Par un arrêt dont la portée s’étend à la fois sur les règles de taxe sur la valeur ajoutée et sur les libertés fondamentales du marché intérieur, la Cour de justice de l’Union européenne a été amenée à préciser les contours du droit fiscal européen. Les faits sous-jacents à la décision peuvent être reconstitués comme suit. Une entreprise de transport avait réalisé des prestations pour des marchandises importées dans un État membre, mais destinées à un autre État membre. L’administration fiscale du premier État membre avait remis en cause l’exonération de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) applicable à ces services de transport. Parallèlement, une autre société, non établie dans cet État membre, y fournissait des services de récupération de taxes. Les revenus de cette dernière faisaient l’objet d’une retenue à la source sur leur montant brut, un traitement fiscal différent de celui réservé aux prestataires résidents.
Saisie par les entreprises concernées, une juridiction nationale, confrontée à l’interprétation de plusieurs dispositions du droit de l’Union, a décidé de surseoir à statuer et de poser plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice. Il s’agissait pour la juridiction de renvoi de déterminer, d’une part, si les frais de transport intracommunautaire devaient obligatoirement être inclus dans la base d’imposition à la TVA des biens importés et si une exonération pouvait être refusée pour de simples motifs formels. D’autre part, elle interrogeait la Cour sur la compatibilité avec la libre prestation des services d’une retenue à la source appliquée aux seuls prestataires non-résidents, sans possibilité pour eux de déduire leurs frais professionnels. La Cour de justice a répondu que les frais de transport ne sont pas systématiquement inclus dans la base d’imposition à l’importation et que la preuve de l’exonération peut être apportée par tout moyen fiable. Elle a en outre jugé qu’une telle retenue à la source, calculée sur les revenus bruts, constitue une restriction discriminatoire à la libre prestation des services.
La décision de la Cour clarifie ainsi les conditions d’application de la TVA aux services de transport liés aux importations (I), avant de censurer un traitement fiscal national jugé contraire aux libertés du marché intérieur (II).
I. LA PRÉCISION DES CONDITIONS D’EXONÉRATION DE LA TVA SUR LES TRANSPORTS LIÉS AUX IMPORTATIONS
La Cour de justice apporte deux clarifications essentielles. Elle consacre d’abord une autonomie entre les frais de transport et la valeur en douane des biens importés (A), puis elle fait prévaloir la réalité économique sur les exigences formelles des États membres (B).
A. La dissociation entre les frais de transport et la base d’imposition de la marchandise
La Cour de justice interprète la directive relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée en opérant une distinction nécessaire entre l’opération d’importation et la prestation de transport qui peut lui être associée. Elle juge que, pour des services de transport liés à l’importation de biens, « l’enregistrement de l’opération d’importation n’implique pas, de ce fait même et systématiquement, l’inclusion des frais de ce transport dans la base d’imposition à la TVA de la marchandise importée ». Ce faisant, elle s’oppose à une approche administrative qui consisterait à fusionner artificiellement deux opérations distinctes. L’importation d’une marchandise et son transport subséquent vers un autre État membre sont deux prestations de nature différente, qui doivent suivre leur régime de TVA propre.
Cette solution garantit une application plus juste et plus cohérente du droit de l’Union. Elle évite que des frais de transport, qui devraient en principe être exonérés en tant que services liés à une importation, soient indirectement taxés par leur incorporation forcée dans la valeur du bien. La Cour rappelle ainsi implicitement que la base d’imposition à la TVA pour les importations est la valeur en douane, laquelle n’inclut pas nécessairement tous les frais accessoires postérieurs à l’entrée des biens sur le territoire de l’Union. La position de la Cour prévient donc les risques de double imposition ou de taxation indue et renforce la sécurité juridique pour les opérateurs économiques qui réalisent des prestations de transport transfrontalières.
B. La primauté de la preuve matérielle sur les exigences formelles nationales
Dans un second temps, la Cour de justice se prononce sur les moyens de preuve requis pour bénéficier de l’exonération de TVA. Elle estime que les dispositions de la directive TVA « s’opposent à la pratique fiscale d’un État membre consistant à refuser automatiquement l’exonération de la taxe sur la valeur ajoutée (tva) pour les services de transport liés à l’importation de biens au motif que le redevable n’a pas produit les documents spécifiques prescrits par la réglementation nationale ». Cette position est conditionnée au fait que l’assujetti produise d’autres documents fiables et authentiques prouvant que les conditions de fond de l’exonération sont bien remplies.
Cette affirmation consacre le principe de neutralité fiscale et de proportionnalité. En refusant qu’un droit à exonération, matériellement justifié, puisse être anéanti par le seul non-respect d’une exigence formelle nationale, la Cour place la réalité économique de l’opération au-dessus du formalisme administratif. Elle ne nie pas la légitimité pour les États membres de prévoir des obligations déclaratives pour contrôler la correcte application de la TVA, mais elle sanctionne l’automaticité de la sanction. Le droit à exonération est un élément substantiel du système commun de TVA ; il ne saurait être écarté que si les conditions de fond font réellement défaut, et non pour une simple irrégularité procédurale lorsque la preuve peut être rapportée par d’autres moyens.
Au-delà de ces aspects techniques relatifs à la TVA, la Cour examine une question plus fondamentale touchant aux principes structurels du marché intérieur.
II. LA CENSURE DU TRAITEMENT FISCAL DISCRIMINATOIRE DES PRESTATAIRES DE SERVICES NON-RÉSIDENTS
La Cour analyse la législation nationale litigieuse au regard de la libre prestation des services garantie par le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Elle la qualifie de restriction (A) avant de juger son caractère disproportionné au regard des règles d’assiette de l’impôt (B).
A. La qualification de la retenue à la source en restriction à la libre prestation de services
La Cour examine d’abord si une retenue à la source appliquée exclusivement aux revenus des prestataires non-résidents contrevient à l’article 56 du TFUE. Elle répond par l’affirmative, en jugeant qu’une telle mesure « constitue une restriction à la libre prestation des services ». La discrimination naît du fait qu’un prestataire résident, pour une prestation identique, n’est pas soumis à ce prélèvement immédiat sur son chiffre d’affaires. Cette différence de traitement est susceptible de décourager les entreprises établies dans d’autres États membres de proposer leurs services, entravant ainsi le bon fonctionnement du marché intérieur.
La Cour admet, de manière constante, que de telles restrictions peuvent être justifiées par des raisons impérieuses d’intérêt général, comme la nécessité de garantir l’efficacité du recouvrement de l’impôt. Cependant, elle soumet cette justification à un contrôle de proportionnalité strict. La mesure doit être apte à atteindre l’objectif poursuivi et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour y parvenir. En l’espèce, bien que la retenue à la source puisse faciliter la perception de l’impôt dû par les non-résidents, la Cour laisse entendre que ses modalités d’application concrètes, notamment l’absence de déduction des frais, la rendent potentiellement excessive.
B. La prohibition d’une assiette fiscale discriminatoire
Le cœur de la censure de la Cour réside dans l’analyse de l’assiette de l’impôt. Elle juge que l’article 56 du TFUE « s’oppose à une législation nationale en vertu de laquelle, en règle générale, les prestataires de services non–résidents sont imposés à la source sur les revenus perçus pour la rémunération des services fournis, sans que leur soit accordée la possibilité de déduire les frais professionnels directement liés à ces activités ». La discrimination est ici manifeste : alors que les résidents sont imposés sur leur bénéfice net, les non-résidents le sont sur leur chiffre d’affaires brut.
Une telle législation place le prestataire non-résident dans une situation fiscale objectivement moins favorable. Il supporte une charge d’impôt supérieure à celle d’un concurrent local, car son imposition ne tient pas compte du coût réel de la prestation de service. La Cour rappelle que, sauf situation objectivement différente, un État membre doit traiter de manière comparable les prestataires résidents et non-résidents. En refusant la déduction des charges professionnelles aux seuls non-résidents, la législation nationale crée une inégalité de traitement qui ne saurait être justifiée par la seule nécessité d’assurer le recouvrement de l’impôt. Cette décision réaffirme avec force l’exigence d’une égalité de traitement fiscal comme corollaire indispensable à l’exercice effectif des libertés économiques garanties par le traité.