Cour de justice de l’Union européenne, le 8 décembre 2022, n°C-492/22

Par la décision soumise à l’analyse, la Cour de justice de l’Union européenne précise les conditions d’application du mandat d’arrêt européen, spécifiquement en ce qui concerne la possibilité de différer la remise d’une personne recherchée. Cette décision intervient dans un contexte où une personne, arrêtée dans un État membre d’exécution en vertu d’un mandat d’arrêt émis par un autre État membre, fait également l’objet de poursuites pénales distinctes sur le territoire de l’État d’exécution. La complexité naît de la nécessité de concilier l’obligation de remise quasi automatique inhérente à ce mécanisme de coopération avec la bonne administration de la justice au sein de l’État où la personne a été appréhendée.

Les faits peuvent être schématisés de la manière suivante : une personne est arrêtée dans un État membre A sur le fondement d’un mandat d’arrêt européen émis par les autorités judiciaires d’un État membre B. Simultanément, cette même personne est poursuivie pour des infractions commises dans l’État A. L’autorité judiciaire d’exécution de l’État A consent à la remise, mais le déroulement des poursuites nationales conduit une autorité de ce même État à en différer l’exécution effective. La personne concernée conteste alors la légalité de son maintien en détention dans l’État A, arguant que le report de sa remise n’a pas été décidé par l’autorité compétente et que les motifs de ce report ne sont pas légitimes. Saisie de ce litige, une juridiction nationale supérieure a décidé de surseoir à statuer et de poser plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne, conformément à l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

Le problème de droit soumis à la Cour porte sur trois interrogations distinctes mais liées. Il s’agit premièrement de déterminer quelle autorité est compétente pour décider du report de la remise et quelles sont les conséquences d’une décision prise par une autorité incompétente. Deuxièmement, la Cour est invitée à dire si une personne peut être maintenue en détention dans l’État d’exécution sur la seule base du mandat d’arrêt européen pendant la durée de ce report. Enfin, il lui est demandé de déterminer si le fait pour une personne de ne pas renoncer à son droit de comparaître en personne à son procès dans l’État d’exécution constitue un motif suffisant pour justifier le report de sa remise.

En réponse, la Cour de justice énonce que la décision de différer la remise relève de la compétence exclusive de l’autorité judiciaire d’exécution et que son non-respect doit entraîner la mise en liberté de la personne si les délais de remise sont expirés. Elle admet par ailleurs que le mandat d’arrêt européen peut servir de fondement au maintien en détention durant la période de report. Enfin, elle valide le fait que l’exercice par la personne de son droit à comparaître en personne constitue un juste motif pour différer sa remise. La Cour clarifie ainsi les garanties procédurales encadrant le report de la remise (I), tout en arbitrant entre les impératifs de la coopération pénale européenne et la protection des droits de la personne poursuivie (II).

I. L’encadrement strict de la décision de remise différée par l’autorité judiciaire

La Cour de justice réaffirme avec force le monopole de l’autorité judiciaire dans la gestion de la procédure de remise, que ce soit pour en fixer les modalités ou pour en sanctionner les manquements. Cette approche consacre la nature essentiellement judiciaire du mandat d’arrêt européen. Elle se manifeste par l’affirmation de la compétence exclusive de l’autorité judiciaire d’exécution (A) et par la définition d’une sanction rigoureuse en cas de non-respect de cette règle (B).

A. L’affirmation de la compétence exclusive de l’autorité judiciaire d’exécution

La Cour établit sans équivoque que la décision de reporter la remise n’est pas une simple mesure administrative mais un acte procédural majeur. En précisant que « la décision de différer la remise visée à cette disposition constitue une décision sur l’exécution d’un mandat d’arrêt européen laquelle, en vertu de l’article 6, paragraphe 2, de cette décision-cadre, doit être prise par l’autorité judiciaire d’exécution », elle ancre cette compétence au cœur du pouvoir juridictionnel. Cette solution est logique, car le report de la remise affecte directement la situation de la personne privée de liberté et modifie les termes de l’exécution de la décision initiale d’autorisation de la remise.

En confiant cette prérogative à la seule autorité judiciaire, la Cour garantit que la décision sera prise par un organe indépendant et impartial, apte à peser les intérêts en présence. Il s’agit d’une part de l’intérêt de l’État d’émission à obtenir rapidement la remise de la personne condamnée ou poursuivie, et d’autre part de l’intérêt de l’État d’exécution à mener à bien ses propres procédures pénales. Ce faisant, la Cour prévient toute immixtion d’une autorité exécutive, telle qu’un ministère public non indépendant du pouvoir politique, dans une phase cruciale de la procédure. Cette interprétation renforce la confiance mutuelle entre les autorités judiciaires des États membres, qui constitue la pierre angulaire du système du mandat d’arrêt européen.

B. La sanction de l’irrégularité procédurale : la mise en liberté de la personne recherchée

La décision ne se contente pas de désigner l’autorité compétente ; elle assortit cette règle d’une sanction particulièrement dissuasive en cas de manquement. La Cour indique en effet que si la décision de report n’a pas été prise par l’autorité judiciaire et que « les délais visés à l’article 23, paragraphes 2 à 4, de ladite décision-cadre sont expirés, la personne faisant l’objet du mandat d’arrêt européen doit être remise en liberté ». Cette conséquence automatique garantit l’effectivité du droit à ce que sa cause soit entendue par une autorité judiciaire dans des délais raisonnables.

Cette sanction, qui est la libération de l’individu, témoigne de l’importance que la Cour attache au respect des formes procédurales, celles-ci étant considérées comme une garantie fondamentale contre l’arbitraire. En liant directement l’irrégularité procédurale à une mesure de mise en liberté, la Cour rappelle que le maintien en détention d’une personne est une exception qui doit être encadrée par des règles strictes, dont le respect est impératif. La portée de cette solution est considérable, car elle incite les États membres à une vigilance accrue quant à l’organisation de leurs procédures internes et à la répartition des compétences entre leurs différentes autorités. Elle constitue une protection robuste pour la personne recherchée contre le risque d’une détention prolongée en raison d’une gestion administrative défaillante de son dossier.

II. La conciliation entre les exigences du mandat d’arrêt européen et la protection des droits fondamentaux

Après avoir posé le cadre procédural, la Cour se penche sur les aspects substantiels du report de la remise. Elle opère une mise en balance délicate entre l’efficacité du mécanisme de coopération et le respect des droits de la défense de la personne poursuivie. Cette démarche se traduit par la légitimation du maintien en détention pour des motifs d’efficacité procédurale (A) et par la reconnaissance de la préservation des droits de la défense comme un juste motif de report (B).

A. La légitimation du maintien en détention au nom de l’efficacité procédurale

La Cour de justice admet qu’une personne puisse demeurer en détention pendant la durée du report de sa remise sur le seul fondement du mandat d’arrêt européen. Elle interprète les textes en ce sens qu’ils « ne s’opposent pas à ce qu’une personne […] y soit maintenue en détention, sur la base du mandat d’arrêt européen, pendant le traitement des poursuites pénales en cause ». Cette position pragmatique vise à ne pas paralyser la coopération judiciaire ni à compromettre les procédures pénales dans l’État d’exécution. Si la personne était remise en liberté, le risque de fuite compromettrait non seulement sa remise future à l’État d’émission, mais aussi la poursuite de son procès dans l’État d’exécution.

La valeur de cette solution réside dans sa recherche d’un équilibre. La Cour ne crée pas un nouveau titre de détention ; elle prolonge l’effet du titre existant, le mandat d’arrêt européen, pour couvrir une situation que les rédacteurs de la décision-cadre avaient envisagée. Cette interprétation garantit que la privation de liberté reste fondée sur une décision judiciaire et évite un vide juridique qui pourrait s’avérer préjudiciable à la bonne administration de la justice dans deux États membres. La détention reste ainsi justifiée par la nécessité d’assurer l’exécution différée de la remise, tout en permettant à l’État d’exécution de juger la personne pour les faits qui lui sont reprochés sur son territoire.

B. La préservation des droits de la défense comme juste motif de report de la remise

Enfin, la Cour consacre de manière explicite le droit de la personne à être présente à son procès comme un motif légitime de report. En affirmant que les dispositions du droit de l’Union « ne s’opposent pas à ce que la remise d’une personne […] soit différée, […] au seul motif qu’elle n’a pas renoncé à son droit de comparaître en personne », elle donne toute sa force aux droits de la défense garantis par la Charte des droits fondamentaux. Le droit à un procès équitable, qui inclut la possibilité pour l’accusé d’être présent et de se défendre, ne saurait être sacrifié sur l’autel de la célérité de la coopération pénale.

Cette solution revêt une portée fondamentale. Elle signifie que le système du mandat d’arrêt européen, bien que fondé sur un principe d’efficacité et de rapidité, ne peut fonctionner en faisant abstraction des droits fondamentaux des personnes qu’il concerne. En l’espèce, le refus de la personne de renoncer à un droit procédural essentiel ne peut être interprété comme une manœuvre dilatoire, mais doit être traité comme l’exercice légitime d’un droit. La Cour de justice rappelle ainsi que la coopération judiciaire européenne doit s’articuler avec les garanties procédurales reconnues à tout justiciable, consolidant par là même la légitimité d’un espace judiciaire européen fondé sur des valeurs partagées.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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