéficiaire de l’aide reste un acteur économique soumis aux obligations de prudence.

Le raisonnement de la Cour renforce la sécurité juridique et l’efficacité du système d’aides. Admettre le contraire reviendrait à ouvrir une brèche dans laquelle pourraient s’engouffrer de nombreuses situations relevant de la simple gestion du risque contractuel. Une telle extension de la notion de force majeure affaiblirait la portée des engagements souscrits en contrepartie des aides et complexifierait leur contrôle. La solution garantit ainsi que seuls des événements véritablement exceptionnels et indépendants de la volonté des parties peuvent justifier une dérogation aux obligations contractées.

La seconde partie de la décision s’attache aux conséquences de la reprise de l’engagement par un tiers, en posant un principe de responsabilité de principe.

II. Le principe de la responsabilité intégrale du cessionnaire de l’engagement

La Cour de justice précise que le transfert d’une exploitation emporte également transfert de la totalité des obligations afférentes à l’aide, instaurant une forme de continuité dans la responsabilité.

A. L’obligation de remboursement de la totalité de l’aide par le dernier bénéficiaire

Le point central de cette seconde partie de l’arrêt réside dans l’affirmation selon laquelle le cessionnaire d’un engagement est redevable de l’intégralité de l’aide versée depuis l’origine. Le bénéficiaire qui cesse ses activités agricoles est ainsi « tenu de rembourser l’aide reçue au titre de l’ensemble dudit engagement, y compris les montants reçus par les bénéficiaires précédents de cette aide ». Ce mécanisme assure que l’engagement, qui constitue la contrepartie de l’aide, soit respecté sur toute sa durée, indépendamment des transferts d’exploitation.

Cette règle de la responsabilité intégrale du dernier bénéficiaire répond à une logique de substitution. En reprenant volontairement l’engagement, le cessionnaire se substitue au cédant dans tous ses droits et obligations vis-à-vis de l’autorité de gestion. Il ne peut prétendre limiter sa responsabilité à la seule période durant laquelle il a personnellement exploité. Cette solution garantit la cohérence et l’intégrité de la politique de développement rural, dont les effets sont envisagés sur le long terme. Elle prévient les stratégies d’optimisation qui consisteraient à transférer une exploitation peu avant le terme d’un engagement pour échapper aux conséquences d’un non-respect.

B. Une rigueur tempérée par le principe de proportionnalité et les prérogatives des États membres

Bien que la règle posée soit sévère, la Cour prend soin de la nuancer en se référant au principe de proportionnalité et aux dispositions du règlement lui-même. La décision souligne en effet que l’obligation de remboursement intégral s’applique « à moins que l’État membre concerné ait décidé de ne pas exiger ce remboursement au titre de l’exception prévue à cet article 44, paragraphe 2, sous a) ». Cette mention est d’une importance capitale.

Elle signifie que le droit de l’Union, tout en posant un principe strict pour protéger les deniers publics, ménage une marge d’appréciation aux États membres. Ceux-ci peuvent prévoir des exceptions à l’obligation de remboursement total, pour autant que les conditions fixées par le règlement soient remplies. Cette flexibilité permet d’adapter l’application de la règle aux circonstances particulières de chaque cas et de respecter le principe de proportionnalité. La rigueur du principe est ainsi tempérée par la possibilité d’une application au cas par cas par les autorités nationales, qui sont les mieux à même d’apprécier la situation concrète du bénéficiaire.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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