Par un arrêt du 8 décembre 2011, la Cour de justice de l’Union européenne, saisie d’une question préjudicielle par le Bundespatentgericht, a précisé les conditions d’octroi et la durée d’un certificat complémentaire de protection pour les médicaments. En l’espèce, une société pharmaceutique, titulaire d’un brevet européen déposé le 5 juillet 2002 pour un médicament destiné au traitement du diabète, a obtenu une première autorisation de mise sur le marché dans l’Union le 21 mars 2007. La période écoulée entre le dépôt de la demande de brevet et cette autorisation était ainsi inférieure à cinq ans, s’élevant à quatre ans, huit mois et seize jours.
La société a sollicité la délivrance d’un certificat complémentaire de protection auprès de l’Office allemand des brevets et des marques. Cette autorité a rejeté la demande au motif que le calcul de la durée du certificat, conformément à l’article 13, paragraphe 1, du règlement n° 1768/92, aboutissait à une durée négative. La société pharmaceutique a formé un recours contre cette décision devant le Bundespatentgericht, faisant valoir que la durée, même négative ou nulle, ne constituait pas une condition d’obtention du certificat et que ce dernier lui était nécessaire pour bénéficier ultérieurement d’une prorogation de six mois liée à la réalisation d’études pédiatriques. La juridiction de renvoi, constatant l’incertitude née de l’interaction entre le règlement sur le certificat complémentaire de protection et le règlement dit « pédiatrique », a interrogé la Cour sur la possibilité de délivrer un tel certificat lorsque moins de cinq ans se sont écoulés entre la demande de brevet et la première autorisation de mise sur le marché.
La question posée à la Cour était donc de savoir si un certificat complémentaire de protection peut être délivré lorsque la formule de calcul de sa durée prévue par le droit de l’Union aboutit à un résultat négatif ou nul, notamment au regard de la possibilité d’obtenir une prorogation pour des études pédiatriques. La Cour de justice y répond par l’affirmative, estimant que refuser la délivrance du certificat dans une telle situation porterait atteinte à l’objectif du règlement n° 1901/2006. Elle précise que la prorogation pédiatrique doit alors être calculée en tenant compte de cette durée négative, sans l’arrondir à zéro, son point de départ étant ajusté en conséquence par rapport à la date d’échéance du brevet de base.
La solution retenue par la Cour repose sur une interprétation finaliste des textes, qui admet la délivrance d’un certificat de protection complémentaire à durée négative (I) afin de garantir l’articulation pragmatique des différents régimes de protection (II).
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I. L’admission conditionnée du certificat de protection complémentaire à durée négative
La Cour de justice de l’Union européenne fonde sa décision sur une interprétation qui dépasse la lettre du règlement n° 1768/92 (A) pour assurer la primauté de l’effet utile du règlement pédiatrique (B).
A. Le dépassement d’une interprétation littérale du règlement
Selon l’article 13, paragraphe 1, du règlement n° 1768/92, la durée du certificat complémentaire de protection est « égale à la période écoulée entre la date du dépôt de la demande du brevet de base et la date de la première [autorisation de mise sur le marché] dans la Communauté, réduite d’une période de cinq ans ». Une application stricte de cette formule conduisait, dans le cas d’espèce, à une durée négative, ce qui a motivé le refus initial de l’office national des brevets. Une telle lecture formaliste semblait logique, car un titre de protection d’une durée négative ou nulle est en soi dépourvu d’objet. La Cour relève cependant que la durée, qu’elle soit positive ou non, ne figure pas parmi les conditions de fond ou de forme pour l’obtention du certificat, énumérées aux articles 3 et 7 à 9 du règlement.
Cette absence de condition explicite relative à une durée minimale positive ouvre la voie à une interprétation plus large. La Cour choisit de ne pas s’en tenir au seul libellé de l’article 13, mais de l’analyser « en considération de l’économie générale et des objectifs du système dans lequel il s’insère ». En procédant ainsi, elle écarte une approche qui aurait privé de tout effet la possibilité d’une prorogation dans les cas où la mise sur le marché d’un médicament a été particulièrement rapide. La décision signale que le mécanisme du certificat ne peut être compris isolément, mais doit être apprécié à la lumière des évolutions législatives ultérieures, notamment celles visant à encourager la recherche pharmaceutique dans des secteurs spécifiques.
B. La primauté de l’effet utile du règlement pédiatrique
Le principal argument de la Cour réside dans la nécessité de préserver l’efficacité du règlement n° 1901/2006, qui a institué une prorogation de six mois de la durée du certificat en récompense de la réalisation d’études cliniques en pédiatrie. L’octroi de cette prorogation est conditionné par l’existence préalable d’un certificat. Par conséquent, refuser systématiquement la délivrance d’un certificat au motif que sa durée calculée est négative ou nulle anéantirait le bénéfice de cette récompense pour les titulaires de brevets ayant rapidement obtenu leur autorisation de mise sur le marché.
La Cour souligne qu’un tel refus « serait susceptible de porter atteinte à l’effet utile du règlement n° 1901/2006 et pourrait avoir pour conséquence de mettre en péril les objectifs poursuivis par ce règlement ». L’objectif de compenser les efforts de recherche pédiatrique serait ainsi compromis. En faisant prévaloir la finalité du règlement pédiatrique, la Cour admet qu’un certificat de durée négative peut servir de support juridique nécessaire à l’application de la prorogation de six mois. Cette approche téléologique permet de concilier deux logiques réglementaires : celle de la compensation pour la lenteur des procédures d’autorisation et celle de l’incitation à la recherche pédiatrique.
II. La portée de la solution : une articulation pragmatique des régimes de protection
En validant le certificat à durée négative comme base pour une extension, la Cour consacre un véritable droit à la prorogation pédiatrique (A) et clarifie par la même occasion les modalités techniques de calcul de la protection effective (B).
A. La consécration d’un droit à la prorogation pédiatrique
La décision a pour principale portée de garantir que l’incitation prévue par le règlement pédiatrique ne soit pas une simple faculté, mais un droit effectif pour tout titulaire de brevet qui remplit les conditions de fond, indépendamment de la durée initiale calculée pour son certificat. En jugeant que le certificat peut être octroyé même avec une durée négative, la Cour transforme ce qui aurait pu être un titre sans valeur en un instrument juridique indispensable à l’obtention d’une protection additionnelle. Cela renforce considérablement l’attractivité de la récompense offerte pour les études pédiatriques.
Cette solution établit que l’utilité d’un certificat ne se mesure plus seulement à sa propre durée, mais aussi à sa capacité à débloquer d’autres périodes de protection. La Cour indique qu’« une prorogation pédiatrique a de l’utilité si la durée négative d’un ccp ne dépasse pas six mois ». Elle fixe ainsi un seuil de pertinence pratique : le mécanisme a un sens si la période entre la demande de brevet et l’autorisation de mise sur le marché est comprise entre quatre ans et demi et cinq ans. Ce faisant, elle reconnaît pleinement la valeur de la prorogation comme un allongement autonome de l’exclusivité, et non comme un simple accessoire d’un certificat déjà doté d’une durée positive.
B. La clarification des modalités de calcul de la durée de protection effective
Au-delà du principe, l’arrêt fournit une clarification technique essentielle sur la manière de calculer la durée totale de protection. La Cour rejette explicitement l’idée d’arrondir la durée négative du certificat à zéro, ce qui aurait pour effet de faire débuter la prorogation de six mois à la date d’expiration du brevet de base. Une telle solution, bien que simple, serait contraire à la lettre de l’article 13, paragraphe 1, du règlement n° 1768/92.
La Cour impose une méthode de calcul plus rigoureuse. Elle énonce que « le délai de prorogation pédiatrique […] commence à courir à compter de la date déterminée en déduisant de la date d’échéance du brevet la différence entre cinq ans et la durée de la période écoulée entre le dépôt de la demande de brevet et l’obtention de la première autorisation de mise sur le marché ». Autrement dit, la durée négative du certificat est imputée sur la prorogation de six mois. Dans le cas d’espèce, le certificat ayant une durée de -3 mois et 14 jours, la protection effective résultant de la prorogation de six mois est d’environ deux mois et seize jours après l’expiration du brevet. Cette précision garantit une application uniforme et prévisible du mécanisme, offrant ainsi une sécurité juridique aux opérateurs économiques du secteur pharmaceutique.